L’INNOVATION ET SA PART DE MYSTERE

11 janvier 2016

L’INNOVATION ET SA PART DE MYSTERE

Dans ce fief de la pensée rationnelle, logique et objective qu’est la sphère économique, il y a un foyer où s’actionnent également d’autres facultés de représentation et de compréhension. C’est le domaine de l’innovation. En effet, à part le mode de penser logique- déductif, dans ce domaine interviennent aussi l’imagination et l’intuition – des capacités qui le plus souvent échappent au contrôle de la raison et donnent quelque peine à se laisser canaliser et se faire « gérer », à proprement parler. Ce n’est pas par hasard que même des chercheurs sérieux voient dans l’innovation une sorte de quartier mystique de l’expérience économique.

Sur ce plan moins rationnel et moins sujet aux déductions logiques, la découverte innovative devient une « révélation », un fait presque miraculeux, en tout cas – quelque chose qui transcende largement tout ce que le langage du RD (Recherche et Développement) peut décrire comme expérience de découverte liée à l’innovation appliquée, à la « rationalisation » et à l’« optimisation ».

Mais si la découverte est une révélation providentielle, quelle serait la place du brainstorming, la célèbre méthode que l’on a utilisée à travers les décennies (avec un succès certes relatif) pour rechercher des idées innovantes et des solutions de problèmes ? Le « remue-méninges » (rappelons-le, c’est la traduction française du « brainstorming » anglais) est vraiment à l’opposé de l’idée que l’on peut se faire de l’illumination qui touche comme une grâce le savant dans sa solitude et son intimité en lui suggérant des géniales solutions. Loin d’une telle intimité, le brainstorming est pratiqué en équipe, dans des réunions informelles parfois délibérément bruyantes et chaotiques puisque censées favoriser la spontanéité et le flux libre des idées. Mais qu’il s’agisse de provoquer une tempête au cervau (la signification première du mot anglais storm) ou de l’assaillir (de « assaut » qui est la deuxième signification du même mot) et le piéger pour le pousser à engendrer des idées, on reste toujours dans le tourbillon et dans l’agitation, donc très loin de cette intimité où les grands inventeurs ont été touchés par la grâce de la révélation.

Et quand on dit « grâce », on pense bien évidemment à cette inexplicable et heureuse occurrence qui fait advenir le déclic providentiel, la solution tant attendue. Un déclic dont l’ « Eurêka ! » d’Archimède est le symbole par excellence. Remarquons à ce propos que c’est dans l’isolement nu et l’abandon abandon total que le célèbre physicien grec antique a été visité par une intuition lui donnant la solution du problème relatif aux corps plongés et qui plus tard a permis la conception de la balance hydrostatique. Un peu plus vêtu que ne l’était Archimède dans sa baignoire, Isaac Newton était pourtant tout aussi seul que son collègue grec quand, plus d’un millénaire après ce dernier, la grâce de la découverte l’a à son tour visité, ou, bien plutôt – quand elle l’a frappé en tombant sous la forme d’une pomme sur sa tête et en lui révélant ainsi la loi de la gravitation universelle.

Si nous rappelons ces histoires déjà tellement célèbres, c’est pour attirer l’attention sur le fait que les découvertes et les rationalisations ne sont pas toujours le résultat d’application de méthodes spéciales, ni de brainstorming, ni d’une recherche organisée de solutions, ni d’un bon encadrement « RD », ni même d’un bon travail d’équipe. Elles viennent le plus souvent comme une réponse spontanée à une interrogation concrète, comme une solution à un problème réel auquel on s’est confronté dans le processus même du travail. Les vraies découvertes couronnent aussi, comme on l’a vu avec les deux exemples classiques, de longues recherches sur une question donnée, elles récompensent l’authentique consécration personnelle de ceux qui s’y impliquent – recherche et consécration qui sont parfois liées à de véritables traversées du désert avant d’atteindre cet oasis béni où des pommes commencent à vous tomber sur la tête et vous donner les solutions tant attendues des problèmes. Ces longues traversées du désert n’ont, on le voit, rien à voir avec la bourrasque au cerveau qui, il y a encore quelques années, était censée débloquer toutes les idées providentielles.

Certes, le brainstorming peut être utile dans certains cas ; en effet, il n’a qu’un seul défaut – celui de ne pas respecter la part de mystère dans le processus d’innovation et de découverte. Et quand on dit « mystère », on a en vue non seulement l’isolement, le confinement où l’illumination « préfère » se produire mais aussi sa façon très spéciale d’advenir – de surgir comme de nulle part, d’une manière inattendue, de venir visiter le chercheur non pas dans ses moments de grande concentration et d’adhésion totale à l’objet de ses investigations (encore moins de « tempête » et « assaut » du cerveau ») mais alors qu’il se repose et se permet un bref détachement de la chose. Et avec un dernier rappel d’Archimède se prélassant dans sa baignoire et de Newton se détendant sous son pommier, reconnaissons que l’innovation et tout ce qu’elle sous-entend comme découverte et rationalisation ne peut pas être forcée et artificiellement « boostée ». Le déclic providentiel aime choisir lui-même le temps et le lieu où il va se produire. Et il choisit souvent le moment d’un recul, d’un détachement ou tout simplement … d’un repos bien mérité.

 

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