DAVID BOWIE – LE GENTLEMAN SALTIMBANQUE QUI A SU CAPITALISER SUR SES PEURS

21 janvier 2016

DAVID BOWIE – LE GENTLEMAN SALTIMBANQUE QUI A SU CAPITALISER SUR SES PEURS

Au début, on a cru à une nouvelle excentricité de David Bowie. On a pensé que cela faisait partie d’une sorte de promotion choc de son nouvel album dont le single principal porte le titre à la fois énigmatique et évocateur de Lazarus. On s’attendait à une démonstration de mort suivie d’une résurrection éclatante – une de ces mises en scène aux relents surréalistes auxquelles le glam rocker avait habitué ses fans et dont il était le seul à avoir le secret. Mais non. La triste nouvelle reprise ce sombre matin du 11 janvier par l’Internet et par tous les médias du monde disait vrai : David Bowie était bel et bien décédé.

L’aventure s’arrêtait donc là – cette longue aventure qui avait mené un jour un jeune homme de la banlieue londonienne dont la seule motivation était de cacher sa « folie » sous des apparences artistiques les plus excentriques et le plus tapageuses possibles – aux sommets de la gloire mondiale en faisant du même coup de lui l’une des fortunes les plus colossales jamais enregistrées dans l’histoire du show-business.

Amasser une telle fortune rien qu’en s’ingéniant à dissimuler sa supposée schizophrénie aux autres – cela paraît incroyable, parfaitement anecdotique, et pourtant c’est vrai. Ayant vu des proches de sa famille se débattre avec la perfide maladie mentale et croyant deviner ses symptômes chez lui-même, le jeune David Jones avait décidé de tout faire pour cacher cette réalité aux autres et surtout pour échapper à l’enfermement psychiatrique. Des décennies plus tard, Bowie pouvait constater que non seulement il avait réussi à détourner les regards de sa « folie » et à se faire une légitimité parmi les gens « normaux » mais entre-temps, sans jamais avoir cherché « l’argent pour l’argent », il a réussi à capitaliser sur ses anciennes terreurs et à devenir ni plus ni moins un multimillionnaire !

C’est beaucoup plus tard, dans les années 90, que David Bowie a cherché en toute conscience à devenir un homme d’affaires. Mais une fois de plus, sa vraie motivation n’était pas l’argent et l’accroissement ultérieur de sa fortune. Bien qu’au sommet de sa gloire et reconnaissance planétaire, désormais guéri de sa peur de la folie mais toujours en proie à une sorte de mal d’identité que d’ailleurs l’approche de la cinquantaine ne faisait que renforcer, l’incorrigible saltimbanque des années 70 et 80 a opéré sa grande conversion en homme « sérieux », en businessman de haut vol dont l’immense fortune inspirait le plus grand respect à Wall Street. C’est justement à la Bourse new-yorkaise que le « Thin White Duke » a tenté – et réussi ! – son grand coup financier consistant à toucher d’avance et en une seule fois les droits d’auteur sur ses futurs succès en promettant à ses investisseurs un taux d’intérêt de 7,9 % sur 10 ans. « Absolute beginner » (d’après le nom d’un de ces tubes) dans le domaine financier, le glam rocker britannique empochait déjà 55 millions de dollars, soit une somme que, normalement, ses droits d’auteur ne lui auraient pu procurer qu’à la longue, par petites tranches au cours des années et des décennies suivantes. L’anticipation opérée par Bowie et qui, en transformant des revenus réguliers en titres à proposer en bourse, a mené à la création des « Bowie Bonds », était une véritable innovation pour l’industrie musicale de l’époque.

Ainsi avait commencé la deuxième vie de David Bowie où, désormais assagi, embourgeoisé, désireux de mener une vraie vie familiale avec sa seconde femme Iman, le rocker entendait cueillir les fruits – devenus certes des fruits d’or – de ses anciennes excentricités et frasques artistiques. Pourtant, que ce fût sur la scène rock ou en bourse, David Bowie restait fidèle à son esprit innovateur : dans l’un comme dans l’autre, il est entré avec grand fracas, bouleversant, d’un côté, les canons de la musique pop et proposant, dans le deuxième cas, de nouveaux modes de gestion des droits d’auteur. Bowie a aussi tout de suite compris l’importance de la révolution numérique et s’est rapidement saisi des opportunités qu’elle offrait. Il fut notamment la première star du rock à proposer un single en téléchargement : son Telling lies apparaissait en ligne à une époque où l’Internet était universellement vu comme une menace pour l’industrie musicale.

Mais la plus grande innovation de David Bowie est bien celle d’avoir opéré l’impossible jusqu’à son apparition sur la scène rapprochement entre avant- garde artistique et grand public réussissant du même coup à commercialiser à grande échelle des morceaux destinés initialement à une petite élite d’adeptes londoniens sophistiqués et excentriques. Au départ, ce n’était pas du tout évident qu’une musique si atypique ait pu gagner à ce chanteur au look à son tour des plus bizarres un si grand nombre de fans. Des chansons comme Space oddity, Life on Mars et surtout Ashes to ashes n’avaiten en apparence rien pour séduire les grandes foules, régner sur les charts et non en dernier lieu – vendre. Mais David Bowie a réussi ce pari. Le « Starman » a gagné tous les paris et tous les combats de sa vie. Sauf le dernier… qui, justement, l’a emporté vers les « stars ».

 

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