Interview de Brigitte Lembwadio: j’ai eu la chance de me retrouver en Suisse, afin d’y étudier et exercer ma profession

13 novembre 2017

Interview de Brigitte Lembwadio: j’ai eu la chance de me retrouver en Suisse, afin d’y étudier et exercer ma profession

Interview de Brigitte Lembwadio avocate d’origine congolaise exerçant à La Chaux-de-Fonds

Monde Economique : S’installer à l’étranger c’est accepter de vivre une succession de défis. Quels sont ceux que vous avez dû affronter pour devenir la première avocate d’origine congolaise ici en Suisse ?

Brigitte Lembwadio : J’ai découvert la Suisse à l’âge de 6 ans, suite à un regroupement familial. Mon intégration, ainsi que celle de ma famille n’ont pas été de tout repos car les défis à relever ont été nombreux. En effet, au début des années 80, les familles noires étaient plutôt rares en Suisse. Dans toutes les écoles, où je suis passée, j’étais souvent la seule enfant de couleur, voire même la première. Je devais souvent composer avec l’ignorance voire même la bêtise de l’autre et supporter des remarques à la fois blessantes et dénigrantes. Dès mon premier jour d’école en 1981, j’ai reçu un caillou sur la tête de la part d’un autre écolier. Cette image est encore très présente dans ma mémoire. Loin de me décourager, je pense que toutes ces épreuves m’ont boostée. Mon père m’a toujours dit « tu n’as pas le choix, tu ne peux pas te permettre d’être moyenne, tu dois être excellente afin qu’on ne puisse jamais hésiter sur la note à t’attribuer ». Même dans le milieu universitaire les choses ne furent pas plus simples. Tout au long de mon parcours estudiantin, j’ai eu droit à des remarques du style « vous êtes douée Mademoiselle, vous avez été adoptée ». Une fois devenue avocate, j’ai dû constamment supporter d’être prise pour la prévenue ou la concierge par un greffier ou un confrère. Aujourd’hui après 15 ans de pratique, toutes ces anecdotes me font sourire mais, elles n’ont pas été faciles à vivre. J’ose espérer que ceux à qui j’ai ouvert la voie ont eu moins à souffrir de cela.


Monde Economique : Nombreux sont les étrangers éduqués qui ont du mal à réussir en Suisse. Eu égard à votre expérience, quels conseils pratiques pourriez-vous leur donner afin qu’ils puissent conjurer le mauvais sort ?

Brigitte Lembwadio : Je ne sais pas si on peut affirmer que j’ai réussi en Suisse. Cependant je peux dire que si l’on veut s’en sortir, surtout en tant que noir, il faut de la persévérance et surtout ne pas tomber dans le défaitisme ou l’amertume. J’ai eu pour modèle mon père, qui malgré un diplôme obtenu à l’université de Neuchâtel, a dû attendre près de 14 ans pour enfin exploiter ses compétences et être reconnu à sa juste valeur. Il a travaillé entretemps pour nourrir sa famille comme manœuvre sans jamais se plaindre, tout en encourageant ses enfants à donner le meilleur d’eux même. Je dirais à tous « vos diplômes et vos titres vous appartiennent, personne ne vous les enlèvera ». Cependant il ne faut pas oublier que quand on vient d’une contrée lointaine il faut faire preuve de modestie et accepter les conseils d’où qu’ils viennent. Combien de mes clientes qui n’étaient pas particulièrement gâtées par le sort, ont vu leur destin évolué grâce à un conseil émanant d’une voisine bienveillante ou sensible. A la communauté africaine (car on ne peut pas parler par pays, les ressortissants individualisés ne sont pas assez nombreux) je lance également le défi comme cela se passe dans d’autres communautés, de créer des réseaux solides afin d’être capable de s’entraider et de peser quelque peu dans l’économie et la société d’accueil. Je suis par exemple très admirative de ce que les ressortissants portugais ou originaires de l’ex-Yougoslavie réussissent à faire ensemble.


Monde Economique : Dans votre cabinet, vous traitez essentiellement des questions relatives au droit de la famille, du travail et de l’immigration. Le choix de ces spécialités a-t-il un rapport avec votre parcours personnel ?

Brigitte Lembwadio : Evidemment, mais je précise que je n’ai pas fait de spécialisation en ce domaine. Mon statut de femme avocate, d’origine migrante, a fait que cela s’est tout naturellement imposé à moi. J’ai aussi la chance de travailler avec des associations de protections des femmes et des victimes. Je parle également plusieurs langues, dont l’anglais et l’espagnol, ce qui me facilite la tâche. Dès que j’ai commencé mon activité, j’ai été très rapidement confrontée à une réalité que j’ignorais totalement. A savoir, la situation des femmes venant des Etats tiers (hors union européenne). Souvent ces dernières officialisent leur séjour via le mariage et le regroupement familial qui s’en suit. Si une bonne partie s’en sort relativement bien, nombreuses sont celles qui vivent des situations que j’ose qualifier de formes modernes de traites des femmes. Sachant pertinemment que leurs épouses d’origine étrangère risquent de perdre leur titre de séjour en cas de divorce, certains maris en profitent pour quasiment les asservir. C’est ainsi qu’il en est qui sont contraintes à la prostitution, voire à l’échangisme par leurs époux désireux de complémenter le bien être financier du ménage. Inutile de vous décrire le quotidien de ces victimes qui très souvent se résume à la contrainte sexuelle, le viol et la séquestration. A cela s’ajoute la violence verbale et la non mise à disposition de moyens financiers leur permettant d’assurer leurs besoins quotidiens. Lorsqu’elles trouvent la force et le courage de partir elles doivent encore négocier une séparation dans des conditions acceptables et rechercher une activité professionnelle pour maximiser leurs chances de rester en Suisse.


Monde Economique : Depuis peu vous êtes à la tête de « Je suisRDCongolaise » un collectif qui lutte en faveur de la défense des droits des femmes congolaises. Pourquoi un tel engagement ?

Brigitte Lembwadio : Cela fait plusieurs années que je me pose de nombreuses questions. A savoir pourquoi moi, Brigitte Lembwadio Kanyama j’ai eu la chance de me retrouver en Suisse, afin d’y étudier et exercer ma profession ? Pourquoi mes sœurs de Béni, Kisangani, Bukavu, doivent-elles subirent l’innommable ? Que puis-je faire pour que ces femmes, dont le calvaire est ignoré, puissent être entendues ? Puis, cette année, l’horreur a atteint son paroxysme quand les foyers de violences se sont étendus sur l’ensemble de la République Démocratique du Congo. Il en a été de même des sévices infligés aux femmes. Le viol étant devenu une arme systématique de guerre. Je m’occupe modestement du sort de certaines femmes victimes de violence à Neuchâtel, pourquoi ignorer les atrocités vécues par mes compatriotes ? Car malgré le peu de connaissances que j’ai en réalité de mon pays d’origine, Je suis RD Congolaise. Si moi, si nous d’origine congolaise nous ne nous levons pas pour dénoncer le sort réservé à nos sœurs, qui va le faire ? Il nous appartient d’être les portes voix de toutes celles qu’on ne peut pas entendre. Le rétablissement d’un état de droit chez nous entrainera de facto une amélioration de la situation socioéconomique et permettra par voie de conséquence d’endiguer les flux migratoires artificiellement provoqués. Notre pays a les moyens de nourrir sa population. Le but de notre association est de mobiliser nos compatriotes, en particulier les femmes, ainsi que l’opinion publique internationale afin d’opérer un changement radical du statut quo. Comme une actualité récente vient encore une fois de nous le démontrer, on peut dire que soutenir « Je suis RD Congolaise » c’est lutter notamment contre deux fléaux mondiaux à savoir le harcèlement sexuel et le viol.

 

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