La revanche des domestiques

26 mai 2025

La revanche des domestiques

Par Michel Saugné, CIO, La Financière de l’Echiquier

Michel_Saugné_LFDE
Michel Saugné © LFDE

Des Saturnales romaines à certains bals de l’aristocratie anglaise du XIXe siècle en passant par la fête des Fous au Moyen-Âge, nombreuses ont été les célébrations à travers l’histoire à l’occasion desquelles les domestiques devenaient les égaux, voire prenaient la place des maîtres. Une tradition que les Bourses européennes semblent vouloir remettre au goût du jour. En effet, depuis le début de l’année, les « Domestiques » – comprenez par là les actions d’entreprises principalement tournées vers le marché intérieur européen – ont largement supplanté les « maîtres » de la dernière décennie, à savoir les valeurs exportatrices.

A première vue, rien de plus cohérent : dans un contexte de tensions commerciales exacerbées par la politique tarifaire américaine, il paraît logique que les valeurs des entreprises tournées vers l’international soient les plus malmenées. Pourtant, lors du premier épisode de guerre commerciale en 2018-2019, qui certes concernait essentiellement la Chine, il n’en avait rien été. En tendance, les valeurs internationales avaient même accentué leur surperformance vis-à-vis des valeurs domestiques.

Le changement de prééminence que l’on observe depuis le début de l’année tient en réalité à la conjonction de différents facteurs. Du côté des valeurs exportatrices, les vents contraires s’accumulent. La politique de taxes douanières de Donald Trump est bien sûr le premier d’entre eux, mais il est renforcé par la faiblesse continue de l’autre principal débouché pour les exportateurs européens : la Chine. Malgré de premiers signes d’amélioration, la demande du consommateur chinois reste faible, un sujet d’inquiétude régulièrement évoqué notamment par les acteurs du luxe, LVMH en tête. Par ailleurs, les sociétés exportatrices sont également pénalisées par la forte appréciation de l’euro depuis début de l’année. La monnaie commune a en effet progressé de près de 10%, que ce soit face à un panier de devises ou face au dollar américain. Une tendance qui pourrait se poursuivre, la perspective de voir la parité euro/dollar revenir autour de 1,20 (vs 1,13 aujourd’hui) paraissant assez crédible à l’horizon de quelques trimestres.

Ce renforcement de l’euro pénalise mécaniquement les exportateurs, en rendant les produits européens plus chers. Mais il bénéficie également, tout aussi mécaniquement, à certaines entreprises domestiques. C’est particulièrement le cas pour celles qui ont besoin d’importer massivement des matériaux bruts, les échanges de matières premières se traitant généralement en dollars américains sur les marchés mondiaux ; le renforcement de l’euro face au dollar accroît donc leur pouvoir d’achat. 

Le principal vent porteur pour les sociétés domestiques vient toutefois des plans d’investissements massifs annoncés ces derniers mois – plans allemands et plan européen ReArm Europe. En effet, ces investissements auront pour conséquence d’accroître la croissance potentielle, notamment en Allemagne mais globalement pour toute la zone euro, après une décennie de dégradation continue. Or, on constate historiquement une forte corrélation entre la baisse de la croissance potentielle en zone euro et la sous-performance des valeurs domestiques face aux valeurs exportatrices.

Bien entendu, après le fort rattrapage observé depuis le début de l’année[1], se pose la question de la poursuite de la tendance. Plusieurs éléments incitent à l’optimisme pour les valeurs domestiques. D’une part, elles traitent encore avec une décote de valorisation importante par rapport aux valeurs exportatrices, qui pourrait être appelée à se réduire. D’autre part, en plus des éléments favorables précédemment cités, d’autres catalyseurs pourraient apparaître. La dérégulation européenne, de plus en plus évoquée mais non encore effective, en constituerait un premier. Un changement de comportement du consommateur européen, qui continue de consommer à un rythme bien inférieur au rythme pré-covid, en serait un second. Pendant les Saturnales, les domestiques prenaient la place des maîtres le temps d’une soirée. Mais sur les marchés européens, la revanche des domestiques est bien partie pour durer. 

 [1] A titre d’illustration : +16,4% au 22.05.2025 pour le panier Goldman Sachs « EU Domestics vs Internationals »

***

Opinion rédigée le 23 mai 2025

Disclaimer : Ces informations, données et opinions de LFDE sont fournies uniquement à titre d’information et, de ce fait, ne constituent ni une offre d’achat ou de vente d’un titre ni un conseil en investissement ni une analyse financière. Les performances passées ne préjugent pas des performances futures. 

Retrouvez l’ensemble de nos articles Economie

 

Recommandé pour vous