Tout juste à la sortie du COVID, une entreprise zurichoise de composants électroniques était au bord du gouffre. Ses ventes avaient chuté de 40 % en deux ans, victime de la concurrence asiatique et d’une chaîne d’approvisionnement dépassée. Aujourd’hui, elle affiche une croissance de 15 %. Ce revirement spectaculaire ne doit rien au hasard, mais tout à un repositionnement stratégique audacieux, passant d’une production de masse à une spécialisation dans les microcomposants pour la médecine de précision. Un cas d’école qui rappelle une vérité trop souvent oubliée : dans un monde en constante mutation, savoir reconnaître l’échec à temps est peut-être la compétence la plus précieuse d’un dirigeant.

Analyse critique

Le cas de cette PME zurichoise illustre avec acuité les cinq signaux avant-coureurs qui devraient alerter tout dirigeant sur la nécessité d’un repositionnement. Premièrement, lorsque la marge brute tombe durablement sous les 20 % dans un secteur où elle était historiquement à 35 %, comme ce fut le cas ici. Deuxièmement, quand les clients historiques commencent à exiger des réductions de prix systématiques plutôt que des innovations – un phénomène que le CEO de l’entreprise a identité comme le « piège de la commodité ». Troisièmement, l’apparition de concurrents capables de produire à des coûts 30 à 40 % inférieurs, rendant impossible toute compétition sur le prix.  Quatrièmement, la perte de talents clés, la PME zurichoise ayant vu partir 15 % de ses ingénieurs seniors en 18 mois. Enfin, le signal le plus subtil mais peut-être le plus révélateur : lorsque le conseil d’administration passe plus de temps à discuter de réduction des coûts que de développement de nouveaux produits.

Le repositionnement de l’entreprise zurichoise n’a pourtant pas suivi la voie traditionnelle de la diversification. « Nous avons fait exactement l’inverse de ce que préconisaient certains consultants : nous nous sommes spécialisés encore plus, mais différemment », explique le CEO de l’entreprise. Plutôt que de se disperser, l’entreprise a concentré ses ressources restantes sur un créneau exigeant mais protégé : les microcomposants pour robots chirurgicaux, où les normes de qualité constituent une barrière à l’entrée naturelle. Un marché certes plus étroit, mais où les marges atteignent 45 % et où la proximité avec les clients suisses et allemands devient un avantage compétitif décisif.

Ce succès masque cependant des choix douloureux. La restructuration a impliqué la fermeture de deux lignes de production et le licenciement d’une centaine d’employés. « Le plus difficile fut de convaincre les actionnaires qu’il valait mieux sacrifier 30 % du chiffre d’affaires pour sauver les 70 % restants », confie le CEO. Une décision qui rappelle que dans les moments critiques, la gouvernance compte autant que la stratégie elle-même.

Le plus difficile fut de convaincre les actionnaires qu’il valait mieux sacrifier 30 % du chiffre d’affaires pour sauver les 70 % restants

Perspectives

L’histoire de cette entreprise zurichoise pose une question fondamentale : nos modèles de gestion traditionnels sont-ils adaptés pour détecter à temps les nécessités de repositionnement ? Dans un environnement où, selon une étude récente du McKinsey Global Institute, 40 % des entreprises du SMI devront réinventer leur modèle d’ici 2027, la capacité à transformer l’échec en opportunité pourrait bien devenir la compétence cardinale du leadership. La leçon zurichoise montre surtout qu’il existe une troisième voie entre l’acharnement thérapeutique sur un modèle dépassé et la rupture totale : le repositionnement ciblé, qui requiert à la fois une lucidité impitoyable sur ses échecs et une imagination stratégique pour en sortir. Comme le résume le CEO de l’entreprise zurichoise : « Nous n’avons pas changé de métier, nous avons changé de jeu. » Une maxime que bien des dirigeants feraient bien de méditer à l’heure où les bouleversements géopolitiques et technologiques redessinent les règles de la compétition économique.

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