Par Anne Southam Aulas* swissVR
Si le « cumul des casquettes » est affaire courante dans les petites entreprises familiales, la gestion des risques de conflits d’intérêts doit impérativement faire partie du code de gouvernance des plus grandes structures.
3ème génération à la tête d’Aprotec (80 employés), Anne-Sophie Dunand-Blaesi a passé 2 ans dans l’entreprise familiale avant d’en prendre la Présidence et la direction générale. Issue d’une famille d’entrepreneurs, la jeune femme a rapidement compris que le cumul de ses fonctions pourrait générer des conflits d’intérêts. Membre de la famille oui, mais naïve, certainement pas !
Consciente de porter une quadruple casquette (actionnaire, Présidente du CA, dirigeante et membre de la famille) la jeune dirigeante s’inspire de l’expérience de ses pairs via « Entre Chefs PME », une association de chefs d’entreprises basée au Canada. L’ouverture de son Comité de direction à une personne externe à l’entreprise a fait partie des mesures déjà prises pour « aborder franchement les problèmes » et lutter contre la discussion entre soi. Efficace pour l’opérationnel, ce dispositif ne permet cependant pas de traiter de sujets stratégiques, qui incombent au Conseil d’administration.
Du côté du Conseil d’administration justement, celui d’Aprotec est 100 % familial. « Mes sœurs permettent d’élargir le débat » relève Anne-Sophie, l’une apportant ses compétences en droit, l’autre des connaissances transversales issues d’une expérience professionnelle dans une multinationale. « Mon père veille au respect des valeurs de l’entreprise » précise-t-elle, avant d’ajouter qu’en cas de conflit d’intérêt, ce sera toujours l’entreprise avant la famille.
Selon Anne-Sophie Dunand-Blaesi, c’est pour la génération suivante (4ème) qu’il faut maintenant préparer le terrain. Bien qu’un pacte familial et un pacte d’actionnaires existent déjà, c’est du côté de l’entrée d’externes au Conseil d’administration ou de la création d’un Comité consultatif que la dirigeante réfléchit ; En s’adjoignant les compétences d’administrateurs externes expérimentés, elle pense pouvoir préparer le terrain pour la prochaine génération tout en formalisant progressivement le code de gouvernance dont l’entreprise, en grandissant, aura forcément un jour besoin.
Plus que centenaire, GPPH (1’800 employés dans le groupe) a déjà traversé des crises et tiré de celles-ci un modèle de gouvernance très inspirant dont parlent avec clairvoyance François von Ernst et Nicolas de Toledo, tous deux membres de la 4ème génération de l’entreprise familiale.
C’est la 3ème génération de la famille qui a pris le sujet des conflits d’intérêts à bras le corps il y a près de 20 ans, avec de nombreuses réflexions suivies d’actions très concrètes. « La création d’un groupe avec une structure holding et des filiales a permis de répartir les risques et de mettre en place une structure distincte selon les sujets à adresser » relèvent François et Nicolas. En parallèle, l’intégration d’administrateurs externes dans la holding et les filiales a permis de disposer d’avis neutres et compétents agissant comme un filet de sécurité en cas de conflits d’intérêts. Enfin, les règles de gouvernance ont été affinées, les rôles et responsabilités de chacun précisés. « C’est la culture de l’entreprise et de la famille qui permet de communiquer en toute transparence, d’identifier les éventuels conflits d’intérêt et d’en parler ouvertement » relève Nicolas de Toledo. Compétences et performances sont privilégiées et testées lors de la sélection des membres familiaux qui veulent rejoindre le groupe. Cette sélection est effectuée par des administrateurs externes membres des différents conseils du groupe. Il ne suffit pas d’être un membre de la famille, il faut prouver la valeur-ajoutée apportée.
L’entreprise grandissant et la famille aussi, les 15 membres de la 4ème génération ont créé le « Conseil 4G », structure informelle qui permet d’échanger, de discuter de l’avenir et de proposer des initiatives aux instances dirigeantes du groupe. En quelques années, le Conseil 4G est devenu une force de proposition bien accueillie par les actionnaires familiaux mais aussi par les instances dirigeantes du groupe. Du Conseil 4G est d’ailleurs née la dernière filiale du groupe, Résidences Principales, ainsi qu’un processus de sélection des administrateurs familiaux et une charte d’administrateurs qui demande l’engagement d’identifier et de déclarer tout éventuel conflit d’intérêts. Établir une vision commune et une communication transparente permettent un alignement d’intérêts entre actionnaires, administrateurs, et dirigeants. Dans tous les cas de figure, la pérennité de l’entreprise familiale reste l’objectif principal.
« Le risque de conflits d’intérêts peut augmenter avec le temps et la croissance de l’entreprise » rappellent les deux cousins. Dans l’aventure entrepreneuriale, si plusieurs casquettes sont généralement portées par le même individu au départ, les conflits d’intérêts peuvent apparaitre quand un ou plusieurs membres de la famille et plusieurs générations occupent différentes positions dans l’entreprise. GPPH s’y est préparée en mettant en place des solutions et une structure appropriée depuis des années dans l’intérêt à long terme du groupe, de ses collaborateurs, de la famille propriétaire et pour les générations futures.
*à propos de l’auteure
Anne Southam Aulas – Membre du Comité de swissVR
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