Par Isabelle Amschwand swissVR
La publication du swissVR Monitor I/2025 offre un éclairage sur le rôle stratégique des conseils d’administration (CA) à l’aube d’une décennie marquée par le vieillissement accéléré de la population. Interrogés entre novembre 2024 et janvier 2025, 360 administratrices et administrateurs, issus aussi bien de sociétés cotées que de PME, livrent leur diagnostic : la question démographique n’est plus un signal faible, mais un déterminant majeur de la performance et de la résilience des entreprises suisses.
Quatre administrateurs sur dix constatent d’ores et déjà l’impact du vieillissement sur leur entreprise, et 20 % supplémentaires s’y attendent d’ici trois ans. Pourtant, seuls 57 % des CA ont inscrit ce thème à l’ordre du jour durant l’année écoulée et 45 % admettent ne pas lui consacrer assez de temps. Le décalage entre la gravité perçue et l’attention allouée révèle une tension classique de gouvernance : l’urgence opérationnelle éclipse trop souvent les enjeux structurels, alors même qu’ils redéfinissent les marchés, les clients et le capital humain.
L’étude montre que 88 % des administrateurs se jugent suffisamment informés pour évaluer les effets du changement démographique, mais qu’à peine 37 % des CA se sont fixé des objectifs mesurables sur le sujet. Les réponses organisationnelles restent fragmentaires :
Interrogés sur leur propre fonctionnement, les administrateurs prévoient que le changement démographique touchera d’abord l’organisation du travail au sein de l’entreprise (69 %), la stratégie (68 %) et la culture managériale (68 %). La composition même du conseil figure quant à elle en bas de classement (44 %). Pour les comités de nomination, de rémunération ou de risques, l’enjeu sera de traduire ces pourcentages en feuilles de route explicites : scénarios de succession, compétences numériques et sensoriel client senior, indicateurs ESG liés à l’âge, etc.
Convaincus que le levier réglementaire reste décisif, 87 % des administrateurs appellent à assouplir la législation sur le temps de travail hebdomadaire, 90 % souhaitent des incitations fiscales pour prolonger l’activité après 65 ans et 97 % défendent les avantages fiscaux liés à la prévoyance vieillesse. « Les mesures étatiques peuvent contrecarrer dans une certaine mesure les effets du changement démographique, mais ne peuvent pas les mitiger à elles seules. Outre les incitations positives au travail, il est impératif de préserver ou de renforcer notre capacité d’innovation », rappelle le Conseiller fédéral Guy Parmelin. Bettina Schaller, Présidence de World Employment Corporation, insiste, elle, sur la double exigence de flexibilité et d’inclusion : « L’assouplissement des modèles de travail est indispensable, mais il doit être complété par la formation continue et la lutte contre la discrimination liée à l’âge. » Enfin, Nathalie Bourquenoud, membre du Conseil d’administration de la Vaudoise, alerte : « Ignorer le changement démographique, c’est comme refuser de voir que la marée monte quand on est en bateau ».
Au‑delà des ajustements tactiques, la priorité pour les CA est d’intégrer la dynamique démographique dans chaque cycle stratégique : diagnostic des impacts sectoriels, scénarios de demande, redéploiement des compétences et refonte des politiques d’investissement. Tandis que la pénurie de talents se double d’une mutation des bassins de consommation, les administrateurs devront arbitrer entre productivité et personnalisation, automatisation et empreinte humaine, court terme et création de valeur durable. Les CA qui sauront orchestrer cette transition placeront la gouvernance suisse à la pointe d’une économie dont le premier moteur de compétitivité reste, plus que jamais, l’anticipation.
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