Par *Leïla El Khadar Coach en Bien-être professionnel
On entend souvent parler du burn-out, fléau des open spaces, dû en grande partie à une surcharge de travail. Mais qu’en est-il du brown-out ?
Peu connu et pourtant très répandu, le brown-out représente l’une des maladies silencieuses du monde du travail moderne. Ce terme anglo-saxon, littéralement traduit par « court-circuit » ou « pétage de plomb », désigne cette explosion interne qui conduit à une perte totale de sens.
« Qu’est-ce que je fais là ? C’est donc ça ma vie ? Pourquoi est-ce que je fais tout ça ? »
Contrairement au burn-out, qui surgit brutalement d’une surcharge, le brown-out s’installe lentement. Il trouve son terrain dans plusieurs causes profondes.
Souvent, on se laisse porter par les opportunités : on prend un poste « pratique », par sécurité, pour avancer, pour plaire à son entourage ou parce qu’on s’entend bien avec un manager mais sans jamais s’interroger sur le sens profond de ce choix. Résultat : un jour, la question refait surface.
De nombreux postes se résument à une succession de tâches, sans vision d’ensemble. C’est souvent le cas de fonctions créées dans l’urgence, sans réelle définition. On se retrouve alors à exécuter, mécaniquement, des actions qui pourraient parfois être automatisées par un logiciel ou une IA. La lassitude s’installe, car rien ne nourrit l’intelligence, la créativité, ni le sentiment d’utilité.
La multiplication des diplômés de l’enseignement supérieur accentue ce malaise. Après des années d’études, beaucoup se retrouvent dans des postes qui leur demandent de mettre leur cerveau en veilleuse, sans exploiter leur potentiel les amenant peu à peu à perdre la raison de leur venue au bureau chaque matin.
Dans certaines entreprises, tout devient urgent et prioritaire, même l’insignifiant. On croule sous des mails, des réunions ou des deadlines absurdes. Ce climat permanent d’urgence vide le travail de tout sens.
Dans les métiers bureaucratiques — gestion de projets, reporting, coordination — on peut vite se sentir déconnecté du monde concret. Contrairement à un infirmier, à un physiothérapeute ou un paysagiste, on ne voit plus l’impact direct de son action. Cette distance accentue la perte de sens.
Parfois, on ne croit plus à ce qu’on fait. Mais il faut continuer, parce qu’il y a un crédit à rembourser, une famille à nourrir. Le décalage entre ses valeurs profondes et son quotidien professionnel devient insupportable.
Enfin, les inégalités entretiennent le malaise : un salaire qui ne reflète pas son potentiel, des écarts entre collègues pour le même poste, ou encore des écarts entre hommes et femmes. Alors résonne cette phrase intérieure :
Autant de raisons qui, un jour ou l’autre, font que ça pète !
La cristallisation par le choc…
Le brown-out finit souvent par se cristalliser à travers un choc ou une prise de conscience.
Un choc extérieur : Accident, perte d’un proche, rupture sentimentale, licenciement… Ces événements rappellent brutalement que la vie est fragile et précieuse. Il devient alors impossible de la consacrer à autre chose que ce qu’il y a de plus essentiel.
Un rendez-vous manqué avec son enfant, un anniversaire raté, la découverte qu’un proche a franchi une étape de sa vie sans nous. Ce sont des électrochocs silencieux qui réveillent le malaise latent.
Enfin, le brown-out peut émerger sans événement extérieur particulier. Un matin, face à son écran, on ressent soudainement que plus rien n’a de sens. La sidération frappe :
Les symptômes psychosomatiques…
Le brown-out ne se limite pas à un malaise intellectuel ou à un sentiment passager de lassitude. Il s’installe dans le corps, le quotidien, et affecte profondément la manière dont on vit et ressent chaque journée.
On n’apprend plus, on ne progresse plus. Chaque tâche devient mécanique, chaque réunion ou chaque e-mail se répète sans éveiller la curiosité ni la réflexion. La sensation de stagnation devient pesante, comme si l’esprit était prisonnier d’une routine sans fin. On se surprend à rêver d’autre chose, d’activités qui nourrissent vraiment notre intelligence et notre créativité, mais sans jamais passer à l’action.
Le travail perd son sens. Chaque geste paraît déconnecté du monde réel. On se demande : « Si j’arrêtais demain, est-ce que ça changerait quelque chose ? » La réponse semble toujours négative, renforçant l’impression que ses efforts sont vains. Cette perte de valeur perçue s’étend au-delà du travail : elle touche aussi l’estime de soi et la perception de sa contribution à la société ou à son entourage.
Ne pas pouvoir exprimer sa créativité, ses compétences ou sa singularité engendre une frustration profonde. On se sent interchangeable, réduit à des tâches répétitives et automatisables. La personnalité s’efface derrière le processus, et chaque journée ressemble à la précédente. Ce décalage entre ce que l’on pourrait apporter et ce que l’on est réellement autorisé à faire devient une source majeure de malaise psychique.
Le brown-out finit par se manifester physiquement : fatigue chronique, insomnies, perte d’appétit, dissociation, crises d’angoisse, crises de panique, disparition de la joie et isolement social sont autant de signaux que le corps envoie pour exprimer ce que l’esprit ne peut plus supporter. Les gestes simples du quotidien deviennent lourds, la motivation disparaît, et la sensation d’être épuisé avant même de commencer la journée s’installe. Le corps devient le miroir fidèle d’un esprit en détresse, signalant qu’un réajustement est nécessaire avant que le malaise ne dégénère en burn-out car le brown-out lui ouvre souvent la voie.
En effet, à force de chercher un sens qu’on ne trouve pas, on finit par s’épuiser mentalement et physiquement jusqu’à l’effondrement.
Quand le brown-out frappe, la première étape est de s’arrêter. Cela peut être quelques jours de congé, un congé sabbatique, ou simplement un moment pour prendre du recul, respirer, souffler et observer sa vie depuis un peu de distance, pour retrouver de la clarté et de l’énergie.
Reconnecter le corps et l’esprit devient alors essentiel. Sport doux, massages, siestes ou simplement une alimentation plus équilibrée permettent de retrouver un socle physique solide, base indispensable pour que l’esprit puisse se régénérer.
Mais se reconnecter ne se limite pas au corps : il s’agit aussi de retrouver ce qui fait vibrer, retrouver ses passions — lecture, musique, bricolage, cuisine, peinture… — Tout cela ranime le plaisir, redonne envie et rappelle l’énergie de vie.
Il est également crucial de se reconnecter à son enfant intérieur. Regarder de vieilles photos, replonger dans les souvenirs de jeux et d’activités d’enfance, réactiver cette spontanéité oubliée : ce sont autant de moyens de ramener de la joie et de la légèreté dans le quotidien.
Se reconnecter à la nature ou à ses racines profondes permet aussi de s’ancrer. Voyager, jardiner, pratiquer la poterie ou simplement passer du temps à s’émerveiller, à contempler le monde autour de soi aide à reprendre contact avec le réel, à retrouver une stabilité émotionnelle et à se rappeler ce qui compte pour soi et ce que nous sommes vraiment.
Agir avant que le brown-out ne s’installe, c’est redonner perpétuellement du sens à son travail. Chaque tâche doit être reliée à une finalité : comprendre l’impact à une échelle macro de ce que l’on fait évite le sentiment d’absurde. S’inscrire dans une cause plus grande — sociale, environnementale, collective en s’appuyant, par exemple, sur les 17 objectifs de développement durable des Nations Unis nourrit le sens et transforme le travail quotidien en contribution réelle.
Il est essentiel de prendre du temps pour ce qui compte vraiment : ses proches, ses passions, soi-même. Se déconnecter un peu du flux constant de travail permet de retrouver de l’énergie, de la clarté, et de se rappeler ce qui a réellement du sens.
Proposer et contribuer à l’automatisation des tâches répétitives est une autre manière de prévenir la perte de sens. En collaboration avec sa hiérarchie, identifier ce qui peut être automatisé ou simplifié permet non seulement d’optimiser son travail, mais aussi de se concentrer sur des missions plus stimulantes et enrichissantes et ainsi d’éviter la perte de sens
S’impliquer dans de nouveaux projets, chercher continuellement à apprendre et à se dépasser maintient l’esprit actif, et engagé. Cette dynamique d’apprentissage permanent nourrit le sentiment d’utilité et la croissance intérieure.
Enfin, il est crucial de travailler dans un environnement aligné avec son parcours et sa valeur. Choisir un poste qui correspond à ses compétences et à ses diplômes, mais également négocier une rémunération juste après avoir pris le temps de réaliser un benchmark du marché. Ces gestes concrets permettent de transformer le travail en un lieu où l’on se sent motivé, utile, et reconnu plutôt qu’en une simple obligation quotidienne.
Enfin, cultiver son « why », son « pourquoi », sa raison d’être, aide à transformer un travail donné en une opportunité de contribuer au monde, à trouver du sens même dans les moments de routine et de répétition, à raccrocher son activité quotidienne à son existence.
*A propos de l’auteure: J’accompagne les personnes en souffrance professionnelle à retrouver une voie qui a du sens en mêlant outils de bien-être (EFT, Hypnose) et outils d’orientation (MBTI, bilans de compétences et de passions). Une approche globale, à la fois humaine & pragmatique.
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