Par Sherif Mamdouh
En Suisse, la vente d’un bien immobilier est souvent la transaction financière la plus importante de la vie d’un ménage. Pourtant, derrière ce moment décisif se cache un paradoxe : alors que les enjeux sont considérables, les propriétaires s’en remettent le plus souvent à un acteur dont les intérêts ne sont que rarement alignés avec les leurs – le courtier immobilier.
Comme le rappelle Patrice Choffat, fondateur de la société Bestag, dans son ouvrage 100’000 francs de plus, ça vous dit ?, « en Suisse, chaque jour, une propriété se vend 100’000 francs ou plus en dessous de sa valeur, parce que son propriétaire l’ignore ou qu’il est mal conseillé… et il ne découvre jamais la vérité ».
Ce déséquilibre est presque systématique : le vendeur, novice et souvent en situation de stress, fait face à un professionnel rompu aux négociations et aux ficelles du marché.
Le courtage immobilier reste une profession non encadrée par une réglementation stricte. « La profession de courtier n’est pas réglementée. N’importe qui peut se proclamer expert immobilier », écrit Choffat, rappelant qu’il existe de grandes disparités de compétence et d’éthique selon les praticiens.
Résultat : de nombreux propriétaires confient leur mandat sur la base d’une estimation gratuite ou d’un flyer reçu dans la boîte aux lettres, parfois au détriment de centaines de milliers de francs de valeur perdue.
La fixation du prix de vente concentre tous les risques. Trop bas, et le vendeur perd une fortune. Trop haut, et le bien « brûle » sur le marché, forçant une baisse brutale. Choffat souligne que « de faibles variations du prix de vente peuvent impacter très fortement les fonds propres restants après la transaction ».
Il cite l’exemple d’un propriétaire prêt à vendre à 900’000 francs, alors qu’après un processus plus rigoureux, une acheteuse a offert 1,3 million. Une différence de 400’000 francs – soit 44 % de plus – pour une seule et même maison.
Le cœur du problème réside dans la structure même de la rémunération. Sur une vente à un million de francs, le courtier perçoit en moyenne 30’000 francs de commission. S’il propose de baisser le prix de 100’000 francs pour vendre plus vite, il obtient tout de même 27’000 francs – quasiment le même revenu –sans avoir eu à fournir le moindre effort commercial. Le vendeur perd un dixième de la valeur de son bien, mais le courtier n’y voit pas de véritable désavantage. L’« incentive » à défendre le prix le plus élevé possible est donc largement absente de l’équation.
Alors, le courtage immobilier est-il « malade » ? À bien des égards, oui : malade d’un manque de transparence, d’un alignement d’intérêts parfois défaillant, et d’une absence de régulation crédible. Mais la situation peut évoluer : des approches plus rigoureuses, des mécanismes d’évaluation plus transparents et des modèles incitatifs mieux pensés montrent qu’il est possible de rééquilibrer la relation entre vendeur et courtier, et de redonner confiance dans un métier aujourd’hui fragilisé.
Pour approfondir le sujet, le livre de Patrice Choffat « 100’000 francs de plus, ça vous dit ? » est disponible sur Amazon (Kindle) ou en version papier sur bestag.ch/livre.
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