Photo de gauche à droite, Nicolas Domnesques et Darius C. Shirazi © e-Investing
Démocratiser l’investissement, vulgariser le jargon boursier, faire de l’éducation financière à destination d’un public mis de côté, pourtant majoritaire. C’est l’idée qui a germé dans la pensée bicéphale du tandem Darius C. Shirazi et Nicolas Domnesques. Deux vingtenaires rompus à la finance et qui utilisent les codes des réseaux sociaux pour s’adresser à une audience désireuse de se constituer un capital. A travers e-Investing, ils transforment les novices en bons gestionnaires et investisseurs en puissance. Le Monde Economique s’est entretenu avec l’un des co-fondateurs, Darius C. Shirazi.
Sabah Kadddouri: Votre associé Nicolas Domnesques et vous, apportez un changement culturel dans l’accès au monde de la bourse. Qu’est-ce qui vous a décidé à remettre en question ce statu quo ?
Darius C. Shirazi : Quand j’ai terminé mes études en Finance à Londres et à HEC Paris, puis après avoir travaillé dans de grandes banques à Genève et à Zurich, j’ai été frappé par une réalité surprenante : personne ne m’avait appris à gérer mes propres finances personnelles. Et mon associé Nicolas, qui a suivi un parcours similaire à Paris Dauphine et HEC Paris avant de travailler dans de grandes banques d’investissement en France, est arrivé au même constat. On nous formait à analyser des marchés internationaux complexes, à gérer des portefeuilles de plusieurs millions, mais jamais à répondre à une question pourtant essentielle : Comment investir intelligemment notre propre argent ?
Même parmi nos collègues en banque ou dans les meilleures écoles d’Europe, rares étaient ceux qui savaient réellement comment investir pour eux-mêmes. Alors, imaginez ce que cela représentait pour le grand public… Ce décalage a été pour nous un véritable déclic. Avec e-Investing, nous avons voulu changer cette culture. L’investissement ne doit pas rester un privilège réservé à une élite ou à ceux qui disposent d’un banquier privé. En Suisse, beaucoup perçoivent encore ce domaine comme intimidant, voire effrayant, en particulier à cause de la fiscalité et des déclarations qui paraissent complexes. Pourtant, investir peut commencer simplement, dès 50 CHF par mois à condition d’avoir les bonnes bases.
Notre mission est donc de rendre ces connaissances accessibles, de briser le jargon trop souvent perçu comme une barrière, et de montrer que l’investissement peut être un formidable outil d’égalité des chances.
Sabah Kadddouri: On entend souvent que l’école devrait aussi être le lieu où l’on enseigne la nutrition, le développement durable ou la gestion des émotions. Pourquoi devrait-on aussi militer pour inclure l’éducation financière parmi les softs skills ?
Darius C. Shirazi : En Suisse, on parle beaucoup d’égalité des chances, que ce soit à l’école ou dans le système de santé. Mais dès qu’on touche aux finances personnelles et à l’investissement, cette égalité s’efface. La plupart des gens découvrent comment gérer leur argent uniquement à travers leur entourage. Résultat : des notions pourtant simples, comme la Bourse ou les intérêts composés, restent largement réservées à une minorité déjà informée. Et cela a des conséquences très concrètes. Prenons un exemple : une personne qui commence à investir 100 CHF par mois dès l’âge de 20 ans, et qui suit simplement la moyenne du marché pendant 40 ans, peut se retrouver à 60 ans avec plus de 320’000 CHF. Mais encore faut-il savoir que cette possibilité existe. Et pour moi, l’école serait l’endroit idéal pour transmettre ces bases, à un moment où les esprits sont encore curieux et ouverts.
Je me dis souvent que certaines heures de cours auraient pu être utilisées autrement. Pourquoi n’avons-nous pas eu, à côté de la géographie ou de la chimie, des leçons sur la gestion d’un budget ou sur l’effet boule de neige des intérêts composés ? Investir, ce n’est pas chercher à s’enrichir à tout prix. C’est surtout apprendre à gérer les ressources que l’on a, exactement comme on apprend à équilibrer son alimentation ou à adopter des comportements responsables.
Sabah Kadddouri: Au fond, que nous enseigne l’éducation financière ?
Darius C. Shirazi : Elle enseigne des qualités essentielles : la discipline, la patience, la gestion du risque. Autant de compétences qui servent dans tous les domaines de la vie. Chez e-Investing, nous le constatons chaque jour : des personnes mieux informées financièrement prennent des décisions plus réfléchies, que ce soit pour préparer leur avenir, soutenir des projets durables ou simplement éviter des erreurs coûteuses.
Beaucoup regrettent de ne pas avoir appris ces bases plus tôt… Parce que chaque jour qui passe, c’est un jour où l’inflation grignote leur pouvoir d’achat et où ils se sentent moins en contrôle de leurs finances. Mais la bonne nouvelle, c’est qu’il n’est jamais trop tard car il reste toujours possible de reprendre les choses en main.
Sabah Kadddouri: Votre duo est très suivi sur les réseaux sociaux ; comment parler à une audience plurielle et s’imposer comme un acteur de confiance ?
Darius C. Shirazi : Ces dernières années, Nicolas et moi avons eu la chance de rassembler une très large communauté sur les réseaux sociaux, et nous en sommes profondément reconnaissants. Dès le départ, notre objectif n’a jamais été de “faire du buzz”, mais d’aider les gens à comprendre un univers qui leur paraissait lointain. Et je crois que c’est précisément cette approche qui explique l’engouement autour d’e-Investing.
Bien sûr, tout le monde peut parler de finance en ligne. Mais avoir étudié plusieurs années dans de grandes écoles, travaillé dans les banques à Genève, Paris et Zurich, et géré des portefeuilles au quotidien, cela nous donne une légitimité supplémentaire que notre communauté perçoit. Surtout, nous n’avons jamais vendu de rêve irréaliste. La promesse de devenir riche du jour au lendemain est exactement ce qui pousse tant de gens à prendre de mauvaises décisions et à perdre de l’argent en Bourse. Cette transparence et cette honnêteté manquent cruellement dans l’écosystème en ligne, et je pense que c’est aussi ce qui nous distingue.
Nous avons fait le choix de miser sur la qualité, la régularité et la transparence totale. Nous allons jusqu’à montrer nos propres portefeuilles, pour prouver que ce que nous enseignons est concret. Nos contenus visent à vulgariser les concepts financiers, à les rendre accessibles et pratiques, afin de donner aux gens les outils d’éducation financière qu’ils n’ont jamais reçus à l’école. Aujourd’hui, plus d’un million de personnes suivent nos contenus. Et chaque vidéo, chaque publication leur rappelle que la finance n’a pas besoin d’être compliquée ou intimidante.
Sabah Kadddouri: e-Investing a une expertise sur le marché francophone. Parlez-nous des spécificités suisses ?
Darius C. Shirazi : La Suisse est sans doute l’un des pays les plus favorables au monde pour investir. Quand on est résident suisse, on bénéficie d’opportunités fiscales et pratiques que nos voisins européens ne peuvent qu’envier. Par exemple, il est possible d’investir à long terme et de ne payer aucun impôt sur ses plus-values, à condition de respecter certains critères. C’est ce qu’on appelle le statut “d’investisseur privé”. À l’inverse, un investisseur considéré comme “professionnel” verra ses gains imposés. La différence se joue sur des éléments précis : la durée de détention, le volume de transactions, l’activité principale, l’utilisation de l’endettement ou encore des produits dérivés. J’ai d’ailleurs consacré plusieurs vidéos sur ma chaîne Darius CH à ce sujet, car trop peu de gens savent que, bien utilisés, ces avantages font de la Suisse un terrain d’investissement exceptionnel.
À cela s’ajoute le fameux pilier : « 3a », une véritable spécificité suisse, qui permet de préparer sa retraite en investissant tout en réduisant son revenu imposable. Dans d’autres pays, investir peut signifier payer 30 % d’impôts. Ici, c’est l’inverse : investir permet même d’alléger sa fiscalité. C’est extrêmement puissant, à condition de bien comprendre le fonctionnement. Et la fiscalité n’est qu’un aspect parmi d’autres. Investir en Suisse, c’est aussi tenir compte du risque de change (le “hedging”), comparer les frais bancaires, comprendre les produits d’investissement locaux et savoir déclarer correctement ses avoirs. Tout cela peut sembler complexe, surtout pour quelqu’un qui ne vient pas du monde de la finance.
C’est exactement ce que nous faisons chez e-Investing : aider les gens à naviguer dans ce système complexe, à comprendre les règles et à transformer ce qui paraît être un labyrinthe administratif en une véritable opportunité.
Sabah Kadddouri: Sur quelles valeurs boursières miser et pourquoi selon vous ?
Darius C. Shirazi : Honnêtement, il n’y a pas de recette magique en matière d’investissement. Les bases restent toujours les mêmes : diversifier, penser à long terme et bien gérer son risque. Et tout commence par une question toute simple : quel est mon profil d’investisseur ? C’est d’ailleurs la première étape que nous abordons parce qu’avant de parler de bourse, il faut savoir jusqu’où on est prêt à aller en termes de risque.
Ensuite, je crois qu’il est essentiel d’aligner ses choix financiers avec ses valeurs personnelles. On ne peut pas se dire opposé à la guerre et investir massivement dans l’armement. Investir, ce n’est pas seulement faire fructifier son argent, c’est aussi donner du sens à ce que l’on soutient. Et à long terme, on est toujours plus serein quand ses placements reflètent ce en quoi on croit.
Pour les prochaines années, deux thématiques me paraissent particulièrement intéressantes. La première, c’est l’intelligence artificielle. Elle transforme déjà des secteurs entiers – la santé, la finance, l’industrie – et les investissements massifs réalisés, notamment aux États-Unis l’an dernier, montrent bien qu’on n’est qu’au tout début du mouvement. Le potentiel est colossal. La deuxième, c’est l’argent, le métal précieux. Contrairement à l’or, qui reste avant tout une valeur refuge, l’argent a aussi une forte utilité industrielle. On en a besoin pour les panneaux solaires, les batteries, l’électronique… Avec la transition énergétique et la montée en puissance des technologies vertes, la demande structurelle est appelée à croître fortement.
Sabah Kadddouri: La Suisse laisse-t-elle de la place aux investisseurs novices et entrepreneurs avides de bâtir une success story ?
Darius C. Shirazi : La Suisse offre un terrain incroyable pour investir, même quand on débute. C’est un marché extrêmement diversifié : on y trouve le luxe avec l’horlogerie, l’agroalimentaire avec des géants comme Nestlé, une industrie pharmaceutique énorme avec Roche, des banques parmi les plus prestigieuses au monde, mais aussi une multitude de PME innovantes, sans oublier la construction, la recherche scientifique ou encore les ONG. Peu de pays, surtout de la taille de la Suisse, peuvent se vanter d’être leaders dans une telle variété de secteurs. Cela signifie qu’ici, on bénéficie d’une diversification naturelle, à la fois par industrie et par l’ouverture internationale de nos exportations.
À cela s’ajoute la solidité du franc suisse, l’une des monnaies les plus stables au monde, et un cadre fiscal unique : comme je l’ai dit plus tôt, un résident suisse peut investir à long terme sans payer d’impôt sur ses plus-values. Franchement, il est difficile de trouver de meilleures conditions ailleurs.
Pour un investisseur novice, le plus gros frein n’est pas l’environnement – il est déjà très favorable – mais simplement le manque d’information et de compréhension. Nous donnons les clés pour franchir ce premier pas et investir en confiance. Mais il faut aussi sensibiliser les gens, leur montrer que cette opportunité qu’ils ont en tant que Suisses ou résidents suisses est unique, et qu’ils peuvent vraiment en tirer parti.
Quant aux entrepreneurs, la Suisse est aussi une formidable source d’inspiration. On y est exposés à des industries très variées, à des réseaux solides et à de nombreux exemples de réussite qui donnent envie de se lancer. Pour un pays relativement petit, la densité d’innovations et d’opportunités est impressionnante. Ici, les chemins vers le succès sont multiples : chacun peut trouver sa voie. En réalité, les opportunités sont déjà là. La différence se fait simplement entre ceux qui osent les saisir et ceux qui les laissent passer.
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