Par Dominique Alain Freymond* – (Gouvernance – dossier spécial)
Découvrez comment un haut dirigeant, confronté à un conflit d’intérêts perçu, a dû faire un choix décisif pour préserver l’intégrité de son entreprise. Cet article explore, à travers une anecdote captivante, les subtilités et les défis liés à la gestion des conflits d’intérêts perçus dans la gouvernance d’entreprise. Il offre des enseignements essentiels sur la transparence et la prise de décision éthique au sein des conseils d’administration.
Pascal est membre actif du conseil d’administration de l’entreprise suisse Cervin SA depuis plusieurs années. Sa participation en présentiel aux séances suppose toutefois de longs déplacements, car il travaille en France pour une grande entreprise de télécommunications. La séance touche à sa fin. Au point des divers, Pascal annonce fièrement qu’il revient s’installer en Suisse, ce qui réduira considérablement ses déplacements pour assister aux réunions du conseil. Le président accueille cette bonne nouvelle avec enthousiasme et se réjouit de la plus grande disponibilité de Pascal. Curieux, son collègue Étienne s’intéresse aux raisons de ce retour. Pascal explique alors qu’il vient d’accepter le poste de CIO au sein de la grande banque Himalaya SA.
Sans être une banque, Cervin SA mène certaines activités dans le secteur financier. Afin de dissiper tout malentendu, Pascal précise immédiatement que sa nouvelle fonction, à la tête de l’informatique, ne lui donne pas accès à des informations commerciales ou stratégiques sensibles concernant les activités d’Himalaya SA. Par ailleurs, il ne siège qu’au sein de la direction opérationnelle, et non au conseil d’administration de la banque. Conscient de la complexité de la situation, fort d’une longue expérience en management, il rassure le conseil sur sa capacité à gérer avec lucidité tout éventuel conflit d’intérêts. Il affirme savoir appliquer le principe du Chinese Wall.
Ses explications amènent toutefois le président à approfondir la réflexion. Bien qu’il accorde une entière confiance à Pascal pour gérer cette nouvelle situation de manière professionnelle, il soulève la question du conflit d’intérêts perçu. Il identifie deux sources de préoccupation :
1 • Le responsable de la division finance de Cervin SA se sentira-t-il à l’aise de présenter une nouvelle stratégie commerciale devant un conseil où siège désormais un cadre dirigeant d’Himalaya SA ?
2 • Le marché et les médias pourraient-ils interpréter la situation comme une relation privilégiée entre les deux entreprises, risquant ainsi de nuire à d’autres projets de collaboration ?
Face à l’importance de ces considérations – bien qu’il ne s’agisse que de perceptions – le président conclut, à regret, qu’il serait préférable que Pascal renonce à son mandat d’administrateur. Ce dernier, bien que profondément déçu, reconnaît avec réalisme que sa démission, honorable et parfaitement compréhensible, constitue la seule solution viable. Il quitte donc le conseil peu avant son entrée en fonction chez Himalaya SA.
Réalité inhérente à la gouvernance, les conflits d’intérêts ne sont pas une faute ni une honte, mais une situation qu’il convient de gérer avec professionnalisme et en toute transparence. Le processus de gestion d’un conflit d’intérêts réel reste relativement clair. En revanche, la notion de conflit d’intérêts perçu est bien plus délicate à appréhender.
Par principe, dès qu’un membre du conseil soupçonne qu’une situation pourrait être mal interprétée ou donner lieu à un préjugé défavorable, il doit immédiatement en faire part au président du conseil. À ce dernier revient ensuite la responsabilité de décider, en toute transparence avec les autres membres, des mesures à prendre dans l’intérêt supérieur de l’entreprise. Bien entendu, si c’est le président lui-même qui est concerné, il devra s’adresser au vice-président ou au responsable du comité de nomination pour examiner les décisions à prendre.
Dans tous les cas, il est essentiel que toute situation susceptible de générer un conflit d’intérêts, réel ou perçu, soit documentée dans un procès-verbal. Ce dernier doit mentionner clairement les personnes concernées, les mesures prises pour résoudre le problème, ainsi que le niveau de confidentialité jugé approprié.
*à propos de l’auteur
Dominique Alain Freymond
Administrateur indépendant et consultant en gouvernance (alderus.ch)
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