Monde Économique : Barbara Rohn, vous cumulez plus de quinze ans d’expérience dans la finance et l’immobilier. Pourriez-vous nous retracer votre parcours académique et professionnel, et nous expliquer comment il vous a menée à diriger aujourd’hui vos propres structures ?
Barbara Rohn : J’ai effectué toute ma scolarité en Suisse, avant de me former initialement comme gestionnaire de vente. Mais très vite, l’envie d’élargir mes horizons m’a poussée à reprendre des études supérieures en Angleterre, où j’ai approfondi le business management international tout en perfectionnant mon anglais. Cette double compétence, technique et linguistique, m’a ouvert les portes de divers secteurs : banques, assurances, PME. Depuis vingt ans, j’ai choisi l’indépendance, un choix guidé par ma volonté d’allier expertise financière et relation client sur mesure.
Monde Économique : Votre parcours démontre une capacité à naviguer entre différents écosystèmes. Dans un contexte où les frontières entre banque, assurance et immobilier s’estompent avec l’émergence des fintechs, comment positionnez-vous votre offre de conseil pour rester pertinente face à ces acteurs hybrides qui disruptent les modèles traditionnels ?
Barbara Rohn : La convergence des secteurs et l’émergence des fintechs ne constituent pas une menace, mais plutôt un catalyseur pour réaffirmer l’essence même de notre métier. Les algorithmes et plateformes digitales excellent dans l’exécution standardisée, mais elles butent sur la complexité des situations patrimoniales réelles qui nécessitent une compréhension holistique des enjeux familiaux, fiscaux et transfrontaliers. Notre différentiel réside dans cette capacité à tisser des liens de confiance sur la durée et à appréhender la dimension émotionnelle des décisions financières, ce qu’aucune IA ne peut reproduire. Pour ma part, je pense que le véritable enjeu stratégique consiste à intégrer ces technologies non comme des concurrentes, mais comme des outils au service de notre expertise. Nous développons ainsi une approche hybride où le conseil sur mesure s’appuie sur des outils digitaux performants pour la veille réglementaire ou l’analyse de scénarios, tout en conservant l’interprétation humaine des données.
Cette symbiose nous permet de concentrer notre valeur ajoutée sur ce qui compte : l’art de la négociation immobilière, l’optimisation fiscale contextuelle et surtout, l’anticipation des besoins évolutifs des clients dans un paysage financier en mutation permanente.
Monde Économique : Dans ce contexte hyperconcurrentiel où les marges se resserrent, quels sont vos véritables leviers de différenciation ?
Barbara Rohn : Dans un contexte où la pression sur les marges pousse bon nombre d’acteurs à standardiser leur offre ou à promettre des rendements miracles, j’ai choisi une autre voie. Pour moi, la différenciation ne réside pas dans un artifice marketing, mais dans une exigence quotidienne d’efficacité et de transparence. Prenons l’exemple de la fiscalité immobilière : un simple chiffre erroné peut faire basculer un montage entier. C’est pourquoi je place la rigueur au cœur de ma pratique, car elle n’est pas un détail technique, mais une responsabilité qui engage la pérennité des décisions prises.
Par ailleurs, je ne cherche pas à séduire par des résultats immédiats, mais à instaurer une relation de confiance durable, construite sur l’écoute, la clarté et la cohérence. Dans un univers saturé d’offres automatisées, je revendique un positionnement humain et engagé, où chaque conseil, chaque choix, s’inscrit dans une logique d’efficacité et d’impact durable.
Monde Économique : En observant l’émergence des family offices digitaux et des plateformes de conseil patrimonial à la demande, ne craignez-vous pas que votre modèle – bien que pertinent aujourd’hui – ne se heurte à une obsolescence structurelle ?
Barbara Rohn : Certaines situations patrimoniales trouveront effectivement une réponse satisfaisante via des plateformes digitales ou des outils standardisés, notamment lorsqu’il s’agit d’optimisations simples ou de placements bien balisés. Mais là où la complexité émerge — par exemple lorsqu’interviennent des facteurs émotionnels, des histoires familiales entrelacées, des enjeux de transmission ou des problématiques transfrontalières — le conseil ne peut se limiter à une solution préformatée. C’est précisément là que j’interviens. Mon rôle, tel que je le conçois, est d’aller chercher au-delà de la surface, de relier les données à une lecture stratégique du contexte, et de proposer des solutions qui tiennent compte de toutes les dimensions, y compris celles qui ne se mesurent pas en chiffres. Je ne me positionne pas en opposition à la technologie ; au contraire, je considère qu’elle constitue un formidable levier d’efficacité. Mais elle ne remplace pas la capacité à écouter entre les lignes, à comprendre ce qui n’est pas dit, à anticiper des résistances ou à percevoir des opportunités là où un algorithme verrait une anomalie.
Le cœur du métier de conseil, c’est cette faculté à éclairer des décisions dans leur globalité, à articuler le rationnel et l’humain. C’est aussi cela qui fait que mon modèle, loin d’être obsolète, gagne en pertinence à mesure que le monde se complexifie.
Monde Économique : Quelles perspectives ?
Barbara Rohn : Les prochaines années seront façonnées par de nombreuses mutations majeures qui redéfiniront certainement en profondeur le conseil en patrimoine financier et même fiduciaire. L’une de ces mutations, déjà amorcée, est générationnelle : l’arrivée des millennials à la tête des fortunes familiales va entraîner un basculement culturel. Ces nouveaux décideurs, nés dans un monde numérique et globalisé, attendent une réactivité instantanée, une transparence absolue et une approche sur-mesure. Ils ne veulent pas seulement comprendre comment gérer leur patrimoine, mais pourquoi le faire. Cette génération, habituée aux solutions clé-en-main tout en étant très consciente des enjeux RSE, poussera le secteur vers plus de transparence et d’impact sociétal. Le rôle du conseiller va devoir évoluer alors vers celui de traducteur stratégique, capable d’interpréter les enjeux familiaux, économiques et sociétaux dans une perspective à long terme, tout en intégrant les outils technologiques comme facilitateurs, et non comme substituts. Nous préparons cette transition.
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