BpiFrance : l’atout nº1 de l’économie française doit faire mieux

17 avril 2025

BpiFrance : l’atout nº1 de l’économie française doit faire mieux

Par Eric Marceau

Créée en 2012, la banque publique d’investissement française – BPIFrance – peut se targuer d’être l’un des moteurs de l’économie et l’innovation tricolores. Mais à l’heure où les questions de souveraineté industrielle sont de plus en plus cruciales, elle se doit mieux définir le contour de ses interventions.

BlaBlaCar pour l’autopartage, OVHcloud pour l’hébergement en ligne des entreprises, Leetchi pour les cagnottes entre amis… les exemples de success stories tricoloressont nombreux : la banque française dédiée à l’investissement et l’innovation met souvent en avant ses réussites, visibles tant en France qu’à l’international. En treize ans d’existence et de très nombreuses levées de fonds, BpiFrance a en effet servi de tremplin à de nombreuses aventures entrepreneuriale. En 2023, elle a injecté pas moind e 63 milliards d’euros dans l’économie française.

Un modèle qui se veut vertueux

Et les projets sont très divers, portés par une tendance favorable : celle du nombre de création d’entreprises en France qui a quadruplé ces vingt dernières. En janvier passé, BpiFrance annonçait d’ailleurs sa volonté de doubler le nombre de jeunes entrepreneurs à soutenir dans la création de leur structure, et ce dans les cinq ans à venir. Pour cela, l’institution publique déploie plusieurs plans stratégiques dédié à la tech, au climat ou encore au développement des quartiers. L’accent est mis en particulier sur les femmes, qu’elles soient entrepreneuses ou investisseuses. En 2024, la banque publique a ainsi lancé son programme baptisé Elles ! Bpifrance au pluriel. Selon Christelle Rogé, directrice exécutive en charge des ressources humaines de BpiFrance, « la mixité à tous les niveaux est reconnue comme un facteur de performance économique, le travail en commun d’hommes et de femmes permettant de mieux exploiter leurs expériences et leurs qualités complémentaires, ce qui favorise notamment l’innovation. […] Nous voulons permettre à chacune et à chacun d’avoir les mêmes chances pour évoluer, dans un environnement inclusif, équitable et juste ».

Les réussites de BpiFrance sont souvent mises en avant. L’une d’elles, My Little Paris, a de quoi faire rêver toute entrepreneuse en herbe : en février 2008, cinq jeunes femmes lancent une newsletter proposant idées de sorties à Paris et bons plans. Le succès est immédiat. L’entreprise grandit, est rachetée par le groupe Au Féminin, lui-même racheté par TF1 par la suite. En 2017, la fondatrice emblématique de My Little Paris quitte l’aventure. « J’ai construit My Little Paris sur des valeurs d’intimité, d’artisanat, de bouche à oreille, expliquait alors Fany Péchiodat.. Je ne pense donc pas être la meilleure personne pour assurer la prochaine étape du groupe. » Le credo de cette entrepreneuse : « Dream big, start small » et sans BpiFrance, son aventure n’aurait peut-être jamais eu lieu. Mais voilà, toutes les médailles ont leur revers. Et BpiFrance n’est pas exempte de toute critique.

La Cour des comptes n’est pas sous le charme

Si les présentations faites sont plutôt élogieuses, de nombreuses critiques ont en effet émaillé les années passées. À commencer par celles venues de la Cour des comptes qui a déjà épinglé à plusieurs reprises l’institution bancaire publique. En 2016 par exemple, la Cour a mis en cause un excès d’interventionnisme dans le financement des entreprises. Selon le rapport paru en novembre de cette année-là, « il est inquiétant que la BPI se targue d’être intervenue, en 2014, dans un tiers des ETI françaises. À ce niveau, le risque de distorsion de concurrence et d’éviction des acteurs privés devient alarmant. Si certaines initiatives de la BPI ont pu avoir des effets positifs, elles rendent perplexes quant à la déresponsabilisation des établissements de crédit, aux garanties excessives apportées conduisant des PME à prendre des risques indus, aux entraves à la libre concurrence ». Car à travers BpiFrance, c’est la gestion de l’argent public qui est en cause, principalement par le biais de différents fonds de garantie liés au Trésor public.

Plus récemment encore, en juin 2023, la Cour des comptes s’inquiétait d’un risque de substitution de BpiFrance aux acteurs du secteur privé et de risques déontologiques. Selon ce nouveau rapport de la Cour des comptes, « BpiFrance participe au capital d’entreprises qui manquent de financements privés pour financer leur développement : la banque publique gère 44 milliards d’euros d’actifs et près de 90 fonds. L’impact de son intervention sur l’économie est indéniable et le processus de sélection des investissements auxquels Bpifrance contribue est robuste. Certaines activités s’éloignent du cadre d’intervention initial : une réflexion stratégique est nécessaire pour faciliter la rotation du capital et financer de nouveaux investissements en évitant tout effet de substitution aux investisseurs privés. » En ligne de mire : la création en 2020 du fonds stratégique Lac1 et le lancement d’un fonds de private equity destiné aux particuliers.

Dans le milieu bancaire, ce rapport de 2023 avait fait l’effet d’une petite bombe. Pire, à la même époque, l’hebdomadaire Marianne avait pointé des prises illégales d’intérêts, révélant que 200 employés de la banque publique avaient « massivement investi » dans un fonds baptisé Bpifrance Entreprises 1. Ce qui a même donné lieu à une perquisition par les enquêteurs de l’Office anti-corruption. Une bien mauvaise publicité pour l’institution. Entrave à la libre concurrence, substitution aux investisseurs privés, prise illégale d’intérêts… Si l’action globale de BpiFrance en faveur de l’investissement est louée, certaines dérives semblent poser problème.

Attention au mélange des genres

La Cour des comptes n’est pas la seule à émettre des critiques à l’égard de BpiFrance dont la mission initiale reste essentiellement de soutenir toutes les entreprises françaises – en particulier celles évoluant dans des secteurs de pointe et à forte valeur ajoutée – dans leur développement et la conquête de marchés extérieurs. C’est le cas par exemple dans le secteur du digital – si cher au président Emmanuel Macron comme l’a démontré le récent Sommet pour l’Action sur l’intelligence artificielle au Grand Palais – où toutes les entreprises ne sont pas logées à la même enseigne. BpiFrance gagnerait en légitimité à rester à équidistance de tous les opérateurs de ce secteur d’activité qui attend une totale neutralité des pouvoirs publics et une vision stratégique irréprochable. Le fait par exemple que le directeur général de BpiFrance, Nicolas Dufourcq, soit également membre du conseil d’administration du think-tank Digital New Deal Foundation et surtout président du conseil de surveillance de STMicroelectronics, une entreprise de pointe dans les puces électroniques soutenue par BpiFrance, fait mauvais effet. La confusion des genres et les risques planant sur l’équité de traitement d’autres entreprises sont évidents, d’autant que l’on pourrait interroger le pourquoi de ces deux seuls mandats aux mains de Nicolas Dufourcq. Ce dernier ne s’est par exemple pas privé de soutenir publiquement le projet de création par STMicroelectronics et GlobalFoundries d’une nouvelle usine de puces d’un montant de 7,5 milliards d’euros début 2024, projet qui, quelques mois plus tard à peine, avait déjà du plomb dans l’aile. GlobalFoundries ne répond plus aux sollicitations et personne n’est en mesure d’assurer que le projet sera mené à terme. D’autres projets et d’autres entreprises du même secteur pourraient tirer profit d’un soutien moins exclusif et peut-être plus éclairé d’autant que la situation est compliquée pour certains. A titre d’exemple, Kalray a dû céder sa branche la plus lucrative à l’entreprise américaine Datacore et voit son avenir s’écrire en pointillé. Un parcours qui pourrait ressembler à celui de Prophesee placé en redressement judiciaire en octobre 2024 quand bien même l’entreprise a été considérée pendant quelques années comme la start-up de semiconducteurs fabless «la mieux financée» de l’Union européenne…

Treize ans après sa création, BpiFrance jouit d’un bilan globalement positif, tant son l’intervention sur l’économie française a permis de lancer des entreprises innovantes, en mobilisant des fonds et des investissements. Mais BpiFrance ne doit pas perdre de vue sa vocation première : mettre en musique les politiques publiques conduites par l’État et par les conseils régionaux, afin de rendre plus compétitifs l’ensemble des territoires et des secteurs de l’économie française. Sans favoritisme, sans distinction.

Retrouvez l’ensemble de nos articles Economie

 

Recommandé pour vous