Compétence exclusive de l’UE pour conclure un accord ‘électrique’ avec la Suisse

12 décembre 2014

Compétence exclusive de l’UE pour conclure un accord ‘électrique’ avec la Suisse

L’on se souvient des débats[1] sur l’opportunité, pour la Suisse, de conclure un ‘accord électrique’ avec l’Union européenne. L’on a prudemment pesé les avantages économiques d’adhérer au marché intérieur de l’électricité, mais l’on a aussi souligné les inconvénients en ce qui concerne les incidences sur les prix de l’électricité, en raison de l’ouverture de la Suisse à la pression concurrentielle des producteurs établis dans les Etats membres de l’Union.

Un point de droit important a toutefois été omis: qui va être le partenaire avec lequel la Suisse s’engagera dans un accord ‘électrique’ ? Selon que l’électricité relève d’une compétence exclusive de l’Union européenne, ou partagée avec les Etats membres, ce partenaire serait soit l’Union agissant seule, soit l’Union agissant conjointement avec ses Etats membres. Les traités européens ne sont pas particulièrement éclairants, en ce sens qu’ils ne contiennent pas de dispositions qui attribuent une compétence externe à l’Union dans le domaine de l’électricité. Il incombait – comme il est souvent le cas – à la Cour de justice de l’UE de déterminer si, en l’absence d’un titre de compétence explicite, il serait possible de reconnaître un titre de compétence implicite à l’Union pour conclure un accord ‘électrique’ avec un pays tiers, comme la Suisse. L’arrêt Green Network (aff. C-66/13)[2], tranche la question.

En 2005, Green Network, société italienne, a importé de l’électricité verte en provenance de Suisse, en vertu d’un contrat de fourniture conclu avec la société Aar e Ticino SA di Elettricità. Elle a demandé, auprès des autorités italiennes, la dispense de l’obligation d’acheter des certificats verts. Cette demande a été rejetée au motif qu’en 2005, l’Italie et la Suisse n’avaient pas encore conclu un accord sur la fourniture d’électricité verte. Green Network a alors introduit un recours en annulation contre la décision de rejet. Elle a soutenu que l’Italie n’avait, de toute manière, pas la compétence pour conclure un accord avec la Suisse en matière d’électricité verte, compte tenu du fait que le seul titulaire de cette compétence était l’Union européenne. L’affaire est arrivée devant le Conseil d’Etat italien, juridiction administrative de dernier ressort.

En éprouvant des doutes quant à l’interprétation des dispositions du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après le TFUE), le juge italien a saisi la Cour de justice d’une demande de décision préjudicielle, en demandant, en substance, si les articles 3, paragraphe 2, et 216 TFUE, permettent de considérer que l’Union est titulaire d’une compétence externe exclusive pour conclure un accord international, tel que celui en cause dans l’affaire au principal.

La Cour a répondu en rappelant, au préalable, qu’un titre de compétence exclusive de l’Union au sens de l’article 3, paragraphe 2, TFUE, peut être reconnu lorsque la conclusion d’un accord international est susceptible d’affecter, ou d’altérer la portée, de règles communes internes (pt 22). Selon la Cour, l’existence d’un tel risque « ne présuppose pas une concordance complète entre le domaine couvert par les engagements internationaux et celui de la réglementation communautaire » (pt 30). La portée des règles communes risque d’être affectée, ou altérée, par un accord international, lorsque l’objet de ce dernier relève d’un domaine « déjà couvert en grande partie par de telles règles » (pt 31). Il a donc fallu déterminer si un accord conclu, par exemple, entre la Suisse et l’Union européenne en matière d’électricité verte, tombe dans un domaine déjà harmonisé au niveau de l’Union.

A cette fin, la Cour de justice s’est référée à la directive 2001/77, relative à la promotion de l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables sur le marché intérieur. Après un examen des dispositions de cette directive, elle a conclu qu’en effet, un accord international en matière d’électricité ‘verte’ serait susceptible d’affecter la portée desdites dispositions.

La compétence externe exclusive pour la conclusion d’un tel accord appartient à l’Union européenne ; c’est donc elle, et elle seule, qui sera le partenaire international de la Suisse dans le domaine de l’électricité.

Me Ljupcho Grozdanovski, Consultant juridique pour le magazine Le Monde Economique et Associate Partner chez Infinitum Legal Services


[1]V. l’article dans Le temps du 28 septembre 2012, « UE : les dessous de l’accord électrique ».

[2] CJUE, arrêt du 26 novembre 2014, Green Network SpA c./ Autorità per l’energia elettrica e il gas, aff. C-66/13, ECLI:EU:C:2014:2399.

 

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