Par Rayan Houdrouge et Kathryn Kruglak* swissVR
Les conflits d’intérêts ne relèvent pas uniquement de l’éthique ou de l’image. Ils peuvent entraîner des conséquences juridiques majeures pour les membres du conseil d’administration, tant sur le plan civil que pénal. Quels sont exactement ces risques ?
En Suisse, les administrateurs sont soumis à un devoir strict de diligence et de fidélité envers la société (art. 717 du Code des obligations, ou CO), renforcé depuis 2023 par l’obligation de déclarer tout conflit d’intérêts potentiel (art. 717a CO).
En vertu de l’article 754 CO, les membres du conseil d’administration sont responsables du dommage qu’ils causent en manquant intentionnellement ou par négligence à leurs devoirs. Cette responsabilité s’étend à la société, à chaque actionnaire et aux créanciers sociaux.
Lorsqu’il s’agit de décisions commerciales, le Tribunal fédéral applique la Business Judgment Rule, développée initialement par les juridictions américaines. Cette règle interdit aux autorités de remettre en cause une décision qui ne s’est révélée mauvaise qu’a posteriori, limitant ainsi leur pouvoir d’examen. Toutefois, cette règle ne s’applique pas en cas de conflit d’intérêts. Par conséquent, lorsqu’une décision est prise en présence d’un tel conflit, le pouvoir d’examen des autorités n’est pas limité pour déterminer la responsabilité civile des membres du conseil.
À l’exception des actes pénalement répréhensibles, les actions en responsabilité sont soumises à un délai de prescription de trois ans à compter du jour où la partie lésée a eu connaissance du dommage et de la personne responsable. En tout état de cause, la prescription est de dix ans à compter du jour où le fait dommageable s’est produit ou a cessé (art. 760 CO).
Lorsque le dommage est subi par la société, le droit d’intenter une action appartient à la société elle-même et à chaque actionnaire (art. 756 CO). Pour que la société puisse agir, une décision de l’assemblée générale est nécessaire.
Les administrateurs peuvent demander une décharge à l’assemblée générale (art. 758 CO), mais celle-ci est limitée aux faits révélés. Elle n’est opposable qu’à la société et aux actionnaires ayant consenti à la décharge ou ayant acquis leurs actions postérieurement en connaissance de cause. À défaut, le droit des autres actionnaires d’intenter une action en responsabilité s’éteint douze mois après l’octroi de la décharge.
En cas de conflit d’intérêts, d’autres mesures peuvent être prises, notamment :
• La révocation des membres du conseil d’administration par l’assemblée générale (art. 705 al. 1 CO) ;
• La restitution des prestations indues (art. 678 CO) ;
• L’annulation de certaines décisions jugées nulles (art. 714 CO).
Un conflit d’intérêts peut également donner lieu à des poursuites pénales, notamment pour l’infraction de gestion déloyale (art. 158 CP), punissable d’une peine pouvant aller jusqu’à trois ans de prison ou d’une peine pécuniaire. Pour que cette infraction soit retenue, quatre conditions objectives doivent être réunies :
• Une obligation légale ou contractuelle de gérer les intérêts financiers de la société ;
• Une violation manifeste de cette obligation ;
• Un dommage avéré aux intérêts financiers de la société ;
• Un lien direct entre la violation du devoir et le dommage subi.
La jurisprudence suisse est claire : un administrateur agissant dans son propre intérêt ou dans celui de ses proches, au détriment de la société, s’expose à des sanctions pénales. La simple omission de déclarer un conflit d’intérêts peut déjà constituer une infraction potentielle.
Les administrateurs doivent faire preuve d’une vigilance extrême face aux conflits d’intérêts. L’enjeu dépasse largement la réputation : il s’agit d’une véritable question de responsabilité civile et pénale, susceptible d’avoir des conséquences lourdes, tant sur le plan personnel que professionnel.
*à propos des auteurs
Me Rayan Houdrouge
Associé Walder Wyss
et membre de swissVR
Me Kathryn Kruglak
Senior Associate, Walder Wyss
Fort de plus de 300 experts juridiques, Walder Wyss figure parmi les cabinets d’affaires les plus réputés de Suisse.
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