Edito de Thierry DIME : L’Europe, les prémices d’un effondrement silencieux

5 août 2025

Edito de Thierry DIME : L’Europe, les prémices d’un effondrement silencieux

Par Thierry Dime

La récente capitulation l’Union Européenne face aux exigences commerciales de Donald Trump n’est que l’épilogue visible d’une tragédie silencieuse qui se joue depuis des décennies. L’accord accepté par Ursula von der Leyen, avec ses concessions humiliantes et ses 750 milliards de dollars d’achats énergétiques américains, révèle une Europe qui a oublié qu’elle fut jadis une puissance capable d’imposer ses vues au monde. Cette soumission diplomatique masque une réalité autrement plus dramatique.

L’Europe contrainte de jouer les seconds rôles

Derrière les façades rutilantes de Bruxelles et les discours pompants et rassurants sur la souveraineté technologique européenne se dessine une réalité autrement plus sombre. L’Europe assiste, souvent dans l’indifférence, à l’effritement progressif de ses bastions industriels. Secteur après secteur, le continent voit ses champions historiques perdre pied face à des concurrents chinois et américains plus agiles, mieux financés et stratégiquement plus cohérents. Ce déclin ne se manifeste pas par un effondrement spectaculaire, mais par une lente hémorragie industrielle qui menace l’avenir économique du Vieux Continent.

L’industrie automobile européenne par exemple, fleuron centenaire du savoir-faire continental, illustre parfaitement cette dérive silencieuse. Alors que les constructeurs européens peinent à rattraper leur retard sur l’électrification, leurs homologues chinois conquièrent méthodiquement le terrain perdu. BYD a atteint une progression remarquable au point d’être désigné comme le plus grand constructeur mondial de voitures électriques. Tandis que Tesla a vu ses bénéfices chuter de 71% en un an, BYD évolue à contre-courant. Le géant chinois de l’électromobilité a enregistré une spectaculaire hausse de 126% de son bénéfice net, atteignant 9,15 milliards de yuans, soit environ 1,26 milliard de dollars, une ascension qui révèle l’ampleur du bouleversement en cours. La marque Denza, la nouvelle marque premium de BYD et qui n’est autre qu’une alliance entre Mercedes-Benz et BYD vient d’arriver en Europe avec l’ambition de concurrencer les références du secteur telles que Mercedes, BMW ou encore Porsche. En associant design sophistiqué, technologie de pointe et stratégie tarifaire agressive, le constructeur entend bouleverser l’ordre établi. Premier modèle à ouvrir la voie : l’impressionnante Denza Z9 GT, bientôt suivie d’un SUV et d’un monospace, symbolisant l’ironie d’une Europe contrainte de s’allier à ses futurs fossoyeurs pour survivre.

Les chiffres masquent mal la gravité de la situation. Certes, la part des marques chinoises dans les immatriculations de véhicules 100% électriques en Europe reste encore faible, mais ces chiffres apparents cachent une réalité plus complexe. Les constructeurs chinois mènent une stratégie à long terme, privilégiant l’implantation industrielle locale aux exportations directes. Cette approche méthodique leur permettra de contourner les barrières douanières européennes tout en bénéficiant des coûts de production locaux. Pendant ce temps, Volvo Cars a annoncé une baisse catastrophique de ses bénéfices d’exploitation victimes collatérales d’une guerre commerciale où l’Europe joue les seconds rôles.

Le secteur des énergies renouvelables révèle un autre pan de cette déroute industrielle. Alors que l’Europe se targue d’être pionnière de la transition énergétique, elle a perdu la bataille industrielle du solaire et de l’éolien. La capacité totale installée chinoise est désormais de 887 GW en solaire et de 521 GW en éolien. Le pays a d’ores et déjà dépassé l’objectif ENR de 2030 fixé par Xi Jinping, démontrant une capacité d’exécution que l’Europe a perdue. Cette domination chinoise ne se limite pas aux volumes installés, elle s’étend à l’ensemble de la chaîne de valeur. Les panneaux solaires européens ont virtuellement disparu du marché mondial, remplacés par des équivalents chinois trois fois moins chers. Les éoliennes européennes, jadis références mondiales, peinent désormais à rivaliser avec les géants chinois qui inondent les marchés émergents. L’Europe, qui rêvait de diriger la révolution verte, se contente aujourd’hui d’être un marché de débouchés pour les technologies chinoises.

Le secteur des semi-conducteurs n’est pas en reste et illustre peut-être le mieux cette myopie stratégique européenne. Pendant que la Chine a acheté pour plus de 430 milliards de dollars de semi-conducteurs en 2021 et développe une stratégie d’indépendance technologique ambitieuse, l’Europe reste spectatrice de la guerre technologique sino-américaine. Les semi-conducteurs représentent la base technologique indispensable de la microélectronique. Ils sont utilisés dans la fabrication de nombreux produits électroniques tels que les smartphones, ordinateurs ou voitures. Ils sont également présents dans des secteurs cruciaux que sont la défense et même la technologie aérospatiale.

Cette désindustrialisation rampante trouve ses racines dans des choix politiques et économiques discutables. L’obsession réglementaire européenne, incarnée par une bureaucratie tentaculaire, étouffe l’innovation et décourage les investissements. Pendant que la Chine déploie des plans quinquennaux industriels et que les États-Unis mobilisent des centaines de milliards pour leur industrie, l’Europe multiplie les comités, les consultations et les réglementations. Le paradoxe européen atteint son paroxysme dans la stratégie énergétique. Le continent qui prône la décarbonation se retrouve dépendant du gaz russe avec un rebond des importations en 2024, puis américain, tout en fermant ses centrales nucléaires. Cette incohérence stratégique offre un boulevard aux concurrents qui, eux, articulent leurs choix énergétiques avec leurs ambitions industrielles. La Chine développe massivement ses énergies renouvelables tout en maintenant ses capacités de production, créant un avantage compétitif décisif. L’effondrement de la recherche et développement européenne constitue un autre symptôme alarmant. Les budgets R&D stagnent quand ils ne diminuent pas, pendant que les entreprises chinoises et américaines investissent massivement dans l’innovation. Les cerveaux européens migrent vers la Silicon Valley ou les centres de recherche chinois, privant le continent de ses talents les plus prometteurs. Enfin, la financiarisation excessive de l’économie européenne aggrave encore cette dérive. Pendant que l’industrie allemande périclite, les services financiers londoniens prospèrent sur la spéculation. Cette tertiarisation prématurée prive l’Europe de sa base industrielle, socle indispensable de toute puissance économique durable.

L’Europe de 2025 ressemble à ces empires en déclin qui conservent leurs fastes extérieurs alors que leurs fondements s’effritent silencieusement. Le réveil, s’il a lieu, nécessitera une révolution copernicienne des mentalités européennes. Il faudra abandonner l’illusion post-industrielle, réinvestir massivement dans l’industrie et accepter de prendre des risques technologiques. Cela supposera également de repenser fondamentalement la gouvernance européenne, en substituant à la logique réglementaire une approche stratégique et industrielle. Sans ce sursaut, l’Europe terminera sa course historique comme une puissance industrielle qui a su conquérir le monde avant de se perdre dans ses propres contradictions.

Retrouvez l’ensemble de nos articles Décryptage

 

Recommandé pour vous