Photo: A droite, Rupa Dash, fondatrice de la World Woman Foundation ©
Du défilé du 14 Juillet célébrant la Fête nationale française sur les Champs-Elysées au Lions Cannes, grand-messe planétaire des industries créatives, l’Indonésie s’impose dans le calendrier événementiel d’élite. Ce pays de 281 millions d’habitants – au marché immense – intéresse décideurs et experts au cœur de l’agenda politico-économique. Lors de la dernière édition des Lions Cannes, l’entrepreneure Rupa Dash, fondatrice de la World Woman Foundation, a accordé une place de choix à ce géant d’Asie à travers la voix de son Ambassadeur son Excellence M. Ngurah Swajaya en poste au Liechtenstein et en Suisse. Objectif : décrypter la stratégie indonésienne en matière de diplomatie culturelle et son rôle moteur dans l’économie créative.
Par Sabah Kaddouri
Rupa Dash qui a fait de l’inclusion féminine son cheval de bataille a marqué les esprits en proposant une programmation parmi les plus riches de ce rendez-vous annuel sur la Côte d’Azur. « Le pouvoir des femmes dans l’économie de la créativité » : fil rouge des débats de la World Woman Foundation, a réuni un panel exceptionnel de leaders, de storytellers, de créatrices et d’acteurs de rupture du monde entier, chacun conscient de l’urgence à réinventer l’avenir des médias, du design et de l’influence, avec audace et sans complexe en vue de féminiser ce secteur clef représentant près de 2 250 milliards de dollars par an. Alors que ces dernières occupent la moitié de cette main-d’œuvre, leur leadership reste difficile à atteindre autant dans les pays du Nord que du Sud, où le manque d’équité est criant. Vu de Suisse, pourquoi l’Indonésie est-elle un acteur pertinent à écouter ? Un exemple inspirant ? Eléments de réponse avec son Excellence M. Ngurah Swajaya.
« Peu de gens le savent en Occident, mais mon pays a déjà eu une femme élue à la fonction suprême. De 2001 à 2004, Megawati Sukarnoputri a été la première femme présidente de l’Indonésie. A date, il n’y a toujours pas eu de femme à la tête des plus grandes démocraties à l’instar des Etats-Unis ou de la France, par exemple, puisque nous sommes à Cannes aujourd’hui. En fait, il est important de le notifier pour mieux comprendre la place centrale des femmes en Indonésie. Ce n’est pas nouveau, mais l’essence même de notre conception sociétale. Eligibles dans les différents organes de l’Etat, les femmes furent désignées en nombre pour siéger dans les deux Chambres (le Parlement et l’Assemblée constituante) dès les premières élections générales en 1955. », a souligné à l’audience étonnée l’Ambassadeur. Profondément ancrée dans la vie publique, cette vision paritaire façonne les orientations nationales. Et, plus encore, internationales. Le dragon d’Asie du Sud-Est a élaboré une ambitieuse feuille de route baptisée ‘Golden Indonesia 2045’ afin de rejoindre les cinq premières puissances économiques mondiales.
2045 signera le centenaire d’indépendance de l’ex-colonie hollandaise, un cap symbolique devenu catalyseur pour transformer en profondeur l’état insulaire encore trop tributaire du tourisme, de l’exploitation du caoutchouc et des ressources halieutiques (ce territoire aux 17 milles îles s’étendant du Pacifique à l’Océan Indien en est le deuxième exportateur). L’Indonésie de demain – d’ores et déjà sur sa lancée – veut capitaliser sur ses innombrables richesses, plus particulièrement sur la concentration dans son sous-sol de 33% des gisements mondiaux de nickel. Une matière première vitale pour la conception de véhicules électriques. Se muer en nation développée, basée sur l’industrie, les services et la technologie, plutôt que majoritairement pourvoyeuse de produits agricoles, ainsi est la trajectoire entreprise depuis dix ans. Tout aussi symbolique, le choix fort de déplacer la capitale dans une cité nouvelle, en lieu et place de l’actuelle Jakarta. « Jakarta n’a jamais été une capitale viable à long terme. Par sa ressemblance topographique avec les Pays-Bas, la ville a eu les faveurs de l’ancien colonisateur qui avait retrouvé un peu de sa terre natale. », a mis en exergue l’Ambassadeur.
Dans l’assistance, l’expert international sur les enjeux environnementaux notamment liés à l’eau, Malek Semar, a apporté son précieux éclairage sur ce qui se joue en Indonésie : « Jakarta s’est développée vite et sans une stratégie environnementale forte, à l’image de nombreux pays n’ayant pas intégré cette composante lors de leur édification. Résultat, elle s’enfonce de 30 cm/an par endroits, tandis que 40% de la ville est sous le niveau de la mer. 95% en 2050 ? Les surfaces imperméabilisées sont passées de 40,9 % en 1976 à 73,4 % en 2004. On parle aujourd’hui de 97%. Les nappes phréatiques sont dans l’incapacité de se recharger. Pour faire face aux inondations centenaires, on peut construire des murs à coup de milliards. Du déjà vu à Venise, sans grand succès. L’élévation du niveau de la mer et le changement climatique posent le dilemme développement économique vs protection de la nature. De fait en 2019, le président Joko Widodo a annoncé la future capitale : Nusantara, une cité forêt, une métropole verte et durable. ‘Golden Vision 2045’ s’appuiera – selon toutes vraisemblances – sur une gestion systémique de l’eau, en intégrant le 4ème pied du tabouret RSE (responsabilité sociétale des entreprises), à savoir la Culture… Le fameux lien entre l’Homme et la Nature, entre la technique et la Nature. », a exposé Malek Semar, Grand Témoin de l’Eau en 2024 au CESE (Conseil Economique, Social et Environnemental).
Convenant que l’eau était un sujet à part entière, l’Ambassadeur Ngurah Swajaya a souligné que l’or bleu demeurait le seul moyen pour toutes nos voies de développement. 2028 verra donc officiellement la nouvelle capitale émerger concrétisant un peu plus le paradigme « Golden Indonesia ». Aux entrepreneurs et investisseurs, le message a été très clair : « Venez investir chez nous ». Nusantara abrite également l’immense chantier d’une zone économique spéciale PT Kawasan Industrie Terpadu Batang (KITB). Elle accueillera tout un écosystème stimulant la création, l’innovation, des usines, des bureaux…
« J’observe que l’Indonésie devient une nouvelle terre promise pas seulement pour y faire du business, mais aussi pour se projeter en famille. L’Europe fait moins rêver et s’est enlisé dans les crises multiples qui inquiètent la jeunesse, le milieu des affaires ou encore les retraités. Mes activités m’amènent à passer de plus en plus de temps ici, et je suis témoin d’un phénomène nouveau : à présent, on ne vient plus simplement faire les touristes, mais on envisage une expatriation. », partage Natalia Kamyshan qui dirige une agence de consulting.
Pour imager cette dynamique, l’homme d’Etat n’est jamais avare de belles formules si typiques de l’âme asiatique : « Si vous voulez comprendre notre mentalité, imaginez-vous cueillir une branche, arrosez-la et patiemment vous verrez un arbre nourricier. En Indonésie, les investissements se transforment toujours en pari gagnant car il y a tant à faire. ».
De quel œil les puissants voisins regardent-ils ce pays audacieux, confiant ? Chine et Inde, en tête… A horizon 2045, l’Indonésie entend devenir la cinquième puissance économique et le clame sur tous les fuseaux horaires. Impassible et serein, l’Ambassadeur a répondu à ses interlocuteurs que son pays a su installer la paix et la stabilité depuis cinquante ans. « Nous sommes culturellement un pays de consensus, une force stabilisatrice et de dialogue. Nous veillons à entretenir de bonnes relations de voisinages avec tout le monde. Plus que jamais aujourd’hui dans ce monde ravagé par les conflits. », a clôturé l’Ambassadeur Ngurah Swajaya.
L’Indonésie, la Suisse de l’Asie ? C’est un peu la réflexion générale au sortir de ce panel de la World Woman Foundation.
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