Grandir humain dans un monde déshumanisé

7 juillet 2025

Grandir humain dans un monde déshumanisé

Il fut un temps où éduquer un enfant allait de soi. Où les valeurs transmises par la famille, l’école, la société dans son ensemble, formaient un socle relativement cohérent. On grandissait dans un univers balisé, imparfait certes, mais porteur de repères. Aujourd’hui, ce socle semble se fissurer de toutes parts. Les parents ne sont plus les relais d’un système de valeurs bien établi : ils sont devenus eux-mêmes des navigateurs désorientés dans une époque mouvante, où tout semble à réinventer. Nous vivons dans un monde saturé de messages contradictoires, où les discours sur l’épanouissement personnel cohabitent avec une pression sociale sans précédent. Où l’on prône l’authenticité tout en glorifiant l’image. Où les injonctions à réussir, à posséder, à « se vendre », l’emportent sur les appels à la solidarité ou à la responsabilité collective. Comment, dans ce contexte, transmettre à nos enfants des repères solides ? Comment les préparer à la vie sans les abîmer, ni les désarmer ?

Les enseignants, en première ligne, témoignent de cette crise de sens. Pris en étau entre des programmes surchargés, des réformes sans vision et des attentes toujours plus élevées, ils peinent à assumer leur rôle de passeurs de savoir et de repères. L’école, autrefois pilier de la formation citoyenne, devient souvent le théâtre d’un combat quotidien pour maintenir un minimum de cohérence. Et du côté des élites dirigeantes, le constat n’est guère plus rassurant. Trop souvent, les décisions politiques semblent dictées par des logiques de court terme, déconnectées des réalités vécues par les familles. L’éthique, dans ce monde où l’image prime, devient un accessoire, une posture, au lieu d’être une exigence profonde. Ce déficit de vision nourrit un malaise croissant chez les citoyens — et une défiance qui se transmet, parfois inconsciemment, à nos enfants.

Dans cet environnement incertain, il devient vital, urgent même, de revenir à l’essentiel. Éduquer un enfant aujourd’hui ne consiste plus seulement à lui offrir une instruction ou à le préparer à un métier. Il s’agit de lui transmettre une boussole intérieure. De lui apprendre à rester humain dans un monde qui perd parfois son humanité. Cela commence par des principes simples, mais fondamentaux : l’honnêteté, le respect, la capacité à reconnaître l’autre dans sa différence. Leur montrer que le vrai courage consiste parfois à dire non. À choisir l’intégrité, même lorsque le conformisme semble plus payant. Leur enseigner que la dignité ne se mesure ni à la popularité ni à la réussite matérielle, mais à la manière dont on se tient dans le monde, dont on traite les autres — surtout quand personne ne regarde.

Le plus grand défi est sans doute de leur transmettre l’espoir, sans les bercer d’illusions. Oui, ils découvriront tôt ou tard les trahisons, les renoncements, les petits arrangements avec la vérité. Mais cela ne doit pas les conduire au cynisme. Ils doivent comprendre que céder à la médiocrité ambiante est un choix, pas une fatalité. Et qu’il existe toujours, même dans le chaos, une manière digne de vivre, de penser, de créer. Nous devons aussi leur apprendre à faire le tri entre ce qui brille et ce qui vaut. Dans une époque obsédée par l’instantané, l’image et la performance, il est salutaire de leur rappeler la valeur du temps long : celui qu’exige l’apprentissage, l’engagement, la construction de soi. Leur apprendre à reconnaître la beauté d’un travail bien fait, d’un geste gratuit, d’un silence habité. Leur montrer que la loyauté, l’humilité, la capacité à se remettre en question ne sont pas des faiblesses, mais des forces profondes.

Bien sûr, nous ne pourrons pas leur offrir un monde idéal. Mais nous pouvons leur offrir des outils, des repères, une armature intérieure. Non pas pour attaquer, mais pour résister. Pour rester debout. Pour construire, à leur tour, quelque chose de plus juste, de plus humain. Car si notre époque laisse des ruines, elle offre aussi des brèches. Et dans ces interstices, il leur appartiendra d’inventer un avenir plus solide, plus lumineux.

En tant que parents, éducateurs, adultes tout simplement, notre mission n’est pas d’avoir réponse à tout. Elle est d’incarner, au quotidien, les valeurs que nous souhaitons transmettre. Car les enfants écoutent peu ce qu’on leur dit — mais ils observent tout ce que nous faisons.

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