Par Michel Saugné, CIO, La Financière de l’Echiquier
Avec une révision à la hausse de la croissance du PIB, la portant à 3,8% en rythme annualisé au 2e trimestre, notamment grâce à une contribution plus forte que prévu de la consommation, l’économie américaine paraît sur des bons rails. Certes, la croissance sur l’ensemble du 1er semestre 2025 n’est que de 1,6% en rythme annualisé, un niveau nettement inférieur à celui auquel nous avaient habitué les Etats-Unis ces dernières années, mais qui n’a rien d’aberrant selon les standards historiques.
Pourtant, en parallèle de cette croissance résiliente, le marché de l’emploi est à l’arrêt. Les créations d’emplois sont à peine positives sur les derniers mois, et franchement négatives si l’on considère les secteurs privés sensibles au cycle économique[1]. Le taux de chômage ne remonte que modérément, mais surtout en raison des nombreuses personnes sortant de la force de travail sans passer par la case ‘’chômage’’. Et si les licenciements ne s’emballent pas à ce stade, les effectifs des entreprises n’en sont pas moins sous pression, entre absence d’embauches additionnelles et non remplacement des départs.
A cette apparente incohérence, le boom de l’Intelligence Artificielle apporte quelques réponses. D’abord, sur la résilience de la croissance américaine. Les investissements dans les équipements informatiques ont en effet représenté, en volume, 70% de l’investissement total réalisé aux Etats-Unis au 1er semestre 2025, et constitué près de 50% de la croissance du PIB réel. Symboliquement, ils ont, à eux seuls, contribué presqu’autant que la consommation privée, moteur majeur de l’économie américaine. Autrement dit, sans les investissements informatiques, essentiellement tournés vers l’IA, l’économie américaine aurait été proche de la stagnation ces deux derniers trimestres.
Un phénomène cohérent avec l’atonie du marché de l’emploi, d’autant que l’IA y participe directement. En effet, selon une récente étude de l’Université de Stanford[2], l’adoption de l’IA a freiné lourdement les embauches de jeunes diplômés dans les secteurs et emplois les plus exposés à une substitution par l’IA. Dans ces secteurs, l’emploi des jeunes de 22 à 25 ans a baissé de 13% par rapport aux secteurs les moins exposés depuis fin 2022. Le constat est particulièrement frappant chez les développeurs de logiciels et dans les activités de services clients, tandis qu’aucun décrochage n’est observé pour les emplois non menacés par l’IA, tels que les aides-soignants.
Cette étude corrobore les propos des certaines entreprises, affirmant préférer entraîner un modèle de Gen-AI[3] plutôt que de former un junior. Surtout, elle met en relief les données sur le travail des jeunes issues des derniers rapports officiels sur l’emploi américain. Alors que le taux de chômage national est modestement passé de 4,1% fin 2024 à 4,3% au mois d’août, celui des jeunes a bondi, sur la même période, de 8,4% à 10%. Certes, l’incertitude liée à l’environnement économique, en particulier à la politique commerciale américaine, pèse indubitablement sur les volontés d’embauche des entreprises. Mais le fait que le plus fort recul des offres d’emplois s’observe pour les postes de débutants dans les secteurs les plus exposés à l’IA n’est pas anodin.
Cette situation atypique peut-être perçue positivement, une croissance solide sans création d’emplois laissant supposer une forte hausse de la productivité. On peut néanmoins se poser la question de la durabilité de cette explosion des investissements informatiques, principal moteur de la récente croissance, notamment parce que tôt ou tard se posera la question de la rentabilité de ces dépenses colossales. De plus, la concentration des investissements dans un seul secteur ne permettra pas nécessairement une diffusion à l’ensemble de l’économie, masquant ainsi, sous la surface d’une croissance résiliente, des fragilités sous-jacentes. Dont celle de l’emploi et, par ricochet, de la consommation. Si la mer de l’IA finit par se retirer, l’économie américaine devra éviter d’apparaître nue.
[1] A l’exception du secteur « Services à la santé et à l’éducation », contracyclique depuis plusieurs décennies.
[2] Canaries in the Coal Mine? Six Facts about the Recent Employment Effects of Artificial Intelligence, Brynjolfsson, Chandar & Chen, 26 août 2025
[3] IA générative
——–
Opinion rédigée le 26.9.2025
Disclaimer : Ces informations, données et opinions du gérant ainsi que les valeurs et secteurs mentionnés sont fournis uniquement à titre d’information et, de ce fait, ne constituent ni une offre d’achat ou de vente d’un titre ni un conseil en investissement ni une analyse financière. Elles ne sauraient en aucun cas engager la responsabilité de LFDE. Les performances passées ne préjugent pas des performances futures.
Retrouvez l’ensemble de nos articles Economie