Interview avec Karine Curti : « Face à une concurrence toujours plus vive, Genève doit se réveiller et agir »

24 juillet 2025

Interview avec Karine Curti : « Face à une concurrence toujours plus vive, Genève doit se réveiller et agir »

Photo © Fondation pour l’attractivité du canton de Genève

Genève se trouve à un tournant décisif de son développement économique, face à une concurrence intercantonale et internationale toujours plus vive. Karine Curti, Directrice de la Fondation pour l’attractivité du canton de Genève, alerte sur l’urgence de sortir de la complaisance et de repenser la stratégie du canton pour maintenir son attractivité. Rencontre

Monde Économique: La Fondation pour l’attractivité du canton de Genève fête ses trois ans cette année. Quel bilan en tirez-vous depuis sa création ?

Karine Curti: La Fondation est née d’une initiative collective portée par plusieurs grandes figures économiques genevoises, conscientes d’un virage à ne pas manquer. Genève doit affronter une concurrence toujours plus vive – entre cantons, mais aussi à l’échelle internationale, alors même que ses conditions-cadres restent figées ou ne s’améliorent pas assez rapidement. Notre mission ? Observer, informer et engager. Nous mettons en lumière des piliers stratégiques qui façonnent l’avenir du canton : qualité de vie (sécurité, culture) éducation, infrastructures, durabilité, finances publiques et fiscalité. L’objectif est de contribuer à une meilleure compréhension collective, de créer des ponts entre la complexité économique et le débat public, afin d’ouvrir des espaces de dialogue, reconnecter les faits aux décisions et faire vivre, avec pédagogie, les sujets qui engagent notre avenir collectif.

Monde Économique: Vous parlez de « réveiller les consciences ». Mais Genève a une population éduquée. Pourquoi cette nécessité de réexpliquer des fondamentaux ?

Karine Curti: Parce que la complexité peut décourager. Même pour une population instruite, il est difficile de suivre en profondeur des sujets comme la fiscalité, les infrastructures ou les finances publiques — des domaines techniques, qui ont pourtant un impact très concret sur notre quotidien. On ne peut pas être expert en tout, et c’est normal. Cette technicité crée parfois un flou : on hésite à s’y intéresser, de peur de mal comprendre. Or, c’est justement dans ces zones grises que les idées toutes faites ou les récits partiels peuvent prendre le dessus.

Notre rôle, c’est de donner des clés de lecture. De traduire des enjeux complexes en informations accessibles, vérifiées, ancrées dans les faits pour nourrir un débat public plus informé et plus constructif.

Lorsqu’un électeur genevois vote pour augmenter la fiscalité des entrepreneurs sans comprendre que Vaud ou Zurich offrent déjà des conditions plus favorables, il contribue peut-être, sans le savoir, à mettre en péril des emplois locaux.

La Fondation s’efforce de mettre en lumière les liens entre politiques publiques, économie, emploi, qualité de vie. Parce qu’une économie forte n’est pas l’ennemi du progrès social, elle en est la condition et le moteur.

Monde Économique: Concrètement, comment traduisez-vous cette mission ?

Karine Curti: Par des études comparatives, une présence sur les réseaux sociaux pour toucher les jeunes, et un discours pédagogique fondé sur des faits concrets. Par exemple, nous avons mis en lumière le manque de fonds disponibles pour les startups genevoises et la complexité de certaines étapes de la création d’entreprise. Cette stimulation du débat public a trouvé un certain écho : L’État a annoncé un premier plan directeur de l’innovation. C’est un signal très encourageant, qu’il convient de consolider. D’autres cantons et d’autres pays mobilisent des moyens ambitieux. De manière générale Genève ne peut pas se contenter de suivre – le Canton doit viser la première place.

Monde Économique: Justement, quels sont les défis spécifiques qui menacent l’attractivité de Genève aujourd’hui ?

Karine Curti: La mobilité, d’abord. Les infrastructures genevoises (routes, transports publics, liaisons ferroviaires) atteignent leurs limites, ce qui engendre des pertes de productivité pour les entreprises et une qualité de vie dégradée pour les salariés.

Au-delà du quotidien, c’est la position internationale de Genève qui est en jeu : notre aéroport souffre d’un déficit de connexions long-courrier par rapport à Zurich, et les projets de développement du réseau transfrontalier (Léman Express) progressent trop lentement pour répondre aux besoins.

Le deuxième défi, c’est la crise du logement, étroitement lié à celui de la mobilité. La pénurie de logements – en plus d’engendrer une hausse des prix – repousse les ménages vers la France voisine ou le canton de Vaud. Résultat ? Une congestion toujours plus marquée aux points de passage frontaliers, et une pression croissante sur les infrastructures publiques.

Enfin, la fiscalité : Genève continue d’imposer les hauts revenus le plus lourdement en comparaison intercantonale. La récente votation en faveur de la classe moyenne est positive, mais elle ne règle pas tout. Un défi majeur demeure : la fiscalité qui pèse sur l’outil de travail des entrepreneurs. Cette spécificité crée un désavantage compétitif tangible pour Genève.

Ces trois facteurs (mobilité, logement et fiscalité) peuvent rapidement transformer ce qui était un cercle vertueux en un cercle vicieux.

Monde Économique: Le départ de SGS a marqué les esprits. Un signal alarmant ?

Karine Curti: Sans commenter ce cas précis, le départ de SGS illustre une réalité : les entreprises réévaluent en permanence leur ancrage territorial. Si Genève ne reste pas compétitif face à d’autres places, ces départs pourraient se multiplier.

Monde Économique: Et sur le plan politique ? Genève semble souvent bloqué par des votations contradictoires…

Karine Curti: C’est le paradoxe de la démocratie directe. Certaines initiatives, notamment en matière de fiscalité ou de régulation, génèrent de l’incertitude et amènent certaines entreprises à envisager d’autres options pour développer leurs activités.

Nous avons toutefois la chance, en Suisse, de pouvoir voter et ainsi permettre à la population de choisir les orientations qu’elle souhaite pour son avenir. La baisse du taux de participation à Genève est néanmoins un signal à surveiller : elle peut traduire un certain décrochage ou une lassitude face à des thématiques jugées complexes ou trop techniques. D’où la nécessité de les rendre plus lisibles et accessibles pour le plus grand nombre.

Monde Économique: Si vous deviez formuler trois priorités pour Genève demain ?

Karine Curti: Pour avancer, Genève a besoin avant tout d’une vision claire et ambitieuse, capable de lui redonner de l’élan. Cela passe par la définition d’objectifs forts. Sans cette boussole partagée, les mesures resteront fragmentées et ne seront que partiellement efficaces. Zurich, sans être un modèle parfait, a su construire un véritable hub technologique, en alignant ses politiques publiques avec une stratégie de développement cohérente.

En parallèle, deux leviers doivent être activés sans attendre : la compétitivité fiscale et le développement des infrastructures (mobilité et logement). Chaque jour perdu renforce l’avantage d’autres hubs à l’international, qui investissent massivement dans leur écosystème.

Genève a des atouts, mais aucun territoire n’est immunisé contre le déclin. La concurrence avance vite. À nous d’anticiper, d’innover et, surtout, d’agir.

À propos de la Fondation

Reconnue d’utilité publique, la Fondation pour l’attractivité du canton de Genève (FLAG) a pour but de renforcer et de promouvoir l’attractivité et la qualité de vie de Genève en comparaison intercantonale et internationale, plus particulièrement dans les domaines de la durabilité, des finances publiques, de la fiscalité, de l’emploi, de la formation et des infrastructures (mobilité, logement, etc.). Elle a ainsi pour mission d’informer et de sensibiliser la population sur les enjeux auxquels Genève fait face.

Pour plus d’informations : www.geneve-attractive.ch

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