Photo © A.C. Pozza

Licenciements massifs, digitalisation accélérée, intelligence artificielle générative : le monde professionnel traverse une période de bouleversements sans précédent où la tentation est grande de tout miser sur la technologie et la réduction des coûts. Pourtant, alors que les entreprises suisses et européennes réduisent la voilure face aux incertitudes économiques, un paradoxe émerge : et si la véritable compétitivité passait non pas par moins d’humain, mais par plus d’humanité ? Dans cette redistribution des cartes, certains dirigeants font le pari audacieux que les soft skills ne sont pas un luxe de temps prospères, mais l’atout stratégique indispensable pour naviguer dans la tempête. Anne-Catherine Pozza, dans son dernier ouvrage « Vitamines Soft Skills », propose un outil aussi pragmatique que radical : 111 micro-actions quotidiennes pour régénérer l’entreprise de l’intérieur. Rencontre avec une optimiste lucide qui voit dans la crise actuelle une opportunité de réinventer le leadership.

Monde Economique: Votre douzième ouvrage « Vitamines Soft Skills » arrive dans un contexte de profondes mutations pour les entreprises. Comment analysez-vous l’état actuel du monde professionnel ?

Anne-Catherine Pozza: Mon regard sur le monde professionnel actuel est résolument tourné vers l’avenir, tout en restant lucide sur les défis présents. Nous vivons une période charnière où plusieurs dynamiques se rencontrent et parfois se heurtent. D’un côté, nous assistons à une réduction de la voilure dans de nombreuses entreprises, avec des tensions économiques et financières qui génèrent du désemploi massif. C’est une réalité qu’on ne peut ignorer. Mais de l’autre côté, et c’est là que je porte mon attention, j’observe l’émergence de modèles prometteurs comme les entreprises régénérées, l’économie symbiotique ou encore l’économie bleue.

Ces nouveaux paradigmes représentent une véritable redistribution des cartes. Ce qui me frappe particulièrement, c’est que face à la fracture digitale et maintenant à l’intelligence artificielle, la réponse se trouve précisément dans ce que nous avons de plus irremplaçable : notre humanité. C’est dans ce contexte que « Vitamines Soft Skills » prend tout son sens.

Monde Economique: Votre livre se présente comme la quintessence de cinq années de réflexion, synthétisant cinq ouvrages précédents. Quelle évolution avez-vous constatée dans les besoins des entreprises depuis 2020, et comment votre approche s’est-elle affinée pour répondre aux défis actuels ?

Anne-Catherine Pozza: Ces cinq dernières années m’ont permis de porter un regard de plus en plus lucide sur les transformations du monde du travail. Ce douzième livre n’est pas simplement un énième ouvrage, c’est vraiment la synthèse de toutes mes observations et réflexions accumulées. J’ai voulu aller au-delà du premier regard, dépasser l’analyse pour vraiment passer à l’action concrète. Ce qui a changé depuis 2020, c’est que les entreprises sont passées d’une phase de questionnement à une urgence d’agir. Les enjeux ne sont plus théoriques, ils sont quotidiens.

Mon approche s’est donc orientée vers quelque chose de très opérationnel : comment permettre aux entreprises de se régénérer au quotidien, comment leur donner des outils immédiatement actionnables. C’est pour cela que j’ai structuré le livre autour de 111 vitamines, 111 occasions concrètes d’action.

Monde Economique: Le concept des « 111 vitamines » est intrigant. Au-delà du chiffre symbolique, quelle est votre vision stratégique pour accompagner le changement en entreprise ? Comment ce format répond-il aux contraintes de temps et d’efficacité des dirigeants et managers d’aujourd’hui ?

Anne-Catherine Pozza: Le chiffre 111 m’a séduite par sa dimension symbolique de trilogie, mais surtout, il représente un équilibre entre exhaustivité et praticité. Chaque vitamine est composée d’une citation inspirante accompagnée d’une invitation à l’action immédiate. La vision stratégique derrière ce format, c’est de proposer un outil d’auto-apprentissage qui permette de faire grandir l’humain dans l’entreprise sans nécessiter de méthodologie lourde ou de formation traditionnelle de A à Z. C’est un format intuitif que vous pouvez ouvrir n’importe où, n’importe quand. Dans un monde où les managers et dirigeants sont saturés d’informations et manquent de temps, cet outil leur permet d’agir rapidement, que ce soit individuellement ou en équipe. Il y a de multiples suggestions pour amener plus de collaboration dans les équipes, et surtout, c’est un livre joyeux qui invite à l’action plutôt qu’à la contemplation.

Monde Economique: Face à l’accélération de l’intelligence artificielle et de l’automatisation, certains pourraient penser qu’un livre sur les soft skills arrive en décalage avec les préoccupations technologiques des entreprises. Comment positionnez-vous cet ouvrage face à cette objection ?

Anne-Catherine Pozza: C’est justement parce que nous sommes entrés dans l’ère de l’intelligence artificielle que ce livre arrive au moment parfait. Nous ne sommes plus seulement face au digital, nous sommes face à une étape supplémentaire de disruption technologique.

Or, ce que beaucoup d’entreprises n’ont pas encore pleinement mesuré, ce sont les dégâts potentiels sur le tissu humain de l’organisation. 2025 représente un moment charnière : les entreprises qui veulent perdurer doivent impérativement réinvestir dans leur capital humain. Les segments les plus porteurs pour cette approche sont d’abord les départements RH, les managers et les formateurs qui sont en première ligne de cette transformation. Mais au-delà, ce sont toutes les entreprises qui cherchent à renforcer leur dynamique collective et leur qualité de vie au travail qui constituent mon marché naturel car il n’est jamais trop tard pour bien faire, et redonner à l’humain sa place entière dans l’entreprise n’est pas une option, c’est une nécessité stratégique.

Monde Economique: Dans l’écosystème suisse et plus largement européen, quelles sont les principales résistances que vous observez face à cette approche centrée sur l’humain ? Comment les entreprises peuvent-elles concrètement intégrer ces soft skills dans leur stratégie de développement sans perdre en compétitivité ?

Anne-Catherine Pozza: L’écosystème suisse vit actuellement les mêmes tensions que partout ailleurs. La principale résistance vient du réflexe naturel de réduction des coûts en période d’incertitude économique. Quand les entreprises réduisent la voilure, l’investissement dans le développement humain peut sembler secondaire. C’est pourtant une erreur stratégique.

Les soft skills ne sont pas un luxe ou un supplément d’âme, ce sont des compétences essentielles qui permettent l’adaptabilité, la résilience et l’innovation, trois piliers de la compétitivité moderne. L’intégration concrète passe par des gestes quotidiens : ralentir pour mieux questionner les évidences, ressentir pour mieux agir, cultiver la collaboration plutôt que la compétition interne.

Ce livre propose précisément cette voie pratico-pratique. Ce n’est pas une charge supplémentaire, c’est un changement de perspective qui s’inscrit dans les pratiques existantes. Les entreprises qui l’ont compris posent déjà les bases d’un leadership authentique et durable.

Monde Economique: Quels sont vos projets de développement pour diffuser cette approche ? Envisagez-vous des partenariats avec des institutions de formation, des expansions géographiques, ou de nouveaux services pour accompagner les entreprises dans cette transformation ?

Anne-Catherine Pozza: Mon ambition est clairement de contribuer à l’émergence de ces nouveaux modèles d’entreprises dont je parlais : les entreprises régénérées qui placent l’humain et le vivant au cœur de leur stratégie.

Le livre constitue la base, mais je travaille sur des formats d’accompagnement complémentaires qui permettront aux équipes de s’approprier ces vitamines de manière collective. L’objectif est de créer un véritable mouvement autour de ces pratiques, en touchant tous les professionnels désireux de renforcer leur dynamique collective. Je reste ouverte à des partenariats avec des institutions de formation et des entreprises qui partagent cette vision. Car au-delà de la diffusion d’un livre, c’est un changement de paradigme que nous devons porter ensemble. Mon message d’espoir et de confiance doit se concrétiser par des actions collectives. C’est ainsi que nous pourrons véritablement régénérer le monde professionnel et préparer les entreprises aux défis qui les attendent.

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