Interview de François Meylan: la Suisse n’a cessé de se réguler et de se réinventer dans le domaine de la gestion de fortune

4 février 2018

Interview de François Meylan: la Suisse n’a cessé de se réguler et de se réinventer dans le domaine de la gestion de fortune

Interview de François Meylan- Directeur General de Meylan Finance

Le Monde Economique En quelques années, la Suisse a vu son avance sur ses concurrents fondre comme neige au soleil. Malgré cette baisse, la Suisse reste aujourd’hui le numéro un mondial de la gestion de fortune. Mais pour combien de temps ?

François Meylan : Notre place financière a encore de beaux jours devant elle. Certes avec d’autres marges que jadis et une obligation de remise en question régulière. Dans le domaine de la gestion patrimoniale, la tradition comme l’image sont particulièrement relevant. A l’instar du marché du luxe ou une voiture Mercedes qui restera toujours une Mercedes. De plus, depuis la dernière grande crise financière de 2008, la Suisse n’a cessé de se réguler et de se réinventer dans le domaine de la gestion de fortune. Un effort d’information et de transparence sans précédent a été consenti. Le plus souvent à grand frais, par l’ensemble des acteurs de la branche. La protection de l’investisseur comme la réputation de notre système en ressortent grandis et plus solides.

Le Monde Economique L’arrivée des nouvelles normes, telles que la LSFIN, est annoncée comme une hécatombe sur le marché des gérants de fortune indépendants (GFI). Comment survivre à ce virage réglementaire ?

François Meylan : Les nouveaux textes que sont la Loi fédérale sur les services financiers (LSFin) et la Loi fédérale sur les établissements financiers (LEFin) sont en quelque sorte des exercices de rattrapage en vue de nous rendre compatibles avec nos partenaires européens. Ces derniers ont vu l’entrée en vigueur, en janvier, de MiFID II. Cette directive européenne qui a pour finalité de protéger les épargnants, améliorer l’exécution des transactions et donner un prix à la recherche afin de garantir son indépendance de l’opérationnel. Une fois de plus, ces évolutions sont réjouissantes mais ont demandé des efforts d’adaptation considérables. Ce n’est pas terminé. Personnellement, je ne crois pas à l’hécatombe. Néanmoins, nombre d’acteurs devront se regrouper pour poursuivre leurs activités. On parle de frais de régulations supplémentaires mais aussi de coûts d’assurance voire d’exigence de fonds propres et encore de taille minimum du GFI, à l’avenir. De part et autre, les mouvements sont déjà en train d’opérer. Cette petite révolution me rappelle, dans un autre domaine et avec une dimension différente, la réforme Police 2000, dans le canton de Vaud. Il était question, à un moment donné, d’uniformiser tant la formation que les process d’une soixantaine de corps de police distinct. Aujourd’hui, le résultat pour la police vaudoise, dans son ensemble, est plutôt bon.

Le Monde Economique Les banques privées et de gestion suisses espèrent la mise en œuvre d’une réglementation différenciée selon les modèles d’affaires et les risques réels qu’elles représentent. Partagez-vous cette approche ? Si oui, pourquoi ?

François Meylan : Oui, c’est évident. Dans la circulation routière, on limite et on contrôle d’avantage le poids lourd que l’automobile individuelle. Le premier ayant une capacité de nuisance, le cas échéant, considérablement plus importante. Par exemple, en terme d’image, notre place financière souffre encore des égarements de certaines de nos banques. Tant pour ce qui est de la fraude fiscale que pour la gestion des risques et plus particulièrement des risques systémiques tels que les crédits de toutes sortes et les assurances sur ces mêmes crédits.

Le Monde Economique Si le relèvement général des exigences est un point positif pour la réputation des gérants de fortune à l’étranger et pour la compétitivité de la place financière suisse, les mutations qui secouent ce secteur inquiètent les experts. Quelles perspectives pour les gérants de fortune indépendants en 2018?

François Meylan : Personnellement, ce qui m’inquiète le plus c’est l’inflation galopante de la paperasserie d’année en année. Autant de tâches non rémunératrices. Qui nous éloignent toujours plus du client. Et comme pour la majorité des services, c’est au contact de celui-ci que se créée la valeur. Non derrière son bureau à remplir formulaires et questionnaires. Paradoxalement, les nouvelles exigences évoquées devront entrainer une simplification des procédures et une meilleure efficience. Je m’explique. Pour que toutes ces dispositions délivrent leurs effets elles doivent être observées et suivies avec intelligence. Pour ça, on doit prendre le temps de les assimiler et de les maîtriser. Par contre, si la bureaucratie nous envahit, elles deviendront une systématique, un acte répétitif mais sans valeur ajoutée, comme allumer son ordinateur chaque matin. On se rapprochera alors encore plus du mur de la catastrophe que si on n’avait pas légiféré. A présent et nous l’oublions trop souvent, le vieillissement de la population engendre de nouveaux besoins et de nouveaux services. Autant que les Fintech. Les gérants de fortune indépendants ont une posture privilégiée dans cette constellation. On ne parle plus règlementation ni technologie mais facteur humain. Et c’est là l’essentiel. Celui même que le grand Spinoza nous invitait à savoir apprécier. Un nombre important d’opportunités, de nouvelles affaires et d’entrées en relation échappent aux structures trop segmentées voire trop mécanistes. Comme pour le bon médecin de famille, la proximité, la durée et la vue d’ensemble sont des atouts indéniables. Aussi, le GFI est encore promis à un bel avenir. Pour autant, qu’il relève les défis mentionnés plus haut avec succès.

 

Recommandé pour vous