Interview de Jacques Desbruyeres: « L’enjeu principal est de positionner Genève sur la carte de l’œnotourisme suisse »

1 octobre 2025

Interview de Jacques Desbruyeres: « L’enjeu principal est de positionner Genève sur la carte de l’œnotourisme suisse »

Photo Jacques Desbruyeres © Léman Dégustation

Jacques Desbruyeres Directeur de Léman Dégustation

Dans un secteur où la concurrence entre cantons viticoles suisses fait rage, Genève cherche encore sa place sur l’échiquier de l’œnotourisme national. Alors que le Valais et Vaud capitalisent depuis des décennies sur leur notoriété, la rive gauche lémanique peine à attirer les projecteurs malgré un terroir d’exception. C’est précisément ce défi que Jacques Desbruyères, directeur de LEMAN DEGUSTATION et lauréat du 1er prix suisse de l’œnotourisme en 2021, a décidé de relever en organisant le 24 août dernier la plus grande Tavolata de Suisse à la Maison Forte à Troinex.

Monde Economique: Avec le recul, comment évaluez-vous cette première édition de la plus grande Tavolata de Suisse et comment ce projet s’inscrit-il dans votre vision du développement de l’œnotourisme en Suisse romande ?

Jacques Desbruyeres: Cet événement s’est déroulé le dimanche 24 août à la Maison Forte à Troinex, avec pour objectif de rassembler le plus grand nombre de personnes autour d’une même table au milieu des vignes. Cette initiative existe déjà dans les cantons de Vaud et du Valais, mais j’avais cette envie profonde de créer quelque chose d’unique pour Genève. Je me suis donc associé avec l’agence 2Vibes de Genève pour mettre en place cet événement exceptionnel qui célèbre notre terroir local.

Monde Economique: Quels sont les enjeux derrière ce type d’événement pour le secteur de l’œnotourisme genevois, notamment face à la concurrence des autres cantons viticoles suisses ?

Jacques Desbruyeres: L’enjeu principal est de positionner Genève sur la carte de l’œnotourisme suisse. Trop souvent, on privilégie la rive droite au détriment de la rive gauche. En choisissant la Maison Forte à Troinex, nous mettons en valeur un territoire moins connu mais tout aussi riche. Face à la concurrence du Valais et de Vaud, qui ont une longueur d’avance, nous devons créer des expériences authentiques et différenciantes qui valorisent notre identité genevoise unique.

Monde Economique: Concrètement, quelle était la proposition de valeur que vous avez offerte aux participants et comment cette première édition vous a-t-elle permis de vous différencier des autres offres du marché ?

Jacques Desbruyeres: Pour 120 francs, les participants ont pu se déplacer dans les vignes pour un repas à volonté composé exclusivement de produits du terroir 100% genevois labellisés GRTA. Cette approche « circuit court » nous a permis de créer une véritable synergie entre producteurs locaux, artisans et consommateurs, générant un impact économique direct sur l’écosystème agricole genevois.

Contrairement aux événements œnotouristiques classiques qui se contentent souvent d’une dégustation statique, nous avons proposé une expérience immersive où les participants deviennent acteurs de la découverte du terroir. Notre différenciation a résidé dans cette authenticité totale et cette immersion complète dans l’environnement viticole, accessible à toute la famille dès 6 ans avec des activités spécialement pensées pour les enfants. Face à une concurrence qui mise principalement sur des expériences élitistes ou des événements de masse dépersonnalisés, nous avons créé un modèle hybride : l’intimité du terroir à grande échelle. Cette formule nous positionne différemment des caves traditionnelles qui proposent des dégustations individuelles, et des grands festivals œnologiques qui perdent souvent le lien direct avec les producteurs. Notre succès réside dans cette capacité à démocratiser l’excellence du terroir genevois tout en préservant son caractère authentique et convivial.

Photo © Léman dégustation

Monde Economique: Vous aviez visé 350 personnes pour battre le record suisse, et vous avez finalement rassemblé 200 participants pour cette première édition. Quel bilan tirez-vous de cette expérience ?

Jacques Desbruyeres: Nous avons réuni un plus de 200 personnes sur les 350 nécessaires pour battre le record suisse. Paradoxalement, cette « non-performance » quantitative s’est révélée être un atout stratégique majeur. Avec ce nombre de participants pour cette première édition, nous avons pu maintenir un niveau de qualité d’accueil et de service optimal, créer des interactions authentiques entre participants et producteurs, et surtout recueillir des retours d’expérience très précis pour optimiser notre modèle.

Cette première édition nous a permis de valider notre concept tout en identifiant les leviers de croissance : amélioration de la communication en amont, diversification des partenariats avec les acteurs du tourisme genevois, et adaptation de notre capacité logistique pour accueillir un plus grand nombre sans altérer l’expérience.

Si nous n’y sommes pas parvenus cette année, nous avons vraiment l’ambition de renouveler cette expérience chaque année en visant toujours plus haut. L’objectif n’est pas seulement quantitatif mais qualitatif : créer un événement pérenne qui s’améliore constamment et devient incontournable dans le paysage œnotouristique genevois. Nous construisons une marque sur la durée, en capitalisant sur l’excellence de l’expérience plutôt que sur les effets d’annonce. D’ailleurs, les retours enthousiastes de nos 200 premiers participants constituent notre meilleur argument commercial pour les prochaines éditions. Nous préférons une croissance organique basée sur la recommandation et la fidélisation plutôt qu’une expansion agressive qui pourrait compromettre l’ADN de notre terroir.

Monde Economique: Au-delà de cet événement ponctuel, quelles sont vos perspectives de développement pour LEMAN DEGUSTATION, notamment en termes d’expansion géographique ou de nouveaux services ?

Jacques Desbruyeres: En tant qu’entreprise spécialisée dans l’œnotourisme depuis 2014, et lauréate du 1er prix suisse de l’œnotourisme en 2021, nous continuons notre évolution avec une approche « toujours faire mieux, toujours faire plus ». Notre philosophie reste celle du 100% terroir. Nous explorons constamment de nouvelles manières de faire découvrir nos régions viticoles, que ce soit par des partenariats innovants ou des expériences immersives inédites.

Monde Economique: Quelles tendances observez-vous dans le secteur de l’œnotourisme et quels segments de marché vous semblent les plus porteurs ?

Jacques Desbruyeres: Le marché évolue vers une demande croissante d’authenticité et de proximité. Les consommateurs recherchent des expériences qui les connectent réellement au terroir et aux producteurs locaux. Le segment familial représente un potentiel énorme, c’est pourquoi nous intégrons systématiquement une dimension intergénérationnelle dans nos événements. L’œnotourisme de proximité, valorisant les circuits courts et l’agriculture locale, constitue selon moi l’avenir du secteur.

Monde Economique: En tant qu’entrepreneur passionné du terroir, comment voyez-vous l’évolution du marché suisse de l’œnotourisme dans les prochaines années ?

Jacques Desbruyeres: Je suis quelqu’un de la terre et j’aime les gens. Cette passion guide notre développement. Le marché suisse a un potentiel énorme, mais il faut savoir créer des événements et des expériences qui sortent de l’ordinaire. L’avenir appartient à ceux qui sauront allier tradition viticole et innovation dans l’expérience client, tout en restant fidèles aux valeurs du terroir et de l’authenticité.

Pour plus d’informations : https://www.lemandegustation.ch/

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