Interview de Jean-Sylvain Nicoud : « Le client continuera à rechercher un interlocuteur humain, capable de l’écouter, de le conseiller et de l’accompagner »

10 juin 2025

Interview de Jean-Sylvain Nicoud : « Le client continuera à rechercher un interlocuteur humain, capable de l’écouter, de le conseiller et de l’accompagner »

Photos © Harsch HH

Jean-Sylvain Nicoud, Directeur du déménagement International chez Henri Harsch HH SA

Monde Économique: Jean-Sylvain, le contexte géopolitique actuel est particulièrement volatile. Comment analysez-vous son impact sur le secteur du déménagement international ?

Jean-Sylvain Nicoud: Historiquement, notre secteur a toujours été profondément lié aux grands équilibres géopolitiques. Les mouvements de population, les stratégies d’implantation des multinationales, ainsi que les missions des organisations internationales, ont tous été façonnés, parfois brutalement, par les soubresauts politiques mondiaux. La mobilité internationale — cœur de notre métier — est donc intrinsèquement sensible aux bouleversements géostratégiques.

Aujourd’hui encore, les tensions géopolitiques, qu’il s’agisse de politiques commerciales unilatérales ou de coupes budgétaires dans les institutions internationales, exercent une influence ambivalente sur notre activité. À court terme, elles peuvent engendrer une hausse ponctuelle d’activité en provoquant des redéploiements, des transferts ou des projets de relocalisation.

Cependant, cette dynamique conjoncturelle masque une réalité plus préoccupante : sur le moyen terme, la réduction des effectifs, la rationalisation des opérations et la fermeture de bureaux tendent à affaiblir durablement les besoins en mobilité internationale.

Notre secteur, étroitement lié aux flux de la mondialisation, se retrouve ainsi confronté à une équation paradoxale : si les crises offrent des opportunités immédiates, leur pérennisation érode progressivement les fondements mêmes de notre activité. Il nous appartient donc d’anticiper ces évolutions, d’innover constamment et d’adapter nos modèles pour garantir la résilience de notre mission dans un monde en perpétuelle mutation.

Monde Économique: Dans un contexte où les modèles traditionnels de mobilité internationale se recomposent sous l’effet de transformations sociétales et économiques, quelles sont les grandes tendances qui redéfinissent le marché aujourd’hui ?

Jean-Sylvain Nicoud: La mobilité internationale évolue profondément. D’un côté, les entreprises rationalisent leurs coûts en privilégiant des missions courtes ou des recrutements locaux, réduisant mécaniquement les volumes mais complexifiant la gestion des flux par leur fréquence accrue. De l’autre, émerge une demande sociétale nouvelle : des individus – travailleurs digitaux, retraités actifs ou familles en quête de résilience – qui redessinent volontairement leurs ancrages territoriaux.

En toile de fond, une rupture survient, qui s’inscrit dans une grande transformation générationnelle : la Génération Z, plus nomade et moins attachée aux biens matériels, réduit les volumes transportés.

Une réinvention complète de notre chaine de valeur doit alors s’opérer : là où nous avions bâti une expertise sur des flux stables et prévisibles, nous devons désormais composer avec des cycles plus courts, des attentes plus personnalisées et des arbitrages économiques plus sensibles. Le marché exige des solutions sur mesure et c’est là que notre expertise prend tout son sens.

Monde Économique: Quels sont les principaux défis opérationnels que vous rencontrez ?

Jean-Sylvain Nicoud: La complexité douanière et les changements réglementaires sont des enjeux majeurs. D’un côté, la multiplicité des normes et des formalités douanières – le Brexit n’étant que la partie visible d’un phénomène plus large de fragmentation réglementaire – nous oblige à développer une agilité normative sans précédent. Parallèlement, l’urgence climatique nous imposent une refonte progressive de nos schémas logistiques. Ces défis exigent une expertise pointue et des partenariats solides pour garantir des flux fluides malgré les perturbations.

C’est à cette condition que nous pourrons continuer à accompagner durablement nos clients dans un monde en mutation rapide, en alliant performance, conformité et responsabilité.

Monde Économique: Face à la digitalisation, pourquoi recourir à un professionnel comme Harsch ?

Jean-Sylvain Nicoud: La véritable question n’est pas d’opposer technologie et expertise humaine, mais de comprendre comment l’une sert l’autre. Le déménagement international reste un métier artisanal. Chaque client a des besoins uniques : la gestion d’un héritage culturel fragile transitant de Zurich à Singapour, l’acheminement d’équipements médicaux spécialisés de Bâle à Buenos Aires sous de strictes contraintes douanières, ou encore l’accompagnement attentif d’une famille entamant une nouvelle vie, de Genève à Dubaï, dans le cadre d’une expatriation. Ces scénarios exigent une intelligence contextuelle que ne possèdent pas les algorithmes – une capacité à interpréter les non-dits, à anticiper les risques invisibles et à prendre des décisions éclairées lorsque les procédures standards atteignent leurs limites.

Ce qui distingue fondamentalement la Maison Harsch, c’est précisément cette alchimie entre outils digitaux et jugement humain. Nos plateformes nous permettent d’optimiser la traçabilité et l’efficacité opérationnelle, mais c’est notre expérience accumulée sur des milliers de cas particuliers qui crée la valeur différentielle. Lorsqu’une grève portuaire bloque un conteneur à Rotterdam ou qu’une réglementation sanitaire évolue soudainement en Australie, c’est notre réseau d’experts locaux et notre mémoire des précédents qui permettent de trouver des solutions en temps réel, c’est notre expertise terrain qui garantit la sécurité et la tranquillité d’esprit de nos clients.

Monde Économique: Dans un marché du déménagement international où la confiance des clients repose sur des garanties intangibles, les certifications (ISO, FIDI FAIM, etc.) sont souvent présentées comme des gages de qualité. Dans ce contexte, comment ces certifications vont-elles au-delà de la simple conformité pour devenir un véritable avantage compétitif ?

Jean-Sylvain Nicoud: Les certifications constituent bien plus qu’un simple sésame commercial – elles représentent l’architecture invisible d’un écosystème d’excellence opérationnelle. Leur véritable puissance réside dans leur capacité à instaurer une discipline organisationnelle systémique : chaque audit FIDI FAIM, par exemple, agit comme un scanner de nos processus, nous poussant à une amélioration continue bien au-delà des standards du secteur. Lorsque 95% de satisfaction client deviennent une norme contractuelle plutôt qu’une aspiration, c’est toute la chaîne de valeur qui bascule dans une logique d’excellence permanente, depuis le premier contact commercial jusqu’au déballage des cartons à l’autre bout du monde.

Monde Économique: À l’ère où les plateformes digitales promettent des solutions clés en main pour organiser son déménagement à l’international en quelques clics – souvent à moindre coût – qu’est-ce qui justifie, selon vous, le recours à un acteur historique comme Harsch ? 

Jean-Sylvain Nicoud: Notre force, c’est plus de 67 ans d’expérience. C’est une expertise affûtée par des milliers de déménagements à travers le monde. Chaque projet nous a enseigné comment anticiper les risques et aléas. Cette connaissance aiguisée des réalités terrain nous permet aujourd’hui d’offrir à nos clients des solutions parfaitement adaptées, où chaque détail a été pensé pour éviter les mauvaises surprises. Par ailleurs, cette expertise prend tout son sens grâce à notre réseau de partenaires locaux, rigoureusement sélectionnés pour partager nos standards d’excellence.

Sur chaque marché, nous travaillons avec des acteurs qui connaissent parfaitement les spécificités de leur pays – les procédures administratives, les contraintes de stockage, les meilleures solutions logistiques. Résultat : qu’il s’agisse d’un déménagement vers Singapour, New York ou Dubaï, nos clients bénéficient d’une exécution fluide, comme si nous opérions nous-mêmes sur place. C’est cette combinaison unique de savoir-faire historique et de relais locaux de confiance qui fait toute la différence.

Monde Économique: Enfin, comment voyez-vous l’avenir du secteur dans 10 ans ?

Jean-Sylvain Nicoud: Le déménagement International sera à la croisée de trois grandes transformations :

  • Il sera plus digitalisé (gestion des formalités et traçabilité en temps réel). L’IA jouera sans doute un rôle croissant dans l’optimisation des processus logistiques,
  • La pression environnementale, conjuguée aux attentes croissantes des clients, nous poussera vers une logistique plus responsable, plus sobre, plus « verte ».
  • Enfin — et surtout — le facteur humain restera central. Car au-delà des aspects techniques, le déménagement international demeure une étape profondément personnelle. Le client continuera, selon moi, à rechercher un interlocuteur humain, capable de l’écouter, de le conseiller et de l’accompagner dans cette transition souvent chargée d’émotion.

Interview realisée par Thierry DIME

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