Photo: Jérôme Leupin, directeur de la Cave de Genève ©
Monde Économique : Quel est l’état des lieux actuel du marché du vin en Suisse ? Quelles sont les tendances dominantes ?
Jérôme Leupin : La consommation de vin en Suisse est en baisse constante depuis plusieurs années, principalement en raison d’un changement générationnel. Les jeunes de 16 à 25 ans n’ont pas la même approche que leurs aînés vis-à-vis du vin et des boissons alcoolisées. La génération qui consommait régulièrement diminue progressivement, et c’est là tout le défi de la filière : comment compenser cette érosion ?
Cependant, dans cette baisse globale, il faut différencier les vins étrangers des vins suisses. Ces dernières années, les vins suisses ont gagné des parts de marché. Actuellement, la consommation se répartit à 62 % pour les vins importés (principalement d’Italie, de France et d’Espagne) et à 38 % pour les vins suisses. La quasi-totalité de la production helvétique est consommée localement, puisque seulement 2 % est exportée. Parmi les segments qui résistent bien, voire progressent, on trouve les mousseux, en forte croissance, ainsi que les rosés, lorsque la météo est favorable. Les vins blancs se maintiennent, tandis que les rouges rencontrent plus de difficultés.
Monde Économique : Justement, comment expliquez-vous ce recul des vins rouges, pourtant historiquement dominants ?
Jérôme Leupin : Ce phénomène dépasse les frontières suisses. Il s’explique par une évolution des habitudes de consommation. Aujourd’hui, on recherche des vins légers, peu alcoolisés, frais et aromatiques – des caractéristiques que l’on retrouve davantage dans les blancs, les rosés et les mousseux.
Le vin rouge, avec ses tannins puissants, son taux d’alcool élevé ou ses sucres résiduels, correspond moins aux attentes actuelles. Autre élément clé : le vin rouge demande une certaine connaissance pour être apprécié – comprendre son cépage, son élevage, etc. À l’inverse, un rosé ou un mousseux s’apprécie immédiatement, sans nécessiter d’expertise. Le consommateur cherche avant tout du plaisir instantané, ce qui favorise ces catégories.
Monde Économique : Les mousseux suisses semblent tirer leur épingle du jeu. D’où vient cet engouement ?
Jérôme Leupin : La tendance a été boostée par la popularité des Spritz et du Prosecco. Le champagne reste un produit premium, mais le Prosecco a démocratisé l’apéritif pétillant. En Suisse alémanique d’abord, puis en Romandie, le Spritz est devenu un incontournable. Aujourd’hui, le mousseux se consomme à l’apéritif – avec son côté festif et accessible – ou en cocktail, comme le fameux Spritz qui colore les terrasses l’été. Cette dynamique profite aux mousseux suisses, d’autant plus que la Cave de Genève dispose d’une expertise reconnue, avec notre Baccarat, produit depuis 60 ans.
Monde Économique : Pouvez-vous nous éclairer sur les différentes méthodes de production des mousseux et leurs implications marché ?
Jérôme Leupin : Il existe trois méthodes principales.
• 1 – La méthode traditionnelle (comme le champagne) : le vin de base, très acide et peu alcoolisé, subit une prise de mousse en bouteille pendant un an. Résultat : des bulles fines et une complexité aromatique. Prix moyen : 25 CHF.
• 2 – La méthode Charmat (ou cuve close) : la prise de mousse se fait en cuve pendant environ deux mois, ce qui donne un produit plus fruité et accessible. Prix : 15-20 CHF.
• 3 – La gazéification : on injecte du CO2 dans un vin déjà élaboré, comme pour un soda. C’est économique (10-15 CHF) et adapté aux cocktails.
Chaque méthode répond à des usages distincts. Les vins gazéifiés sont parfaits pour les cocktails, tandis que ceux issus des méthodes Charmat ou traditionnelle s’apprécient en pure dégustation
Monde Économique : Quelles sont les perspectives pour le vin suisse ?
Jérôme Leupin : Le défi majeur reste d’attirer les jeunes consommateurs, en misant sur des produits simples, plaisants et adaptés à leurs modes de vie – comme les mousseux et les rosés. La filière doit aussi continuer à valoriser son savoir-faire, notamment dans les méthodes traditionnelles, tout en innovant pour répondre aux nouvelles attentes. Le vin suisse a des atouts, à nous de les mettre en avant.
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