Interview de Maître Guillaume Choffat : « Je suis convaincu que la médiation est un outil très utile, et souvent très efficace »

4 juin 2025

Interview de Maître Guillaume Choffat : « Je suis convaincu que la médiation est un outil très utile, et souvent très efficace »

Photo © Maître G. Choffat

Le divorce et la séparation sont des étapes de vie souvent complexes, tant sur le plan émotionnel que juridique. Dans cet entretien, Maître Guillaume Choffat, avocat spécialisé en droit de la famille, partage son regard sur les enjeux liés à la garde des enfants, à la médiation, aux conséquences financières, ainsi qu’aux nouveaux modèles familiaux. À travers des réponses claires et accessibles, il souligne l’importance de l’anticipation, de la communication, et de la coopération entre parents pour protéger l’intérêt des enfants et alléger les tensions. Un éclairage précieux pour toute personne confrontée à une séparation ou souhaitant s’y préparer au mieux.

Monde-Économique : Le divorce est souvent une épreuve délicate. Quels sont les principaux pièges à éviter lorsqu’on entame une procédure de séparation ?

Me Guillaume Choffat : Je ne parlerais pas vraiment de pièges, mais plutôt de priorités à garder en tête.

La première concerne les enfants. Il faut réfléchir à l’organisation de leur quotidien, à leur bien-être, et à la façon dont les parents vont continuer à s’en occuper séparément. L’autorité parentale est en général conjointe. La vraie question est donc celle de la garde : alternée ou exclusive ; cela s’apprécie selon des critères ressortant de la jurisprudence, notamment les capacités éducatives de chaque parent, la capacité de coopérer et communiquer des parents (coparentalité), la nécessité de préserver de la stabilité pour les enfants, l’éloignement ou la proximité géographique des domiciles des parents, la disponibilité de chaque parent, l’âge des enfants, les souhaits et les besoins des enfants, l’appartenance à une fratrie ou un cercle social (adolescents ou enfants en bas âge), etc. Une garde alternée permet à l’enfant de garder l’accès à ses deux parents et de maintenir le lien avec chacun d’eux, à condition que cela corresponde au bien de l’enfant. Mais parfois, il existe des cas où une garde exclusive reste préférable.

Il faut aussi penser aux aspects pratiques : qui quitte le logement ? Où se reloger ? À Genève, le marché immobilier est cher et saturé. Une séparation entraîne souvent plus de dépenses, qu’il faut prendre en compte dans les budgets des deux parents. Sur le plan financier, une contribution est toujours demandée en cas de garde exclusive. Elle peut aussi être prévue en garde alternée, s’il y a une grande différence de revenus. L’idée est de garantir à l’enfant un niveau de vie similaire chez les deux parents. Une aide peut aussi être versée à l’ex-conjoint, en cas de besoin. Le droit de la famille repose sur des budgets. On calcule les revenus, les charges admises par les tribunaux, et les besoins des enfants. Il existe différentes méthodes selon la situation. Pour les revenus modestes, les charges sont réduites au minimum vital du droit des poursuites. Pour les revenus plus confortables, les charges peuvent être élargies selon le minimum vital du droit de la famille. Et en cas de situations financières très aisées, les charges peuvent être admises selon les dépenses concrètes. Pour les revenus modestes et plus confortables, le calcul des contributions d’entretien se fait ensuite selon une méthode en deux étapes appelée « méthode du minimum vital avec répartition de l’excédent », laquelle consiste notamment à ajouter une part de l’excédent du parent débiteur à l’entretien des enfants, voire aussi du futur ex-conjoint dans l’hypothèse où il se justifie de prévoir une contribution d’entretien entre ex-conjoints. Pour les revenus très aisés, les contributions d’entretien seront calculées selon la méthode concrète à une étape ou méthode du train de vie. Les contributions d’entretien correspondent alors au total des dépenses concrètes de chaque membre de la famille. Dans tous les cas, des adaptations peuvent être faites par le juge qui dispose encore d’un large pouvoir d’appréciation en la matière.

Enfin, le vrai risque, c’est de ne rien faire. Il faut demander conseil, oser parler d’argent, réfléchir ensemble à ce qui est le mieux pour les enfants, et mettre de côté, autant que faire se peut, les ressentiments personnels.

Monde-Économique : Aujourd’hui, de plus en plus de couples optent pour la médiation plutôt que pour un procès. En tant qu’avocat, comment intégrez-vous cette approche dans votre pratique ?

Me Guillaume Choffat : Je suis convaincu que la médiation est un outil très utile, et souvent très efficace. Elle peut être envisagée dès le début, parfois même avant de consulter un avocat, par exemple après une thérapie de couple. Cela permet de réfléchir plus sereinement à la séparation. Dans ma pratique, je la propose souvent. J’accompagne aussi des couples dans des divorces par accord, en les aidant à trouver un terrain d’entente que l’on peut ensuite officialiser. Même si une procédure est déjà lancée, il reste possible de la mettre en pause pour tenter la médiation. Si un accord est trouvé, il peut être présenté au juge, qui clôt alors le dossier. La médiation est également très utile après un divorce ou pour d’autres conflits familiaux, comme des questions d’héritage.

Monde-Économique : Lorsqu’il y a des enfants, la séparation soulève des questions sensibles. Quelles sont les priorités juridiques à avoir en tête pour préserver au mieux leur intérêt ?

Me Guillaume Choffat : L’essentiel est de ne pas disqualifier l’autre parent aux yeux des enfants. Les parents doivent rester des co-parents responsables au moins jusqu’à la fin des études de leurs enfants, en évitant les conflits de loyauté. Il faut valoriser l’autre parent, favoriser les liens, et surtout ne pas manipuler l’enfant ou l’utiliser comme outil de revanche. Des comportements graves, comme accuser à tort l’autre parent, peuvent avoir de lourdes conséquences judiciaires. Le respect mutuel, même minimal, reste indispensable pour le bien de l’enfant.

Monde-Économique : Vous accompagnez des familles dans des moments de grande tension émotionnelle. Comment conciliez-vous rigueur juridique et écoute humaine ?

Me Guillaume Choffat : Le droit de la famille est souvent chargé d’émotions, car il touche à des aspects très personnels et sensibles de la vie. Pourtant, les tribunaux attendent avant tout des faits concrets, des preuves et des chiffres. Cela n’empêche pas l’écoute active d’être essentielle dans le travail de l’avocat, car elle permet de mieux comprendre ce que vit le client, d’essayer d’apaiser les tensions et de construire une relation de confiance. Les aspects financiers exigent une approche plus mathématique et une certaine rigueur : biens communs ou personnels, comptes bancaires, portefeuilles d’actions, polices d’assurance, véhicules, régimes matrimoniaux, prévoyance professionnelle et expectatives de rentes AVS et LPP en prévision de l’âge de la retraite, etc. Les questions parentales, elles, demandent une attention plus psychologique, notamment en ce qui concerne la communication autour des enfants entre des parents séparés et la capacité à protéger les enfants du conflit parental. Personnellement, il m’apparaît que ces émotions fortes devraient plus souvent être accompagnées en dehors du cadre juridique — par un soutien thérapeutique individuel, de couple ou du groupe familial ou par la médiation —, car le juge se concentrera essentiellement sur des éléments pratiques, factuels et vérifiables du dossier.

Monde-Économique : Les modèles familiaux ont beaucoup évolué. Quelles sont les nouvelles problématiques juridiques qui émergent avec les familles recomposées, la coparentalité ou les unions libres ?

Me Guillaume Choffat : La coparentalité repose sur une communication de qualité, même sans lien affectif entre les parents. L’objectif est toujours de coopérer dans l’intérêt de l’enfant. Les familles recomposées, quant à elles, peuvent connaître plus de tensions encore: jalousies et dénigrements, difficultés d’ordre organisationnel, équilibre entre les membres des deux familles, y compris les membres de la famille élargie (grands-parents, oncles, tantes, cousins, cousines, etc.). Par contre, il est important que chacun puisse reconstruire sa vie et s’adapter aux nouvelles dynamiques. Concernant les unions libres, les règles juridiques diffèrent de celles du mariage et du divorce, mais en substance, l’intérêt de l’enfant reste toujours la priorité. En cas de séparation d’un couple non marié, on appliquera alors les règles de la société simple ou de la copropriété pour régler les aspects patrimoniaux (partage des biens communs). Toutefois, les enjeux restent identiques à ceux des personnes mariées ou divorcées : il s’agit de partager l’ancien logement de famille et les biens communs, de répartir les droits parentaux sur les enfants, d’organiser leur vie et de régler les questions d’entretien après la séparation.

Monde-Économique : En tant qu’expert du droit de la famille, quels conseils donneriez-vous à une personne qui pressent un conflit familial et souhaite se préparer au mieux ?

Me Guillaume Choffat : Il est essentiel d’anticiper, d’agir intelligemment et sans se laisser envahir par trop d’émotions négatives. Bien évidemment, c’est plus facile à dire qu’à faire. Cela dit, plus on attend, plus on repousse les problèmes, plus on risque de devoir ensuite agir dans la précipitation tout en devant subir et gérer en plus une très lourde charge de stress et d’émotions négatives. Il est impératif donc de prendre le temps de réfléchir, de prendre du recul, de réunir les bons documents, de constituer un dossier structuré et pertinent, plutôt que d’arriver dans l’urgence avec des informations éparses et non pertinentes. Une bonne collaboration avec son avocat repose sur la confiance et la clarté, ce qui permet de mieux cibler les priorités et de gagner en efficacité, en argent, en temps, en énergie et en santé également. Une bonne préparation permet non seulement de mieux défendre ses droits, mais aussi de traverser la procédure plus sereinement.

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