Photos Nicolas Bonnet ©
Nicolas Bonnet, un homme profondément enraciné dans son terroir, incarne l’âme et la passion du vignoble genevois. Propriétaire de 17 hectares répartis entre Satigny, Dardagny et Bardonnex, il cultive avec amour et rigueur 14 cépages différents, dont certains rares et emblématiques. Parmi eux, le Sauvignon Gris, qu’il a été le premier à introduire en Suisse pour La Cave de Genève. Engagé depuis plus de 40 ans au sein de cette institution, Nicolas Bonnet croit fermement à la force du travail collectif. Pour lui, la qualité des vins est le fruit d’une collaboration étroite et passionnée. Parmi ses coups de cœur figurent des vins emblématiques comme ceux du Chef Philippe Chevrier, le Clémence Syrah-Gamaret ou encore le Clémence Chasselas Vieilles Vignes. Bien qu’il ne soit pas un fervent admirateur des vins effervescents, il ne cache pas son admiration pour la gamme Baccarat. Rencontre.
Monde Économique : Votre famille est vigneronne depuis deux siècles, un héritage riche et profondément ancré dans le terroir genevois. Comment définiriez-vous ce terroir, et en quoi façonne-t-il l’identité de vos vins ?
Nicolas Bonnet : Tout d’abord, le terroir genevois repose sur des sols majoritairement argilo-silteux. Ce type de sol n’impose pas un profil particulier au raisin, mais permet au contraire de produire ce que l’on appelle des vins de cépages, où l’expression aromatique de chaque variété peut pleinement s’épanouir, chacune avec sa typicité. Deuxième avantage, et nous le constatons tous avec le changement climatique : l’argile agit comme une éponge. C’est un régulateur hydrique qui absorbe l’excès d’eau et la restitue en période de sécheresse. Cela atténue les effets des aléas climatiques, dont la vigne souffre de plus en plus ces dernières années.
Notre vignoble se situe entre 400 et 500 mètres d’altitude. En août et septembre, mois cruciaux pour le raisin, cette altitude offre un atout considérable : des journées chaudes favorisant la photosynthèse et le développement des sucres, mais aussi des nuits fraîches qui renforcent la complexité aromatique. Cette alternance entre chaleur diurne et fraîcheur nocturne permet d’obtenir des raisins équilibrés, riches en arômes comme en sucre.
Monde Économique : Y a-t-il des enseignements familiaux qui guident encore votre travail aujourd’hui ?
Nicolas Bonnet : Objectivement, non. Mon père était archéologue cantonal et égyptologue, tandis que mon grand-père était vigneron. Mais les vins produits à l’époque dans la région n’ont plus grand-chose à voir avec ceux d’aujourd’hui, tant les méthodes ont évolué. Je fais partie d’une génération qui a repris les choses à zéro, transformant une viticulture productiviste en une viticulture axée sur la qualité et la diversité des cépages.
En 1988, avec les vignerons de La Cave de Genève et d’autres vignerons genevois, nous avons créé la première AOC Vin de Suisse, limitant les rendements pour privilégier la qualité. Une première en Suisse, et c’était à Genève ! Quatre ans avant que le premier arrêté fédéral n’établisse un cadre légal en faveur de la qualité.
Monde Économique : Vous cultivez une grande diversité de cépages, du Sauvignon Gris au Merlot en passant par le Chenin Blanc, la Syrah et le Chardonnay. Parmi eux, lequel vous inspire le plus, et pourquoi ?
Nicolas Bonnet : J’ai une sensibilité particulière pour le Cabernet Franc, un cépage tardif qui, à première vue, ne semblait pas adapté à notre région. Originaire de Bordeaux, il risquait de manquer de maturité. Pourtant, en limitant sa production et en travaillant méticuleusement la vigne, nous avons obtenu des résultats remarquables. L’objectif du vigneron et de l’œnologue est d’obtenir des raisins mûrs et sains pour révéler de beaux arômes et un bel équilibre lors de la vinification. Mais nous ne maîtrisons pas tout. Prenez l’année 2024, la plus difficile de ma carrière : malgré les défis, elle a donné des vins exceptionnels. Ce métier est une école d’humilité.
Monde Économique : Ces dernières années, les vins genevois ont gagné en visibilité et en reconnaissance, grâce à de nombreuses distinctions. À quoi attribuez-vous cette montée en puissance ?
Nicolas Bonnet : C’est la combinaison de plusieurs facteurs : l’évolution des techniques, le travail collectif et une meilleure mise en valeur du terroir. Mais surtout, c’est la passion des vignerons et des œnologues, toujours en quête d’excellence.
Ce que les consommateurs ne réalisent pas toujours, c’est que la qualité générale de nos vins dépasse largement l’image qu’ils en ont. Genève ne bénéficie pas de l’histoire et de la réputation d’autres grands vignobles, mais nous progressons chaque jour.
Monde Économique : Le marché du vin évolue, avec l’émergence de nouvelles tendances comme le bio ou les vins naturels. Comment percevez-vous ces changements ?
Nicolas Bonnet : Je me méfie des dogmes, quels qu’ils soient. La priorité, c’est d’abord d’apprendre à faire du bon vin. Genève a 30 ans d’histoire qualitative, mais nous vivons dans un monde où la forme prime souvent sur le fond. À 67 ans, je reste convaincu que je n’ai pas encore tout compris. Avant de se lancer dans des vins naturels, par exemple, il faut maîtriser les bases. Ma définition est plus technique : comprendre comment le raisin réagit au climat. Une vie n’y suffit pas.
Les plus grands vignerons que j’ai rencontrés partagent tous cette humilité. Plus on apprend, plus on réalise qu’il reste à découvrir. C’est pourquoi il est difficile d’imposer des dogmes alors que nous ne maîtrisons pas encore tout des cépages et des méthodes. Chacun a sa vérité, voici la mienne.
Monde Économique : Vous êtes engagé depuis plus de 40 ans à La Cave de Genève. Quelle est sa plus grande force, et qu’est-ce qui vous séduit dans cette aventure collective ?
Nicolas Bonnet : Justement, cette aventure collective. On progresse grâce aux autres. À La Cave de Genève, nous cultivons l’éloge de la différence, source d’enrichissement mutuel. Nous échangeons nos méthodes, nos expériences, nos avis – avec les vignerons comme avec l’équipe qui vinifie nos raisins. C’est ce qui nous fait avancer. Je fais ce métier pour être avec les autres. C’est ce qui me motive encore aujourd’hui.
Monde Économique : Enfin, pour vous, quel est le secret d’un grand vin ?
Nicolas Bonnet : Un grand vin est d’abord un vin techniquement réussi. L’équilibre entre alcool, acidité et tanins, issu de raisins sains et mûrs, est essentiel. Mais surtout, un grand vin doit procurer des émotions à celui qui le déguste.
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