Interview de Pierre Maudet : « On a besoin de gens capables de passer à l’action »

25 janvier 2023

Interview de Pierre Maudet : « On a besoin de gens capables de passer à l’action »

Photo © Pierre Maudet

Monde Economique La population genevoise renouvelle son organe exécutif cette année et pour les milieux économiques, on peut dire que le bilan est très décevant. Tout en restant sur un volet purement économique, quelle lecture faites-vous de cette législature ?

Pierre Maudet Beaucoup de sur-place et peu de chantiers enthousiasmants qui ont avancé. On a vu la concrétisation de plusieurs projets initiés précédemment mais aucun nouveau chantier ou nouvelle réforme, par exemple dans le fonctionnement de l’Etat ou la numérisation et la simplification des procédures administratives, lancée par le Gouvernement. On a surtout le sentiment d’une grande distance entre les réalités vécues dans le monde économique et une classe politique qui reste en vase clos. Je perçois ce décalage très vivement dans le privé.

Monde Economique N’est-il pas facile de faire des critiques alors qu’il y a encore 2 ans, vous faisiez partie de cet exécutif ?

Pierre Maudet En ce qui me concerne, j’ai plutôt fait bouger les lignes, que ce soit dans le domaine économique ou sur les questions de sécurité, et c’est aussi ce qui m’a valu de vives oppositions. Aujourd’hui, pour répondre aux grands défis auxquels nous faisons face, les questions d’innovation sont essentielles. Or, pour innover, il faut ouvrir les champs du possible et faire émerger des talents.

Malheureusement, dans notre canton, certaines personnes sont exclues du marché du travail, par exemple, de par leur origine, leur âge, ou leur parcours… Il faut reconnaître qu’on prend souvent les gens issus du même milieu, dans les sphères d’influence. C’est dommage, parce que rester dans l’entre-soi, c’est se reposer sur ses acquis. Dès lors, faire un effort d’accessibilité et aller chercher les talents dans toutes les strates de la société doit être une priorité.

Monde Economique Vous avez été deux ans à l’écart du pouvoir mais pas très loin de la politique. Aujourd’hui vous concrétisez votre come-back, mais la politique, c’est lent, c’est pénible. Votre passage chez WiseKey ne vous a pas convaincu des vertus du privé ?

Pierre Maudet Je travaille toujours chez WiseKey et je suis ravi de poursuivre cette expérience au sein d’une entreprise de cybersécurité. Mais il ne faut pas idéaliser le privé, ni l’opposer au public. L’avantage du secteur privé, c’est qu’il peut aller vite, certes. Mais je ressens aussi, à travers le privé, le besoin que l’Etat fixe un cadre pour que la concurrence s’exerce de manière régulée. Ce besoin, on le voit aussi bien dans le domaine qui est le mien, le numérique, qu’avec la crise énergétique. Et je pense qu’on a besoin de gens capables de passer à l’action, de réaliser les plans dans le concret, quitte à se tromper parfois, à la tête de l’Etat.

Monde Economique On ne demande jamais à un politicien s’il a appris de ses erreurs car la réponse est connue d’avance. Mais si on se risquait néanmoins à le faire, quelle serait votre réponse ?

Pierre Maudet C’est difficile de répondre à cette question sans donner l’impression que cela sonne faux ou que j’essaie de m’en sortir par une punchline. D’ailleurs ce serait facile de s’en sortir par une punchline. Donc je dirais que c’est quand les gens me rencontrent, ma manière d’être aujourd’hui avec les autres qu’est là ma réponse.

Monde Economique Aujourd’hui, les partis politiques ont déçu. Le PLR genevois, qui est censé lutter aux coté des milieux économiques, est presqu’inaudible car embourbé dans des querelles intestines et des règlements de comptes. Est-il encore possible, pour les milieux économiques, d’espérer un renouveau ?

Pierre Maudet Il me semble que les milieux économiques ont compris que se positionner uniquement sur l’axe partisan gauche-droite c’est rester dans les schémas traditionnels, donc rester dans une posture conservatrice peu propice à innover et à entreprendre. Et justement ce qui parle aux gens avec la liste Libertés et Justice sociale, c’est l’idée de sortir des blocages, de dépasser le prêt-à-penser pour trouver des solutions réellement applicables et efficientes.

Monde Economique  Les difficultés de recrutement des entreprises n’ont cessé d’augmenter en 2022 et les experts pensent qu’il en sera de même en 2023. Vu l’assombrissement attendu des perspectives économiques, la demande de travail devrait se tasser en cours d’année. Peut-on s’attendre à un sursaut de la part des autorités genevoises pour redynamiser notre économie en 2023 ?

Pierre Maudet Plus qu’un sursaut, c’est un véritable plan d’action à moyen et long terme, associant formation professionnelle et continue et nouvelle approche du marché du travail qu’il faut mettre sur pied. L’enjeu, c’est la capacité de former et de retenir les talents pour notre place économique. La NZZ publiait récemment une étude montrant qu’à brève échéance, 1/3 des employés seraient amenés à changer de poste. En parallèle, on apprenait cette semaine que Genève connaît 38% d’échec définitif dans sa filière d’apprentissage. Il est donc urgent de faire de la formation une priorité pour intégrer le marché du travail.

Nous le concrétisons, par exemple, en proposant la création d’une haute école spécifiquement dédiée au numérique, car les besoins déjà importants aujourd’hui évoluent vite. Les entreprises demandent non plus seulement des spécialistes métiers, comme les développeurs, mais également de nouveaux métiers plus généralistes comme les spécialistes produits. De manière générale, et cela touche tous les métiers, avoir des gens qui sont à l’aise et comprennent l’environnement numérique est indispensable.

Monde Economique Concrètement, que feriez-vous pour notre économie si vous étiez aujourd’hui aux commandes ?

Pierre Maudet La première chose que je ferais, c’est de reconnecter l’État aux milieux économiques. Le rôle des collectivités publiques est essentiel : on ne peut plus se contenter d’une gestion passive du marché de l’emploi pour réintégrer les gens sur le marché. Par ailleurs, je suis frappé de voir combien les besoins des attentes des PME sont peu prises en compte. A bien des égards, on a le sentiment que ces sont les entreprises qui sont au service de l’État, alors que c’est l’inverse qui devrait prévaloir. Notre liste Libertés et Justice sociale propose justement d’inverser la responsabilité administrative en imposant des délais maximaux pour délivrer par exemple des autorisations, au-delà desquels tout retard de l’Etat lui sera imputé sous réserve de la bonne foi du demandeur. Ainsi, on réduira les lenteurs et on placera vraiment les PME au centre.

Monde Economique Votre mot de fin à l’adresse du milieu économique genevois ?

Pierre Maudet On ne construit rien de solide et durable tout seul. Travaillons ensemble à la prospérité de Genève en jouant ses atouts plutôt qu’en restant sur ses acquis !

Interview réalisée par Thierry Dime

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