Interview Roberto De Primis: « Le pendule oscille entre une ultramondialisation et un retour à l’isolationnisme »

9 mars 2021

Interview Roberto De Primis: « Le pendule oscille entre une ultramondialisation et un retour à l’isolationnisme »

Interview de Roberto De Primis– Directeur du cabinet conseil EURintelligence

Monde Economique : Il est encore trop tôt pour estimer précisément l’ampleur de la crise économique actuelle, mais il est déjà certain qu’elle sera plus brutale que celle de 2008-2009. Quelle analyse faites-vous de la situation actuelle ?

Roberto De Primis : Elle est plus brutale parce qu’on a vécu et on vit encore une crise de la demande et, dans beaucoup de secteurs, une crise de l’offre. Ma préoccupation a toujours été pour l’après-pandémie et la gestion du déconfinement, qui ne s’opère pas de manière adéquate. Seuls quelques pays comme la Chine et le Vietnam tirent leur épingle du jeu.

Le prix des conteneurs sur la route asiatique a grimpé vertigineusement et la raréfaction des moyens de transport sur les longs courriers devient préoccupante pour l’activité commerciale mondiale.

Mon souhait est donc que le processus de vaccination s’accélère afin de pouvoir lever un certain nombre de contraintes pour l’activité économique. Il est devenu si compliqué de commercer avec le reste du monde. Si, pour le début 2022, les politiques n’ont pas réussi leur pari de la vaccination, nous risquons d’assister à une réelle plongée dans une situation économique, sociale et sanitaire hors de contrôle.

Monde Economique : Certains experts affirment que les échanges commerciaux internationaux vont se fragmenter davantage parallèlement à une probable montée en puissance du protectionnisme dans l’économie mondiale. Est-ce le début de la fin d’une « mondialisation heureuse » ?

Roberto De Primis : Les attitudes protectionnistes étaient déjà bien affirmées durant l’ère Trump. Que ce soit aux USA, en Chine, en Europe ou en Australie, on a assisté à une approche protectionniste préoccupante. Ceci, couplé à la pandémie actuelle, rendait la situation intenable. Aujourd’hui, grâce notamment à l’arrivée de Joe Biden, la situation se rééquilibre petit à petit avec une approche multilatéraliste.

Le pendule oscille entre une ultramondialisation et un retour à l’isolationnisme. Selon moi, le pendule va se stabiliser au milieu, à hauteur d’une mondialisation renouvelée, plus mûre, acceptant les nouvelles contraintes sanitaires, environnementales, économiques et géopolitiques. Le couple Bruxelles-Washington devra montrer la voie au sein de l’OMC mais aussi au sein de forums de gouvernance comme le G7 et le G20.

Monde Economique : La crise du Covid-19 a mis en lumière certaines fragilités liées à l’organisation des chaînes de valeur mondiales (grande dépendance envers un lieu de production unique : la Chine). Pour autant, faut-il s’attendre à un tournant dans le processus de mondialisation ?

Roberto De Primis : Nous assistons à une réorganisation tripolaire des supply-chains : pôle Amériques, pôle Europe et pôle Asie.

 Rien d’étonnant quand on voit que, dès avant cette crise mondiale, s’opérait déjà une réorganisation dans certaines aires géographiques. En Asie, le Vietnam et, dans une moindre mesure, la Thaïlande étaient les grands bénéficiaires du conflit commercial sino-américain.

En Europe, on assistait aussi à la relocalisation de chaînes de production vers des pays comme la Bulgarie, offrant un attrait fiscal et une main d’œuvre à bas coût pour des nations européennes.

En Amérique, la signature du nouvel ALENA (Accord de Libre Echange Nord-Américain) a permis au Mexique de redevenir un acteur-clé de la production de pièces détachées automobiles pour les constructeurs américains tout proches.

Là où la chaîne de valeur subit un choc systémique c’est dans l’approvisionnement de matières ou de biens stratégiques. Je parle ici de composants comme les puces, les semiconducteurs, les terres rares ou les médicaments.

Au début de la crise de la Covid-19, on a soudainement découvert que 80% du paracétamol mondial était produit en Chine et en Inde. En Occident, une réorganisation s’est opérée depuis. Nous aurons donc des supply-chains réorganisées pour les produits hautement stratégiques et un approvisionnement peut-être plus proche pour certaines denrées nécessaires. Regardez comment les Britanniques, suite au Brexit, doivent aujourd’hui réfléchir à une chaîne d’approvisionnement différenciée pour leurs besoins alimentaires.

Tout se réorganise et peut-être pour un mieux, avec une plus grande intelligence de proximité si le bien y est disponible. Il va sans dire que le consommateur paiera probablement le prix final et que nous pourrions assister à un phénomène inflationniste sur le moyen terme.

Monde Economique : Alors qu’au 19ème siècle, les européens pouvaient imposer l’ouverture des marchés par la diplomatie de la canonnière, aujourd’hui, ce sont eux qui risquent de se voir imposer des conditions d’échanges défavorables. Les européens peuvent-ils encore peser dans la régulation de la mondialisation ?

Roberto De Primis : Les Européens sont souvent critiqués parce qu’ils régulent tout et à outrance mais l’influence européenne dans la protection des données via le RGPD (règlement général de protection des données) donne le la à d’autres nations. Idem pour le climat et la défense de la biodiversité : la Commission européenne désire montrer la voie vers une planète et une société plus équilibrées. Jusqu’ici, sur ces points, elle arrive à influer sur les affaires internationales. Mais faute de devenir un véritable acteur politique et géopolitique, l’Union européenne risque de se cantonner dans une activité régulatrice sur le moyen et long termes.

Monde Economique : L’arrivée de Joe Biden va certainement réchauffer les liens entre les Etats-Unis et l’Union européenne.  Mais ont-ils encore une lecture commune des relations internationales ?

Roberto De Primis : A chaque arrivée d’un nouveau locataire à la Maison Blanche, les Européens attendent, scrutent et reproposent un dialogue transatlantique renforcé. Le Président Biden a tendu une main vers le partenaire européen et désire renouer sur les questions commerciales, de défense avec l’OTAN, de position commune par rapport à la Chine, de cyberespace, de gestion des affaires mondiales comme la pandémie en cours,…

Une thématique est devenue centrale des deux côtés de l’Atlantique : le climat. Biden a nommé John Kerry en tant que Mr. Climat et l’Union européenne a mis son « green deal » au centre de toutes ses politiques. Nul doute que les positions ne pourront que se rapprocher sur ces thématiques. La plus grande réussite serait, à terme, d’aboutir à l’instauration d’un dialogue tripartite avec Beijing.

A propos du commerce, les Européens doivent être prêts à retourner à la table des négociations avec Washington pour un futur accord de partenariat commercial.

Monde Economique : Afin de terminer sur une note positive,quels seront, pour les entreprises, les marchés porteurs au lendemain de cette pandémie ?

Roberto De Primis : Tout d’abord, permettez-moi de souligner que toute crise engendre généralement des opportunités et que les investisseurs devraient réfléchir, sans crainte, à s’ouvrir à certains marchés dès maintenant afin d’être opérationnels au sortir de la crise.

Par aires géographiques : Le Mexique et la Colombie pour les Amériques ont tous les atouts pour devenir des pôles business d’intérêt. En Afrique, ce sont l’Ethiopie et le Rwanda, pour leur dynamisme et la diversification de leur économie vers le tourisme et le textile notamment. Toujours en Afrique, épinglons le Maroc avec son port de Tanger (Tanger MED) qui est devenu un réel pôle d’attraction dans la région méditerranéenne.

En Europe, la Pologne a eu l’intelligence de créer des zones économiques spéciales comme celle de Lódz où la 5G est disponible dans le district afin d’accélérer toutes les procédures. En Asie, je pointerais le Vietnam, qui a le potentiel digne d’une puissance régionale en devenir.

S’agissant des secteurs porteurs en 2021, ceux-ci tourneront majoritairement autour des technologies de pointe. Il n’est pas anodin que, durant les 10 dernières années, 40% des emplois créés touchaient aux technologies. Nous assisterons à un boom des véhicules électriques, des batteries et du cloud ou encore à l’application accrue de l’Intelligence artificielle aux soins de santé.

En d’autres termes, à court terme les leaders demeureront américains dans ce secteur avec Tesla, Amazon Web Services, IBM ou Microsoft. Au niveau du cyberespace, le boom des assurances liées aux attaques cyber continue. Dans la finance, tout se colore de vert et la norme ESG (Environnement, Social et Gouvernance) devient prédominante. Dans le cadre de l’immobilier, l’e-commerce a fait exploser la demande immobilière pour des entrepôts et zones de stockage, une opportunité à ne pas rater !

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