Par Michel Saugné, CIO, La Financière de l’Echiquier
L’Europe a longtemps fait figure d’épouvantail pour les investisseurs. Illisibilité politique, croissance atone, banque centrale hésitante, réglementation tentaculaire, ambitions peu évidentes… Pas de quoi susciter l’engouement. En parallèle, les Etats-Unis disposaient de tout pour attirer les capitaux du monde entier : croissance robuste, innovation bouillonnante, incitations à l’entrepreneuriat, institutions solides, banque centrale puissante et lisible. Un cocktail parfait, qui a conduit à une très forte concentration des flux d’investissements mondiaux sur les actifs américains, phénomène qui a culminé à la fin de l’année 2024.
Depuis, en l’espace de quelques mois, les pôles se sont brutalement inversés. En Europe, la révolution budgétaire allemande rebat les cartes de la croissance potentielle et offre, au regard du temps qui sera nécessaire pour corriger des années de sous-investissements, une visibilité inédite sur le cycle d’activité. Le plan de dépense européen ReArm Europe renforce ces perspectives et d’autres pays pourraient être incités à suivre l’exemple. En baissant ses taux sans coup férir au point de les ramener à la neutralité, la Banque Centrale Européenne a retiré tout frein monétaire. Elle devrait même s’engager sur le chemin de l’accommodation au cours des prochains mois, avec une trajectoire et une fonction de réaction plutôt lisibles. La période d’extrême faiblesse politique de l’Union européenne lorsque, après le Brexit, on s’imaginait des défections en série, semble révolue. Enfin, la « boussole de compétitivité » dévoilée par la Commission européenne témoigne d’une Europe qui a enfin pris conscience du poids de sa surrèglementation et semble désormais déterminée à inverser la tendance. Sur ce dernier point, rien n’est encore fait et, par ailleurs, l’Europe n’est pas exempte de zones de fragilité, à commencer par la situation politique et économique de la France. Mais le Vieux Continent offre aujourd’hui ce qu’il n’avait plus offert depuis longtemps : de la visibilité.
Cette même visibilité que les Etats-Unis ont vu s’estomper. Après deux années d’exceptionnalisme, les risques sont aujourd’hui clairement orientés à la baisse pour la croissance, avec une consommation et un marché de l’emploi qui ne cessent de ralentir. Le caractère erratique de la politique commerciale de Donald Trump se double d’une incertitude très forte quant à son impact sur la croissance et sur l’inflation. L’effet de la hausse des tarifs douaniers et les choix opérés dans la récente réforme fiscale baptisée One Big Beautiful Bill (OBBB) vont accroître encore les inégalités dans un pays où elles étaient déjà à leur paroxysme. Le fonctionnement des institutions américaines a été bousculé au cours des premiers mois du mandat de Trump, au point que certains s’inquiètent de la persistance de contre-pouvoirs efficaces. L’indépendance de la Réserve fédérale est attaquée et la communication de la banque centrale risque d’être délicate ces prochains mois. Son extrême dépendance aux données économiques de court terme la maintient dans le flou, à un moment où ces indicateurs envoient des signaux contradictoires. Et les luttes de pouvoir qui ont débuté pour la succession de Jerome Powell entraîneront leur lot de déclarations discordantes. En parallèle, la pression pourrait s’accroître sur les taux américains, alors que la dérive du déficit public va encore s’accélérer après le vote définitif, ce 3 juillet, de l’OBBB par le Congrès. Certes, à commencer par la santé insolente du secteur technologique, les Etats-Unis disposent encore de nombreux atouts. Il n’en reste pas moins qu’à l’image du dollar, ils ont perdu leur statut de refuge inconditionnel pour les investisseurs.
Ce qui aurait sonné comme un trait d’humour caustique il y a quelques années est aujourd’hui une réalité. L’incertitude faisant partie intégrante de la vie des marchés, la visibilité est une denrée aussi rare que recherchée. Et aujourd’hui, c’est bien en Europe qu’elle se trouve.
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Opinion rédigée le 4 juillet 2025
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