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Par Federica Cavaliere, Senior e-Learning Specialist, Indigita SA
Dans l’environnement financier mondial actuel, les relations internationales avec la clientèle sont courantes et souvent essentielles. Les banques et intermédiaires financiers suisses interagissent régulièrement avec des clients provenant de juridictions dont la langue, le cadre juridique, la culture d’affaires et les standards documentaires diffèrent. Si cette diversité est source d’opportunités, elle introduit également des défis significatifs dans l’application des obligations suisses de corroboration KYC (Know Your Customer).
La FINMA a, à plusieurs reprises, souligné que les lacunes dans la vérification des informations clients – en particulier dans un contexte transfrontalier – constituent l’une des principales causes des mesures d’exécution. L’obligation de corroboration impose aux intermédiaires financiers non seulement de collecter des informations, mais aussi de les analyser de manière critique et de les vérifier à l’aide de preuves indépendantes. Cette tâche se complexifie considérablement lorsqu’il s’agit de clients internationaux.
En droit suisse, la corroboration n’est pas une simple formalité : c’est une exigence légale. La Loi sur le blanchiment d’argent (LBA), l’Ordonnance de la FINMA sur le blanchiment d’argent (OB-FINMA) ainsi que le Code pénal suisse imposent aux intermédiaires financiers de :
Ces obligations s’appliquent de la même manière, qu’un client soit basé à Genève ou à São Paulo. La complexité transfrontalière ne diminue en rien les exigences de conformité.
Le premier défi est souvent linguistique. Les clients soumettent fréquemment des documents rédigés dans des langues non suisses et selon des formats inhabituels. Les traductions – en particulier lorsqu’elles sont effectuées en interne – doivent être vérifiables et traitées selon le principe des quatre yeux, avec conservation de la version originale et de la traduction.
La transparence constitue un autre enjeu. Si les registres publics suisses tels que Zefix sont complets, leurs équivalents étrangers présentent des niveaux de fiabilité très variables. Dans certaines juridictions, la propriété effective est volontairement dissimulée au moyen de sociétés écrans ou de prête-noms, ce qui complique l’identification du véritable détenteur des actifs et des raisons qui sous-tendent leur détention.
Les normes culturelles et juridiques diffèrent également. Un client disposant d’importantes liquidités peut susciter des inquiétudes en Suisse, même si cela est courant dans son pays d’origine. De même, des structures d’affaires jugées excessivement complexes ici peuvent être standard ailleurs. Les intermédiaires financiers doivent appliquer les standards suisses tout en tenant compte de ces différences.
Les contraintes opérationnelles – différences de fuseaux horaires, chaînes de communication longues, conseillers locaux peu réactifs – peuvent retarder l’entrée en relation et limiter l’accès à des informations fiables. Cependant, ni les délais ni l’incertitude ne justifient de réduire les exigences de diligence.
Enfin, si les sources publiques peuvent soutenir la corroboration, elles ne sont pas toujours fiables à l’étranger. Les professionnels suisses peuvent recourir à des outils comme Bloomberg ou Opencorporates, mais doivent les interpréter avec esprit critique. Les données publiques peuvent être obsolètes, inexactes ou incomplètes, et doivent être vérifiées par recoupement chaque fois que possible.
Pour répondre aux attentes réglementaires dans les dossiers complexes, les intermédiaires suisses doivent adopter une approche fondée sur les risques. Une diligence raisonnable renforcée (EDD) est indispensable pour les personnes politiquement exposées (PEP), les juridictions à haut risque ou les structures offshore complexes. Cela implique des vérifications plus approfondies, une documentation supplémentaire et des analyses de plausibilité plus robustes.
Lorsque les clients détiennent plusieurs comptes ou entretiennent diverses relations, la corroboration doit dépasser le seul dossier concerné. L’examen de l’ensemble du « cluster » client permet d’assurer la cohérence entre les relations d’affaires, les objectifs des comptes et les sources de fortune déclarées.
Les outils spécialisés et l’expertise locale peuvent s’avérer précieux. Les prestataires externes de due diligence et les bases de données commerciales peuvent combler certaines lacunes. Toutefois, les rapports et alertes doivent être évalués de manière critique, et non simplement archivés : ils servent à apprécier le risque, pas à contourner les obligations.
La corroboration n’est pas une tâche ponctuelle. Des révisions régulières sont nécessaires pour maintenir une compréhension à jour du profil et des activités du client. Toute évolution de la situation ou tout indicateur de risque nouveau doit déclencher une réévaluation.
Surtout, il est essentiel d’adopter un esprit critique. Une corroboration efficace suppose de comprendre la substance des informations reçues. Un relevé bancaire ou un extrait d’immatriculation d’entreprise n’a de valeur que s’il s’intègre logiquement au profil et aux activités déclarées du client. La cohérence, la crédibilité et le contexte priment sur la quantité d’informations.
Les relations transfrontalières accroissent la complexité, mais ne réduisent pas les exigences de conformité. Les obligations légales de clarification, de corroboration, d’évaluation de la plausibilité et de documentation s’appliquent avec la même rigueur, quelle que soit la distance ou la juridiction.
Les intermédiaires financiers suisses doivent être prêts à remettre en question les déclarations reçues, à approfondir leurs vérifications lorsque nécessaire et à adapter leurs outils et processus aux réalités internationales. La corroboration KYC ne consiste pas simplement à cocher des cases : c’est garantir l’intégrité, la conformité et la résilience dans un environnement financier international en constante évolution.
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