L’initiative Minder, réflexions d’un économiste à travers la Théorie de l’agence

6 janvier 2013

L’initiative Minder, réflexions d’un économiste à travers la Théorie de l’agence

Dans 3 mois nous allons voter pour ou contre l’initiative Minder, du nom du conseiller d’Etat indépendant schaffhousois. Nicolas Martin, journaliste à Largeur.com, parlait d’un «vote inévitablement déraisonnable», pour décrire le combat qui allait avoir lieu entre, d’une part, un patronat et une droite furieusement contre, et, d’autre part, une gauche divisée entre l’initiative et le contre-projet voté aux chambres, avec, à côté des politiques, un peuple pour le moins troublé par les nombreux scandales qui nous visitent depuis quelques années (scandales UBS malheureusement au pluriel, Swissair, ABB, etc.). A ce vote déraisonnable, essayons au contraire de lui donner de la raison.

Tout d’abord quel sujet passionnant! Qu’on soit pour l’initiative et pour le contre-projet, contre l’initiative et pour le contre-projet, ou qu’on soit contre les deux, reconnaissons au moins le mérite de Thomas Minder d’avoir posé une problématique terriblement intéressante, couvrant les domaines des relations entre actionnaires et conseils d’administration, les fondements du capitalisme, la structure juridique des sociétés anonymes, le rôle des caisses de pension, la rémunération des dirigeants et donc la prime au «talent» de ceux-ci, la compétitivité des entreprises dans une économie mondialisée, le rôle des possibles sanctions pénales, et j’en passe.

Focalisons-nous sur le sujet du contrôle de la rémunération des dirigeants par les actionnaires, notamment sous l’angle d’une théorie économique, la Théorie de l’agence.

Cette dernière pose tout d’abord que l’entreprise n’est pas un acteur unique, rationnel, qu’il existe des potentiels conflits d’intérêts entre les dirigeants et les actionnaires. Dans le cas qui nous intéresse, le dirigeant n’est pas propriétaire de l’entreprise, il ne supporte les conséquences de ses actes qu’en partie, il est un agent des propriétaires, c’est-à-dire des actionnaires, qui lui ont délégué une partie du pouvoir.

Maintenant, et cela se confirme par la réalité du terrain, les stratégies personnelles des dirigeants peuvent aller à l’encontre des souhaits des actionnaires (qui ne désirent que la maximisation de leur investissement, donc des bénéfices de l’entreprise): un dirigeant peut rechercher un meilleur salaire, plus de bonus, plus de pouvoir à travers la croissance démesurée du chiffre d’affaire, par l’acquisition d’entreprises (cf le cas Swissair), et peut-être encore en fin de processus un meilleur bénéfice pour l’entreprise.

Cette théorie a analysé des outils pour justement réduire ce conflit d’intérêts, comme l’outil des stock options, avec la volonté de lier les intérêts des dirigeants, qui recherchent alors une augmentation des cours d’action, à ceux des actionnaires. Cet outil n’a pas totalement fonctionné, car les dirigeants pouvaient rechercher une maximisation du cours de l’action sur le court terme avec des décisions qui n’allaient pas dans le sens d’une stratégie saine et sur plusieurs années.

Alors comment faire? Dans le sens de cette théorie, il faut réduire les coûts d’agence, provenant de ces intérêts différents. Dans ce sens, je pense que le contrôle des salaires et des bonus des dirigeants d’une entreprise par les actionnaires est une solution satisfaisante, liant les rémunérations aux résultats de l’entreprise; l’objectif ultime est quand même que la société réalise un meilleur bénéfice: aujourd’hui, trop de conseils d’administration s’octroient des bonus même lorsque la société réalise des pertes!

Au contraire d’economiesuisse, je pense que le principal gagnant de cette initiative, si elle passe, est bien l’actionnaire! Celui-ci sera protégé de la recherche de gains à court terme de la part des dirigeants et aura une meilleure transparence dans le processus de rémunération. Ce système permettra d’assainir notre économie de marché des méfaits de certains, et sera un argument important pour attirer des personnes qui ont envie d’investir dans des sociétés où chaque partie va dans la même direction!

Manuel Donze – Chroniqueur pour le magazine Le Monde Economique et Fondateur des coffrets cadeaux Ohbox.ch

 

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