LA CYBER- FLANERIE, ENTRE ABSENTEISME VIRTUEL ET POTENTIEL D’INNOVATION

13 février 2020

LA CYBER- FLANERIE, ENTRE ABSENTEISME VIRTUEL ET POTENTIEL D’INNOVATION

Par Dessy Damianova

Que le préfixe bien connu de « cyber » ne nous trompe pas, surtout quand nous voyons ce mot écrit dans sa version anglaise de cyberloafing. A la différence des autres néologismes numériques formés avec ledit préfixe, il ne s’agit pas là d’un phénomène digital ou d’une opération importante – pas même d’une activité au sens propre du terme. La cyber-flânerie, c’est cette liberté que tout un chacun de nous se permet de prendre, au milieu même d’un travail réalisé sur ordinateur et par voie numérique, pour visionner des sites non nécessairement liés à notre activité professionnelle ou « déambuler » sans but précis dans les méandres de l’Internet.  

Dans un premier temps, la cyber- flânerie était envisagée comme une attitude irresponsable, une sorte d’absentéisme virtuel qui dérange le processus du travail et occasionne des pertes à l’entreprise. Face à la puissante irruption – par le biais de la digitalisation du processus du travail et de l’expansion de l’Internet – du divertissant, du ludique et du récréatif au sein du rigide et exigeant monde professionnel, les dirigeants et les responsables de celui-ci semblaient se durcir et se mettre sur leurs gardes. Il n’était pas question de permettre un relâchement de la discipline et un « détournement » des ordinateurs, en temps de travail, à des fins personnelles et donc non- professionnelles.

Aller vers davantage de confiance et de tolérance.

Petit à petit, les choses se sont assouplies. La tentation initiale des responsables d’entreprise de surveiller leurs employés, soupçonnés à tout moment de s’embarquer pour une navigation non- autorisée, a cédé la place à davantage de confiance et de tolérance. Aujourd’hui, à l’époque du télétravail et de la dilution des frontières entre activité professionnelle et vie personnelle, il n’est guère question de surveiller qui que ce soit : la responsabilité de s’organiser en de telles conditions est confiée entièrement à l’employé qui, dès lors, doit trouver la bonne manière de planifier son travail et, entre activité et pauses, effort et distraction, de gérer efficacement son temps. Seuls comptent les résultats finaux ; la manière dont ils étaient obtenus n’intéresse désormais personne.

Ce qui laisse une belle marge pour la cyber- flânerie. Tous les cyber-horizons s’ouvrent devant celui qui s’accorde une pause (qu’elle soit méritée ou pas tellement) : réseaux sociaux, sites d’actu, de jeux, de divertissement, d’achat en ligne, bouts de séries … Tout est bon, à condition de pouvoir ensuite trouver le chemin de retour et arriver à temps, l’esprit encore suffisamment vif et lucide, pour continuer le travail et s’absorber à nouveau dans le traitement des dossiers ou la rédaction de la correspondance professionnelle.

D’après une étude d’Olfeo, rapportée par Mode(s) d’emploi, le surf personnel s’intensifie dans certaines tranches horaires pour faiblir à d’autres heures. La poursuite de l’activité professionnelle serait la plus efficace entre 10h et 12h et entre 15h et 17h. En revanche, dans le reste du temps, les incartades seraient fréquentes et, en fonction de l’heure, varieraient l’utile (sites d’actu, de météo, de trafic)  et le divertissant (jeux, sport, vidéo de musique et de films).

Des déclics aussi fortuits que fructueux.

Comme on l’a déjà remarqué, si maintenue dans des limites raisonnables, la cyber-flânerie (le cyberloafing) est de plus en plus tolérée au bureau. Dernièrement, on observe même une tendance intéressante : une sorte de timide encouragement des cyber- escapades sur le lieu du travail. Plusieurs études scientifiques vont jusqu’à reconnaître dans cette nonchalante pratique un potentiel d’innovation et y voir un catalyseur de l’esprit de créativité et de découverte. En effet, en se « promenant » sur les différents sites, en accédant à diverses informations, en se mettant en contact avec d’autres personnes, l’employé « flâneur » pourrait, de la manière la plus impromptue qui soit, avoir un déclic fécond et « accoucher » d’une nouvelle idée. De la rencontre informelle de quelques éléments accidentellement entre-aperçus sur Internet et d’une expertise parfois longuement acquise, peut surgir la solution d’un problème qu’on aurait en vain cherchée pendant des mois !

On le voit bien, la cyber- flânerie peut être aussi féconde et productive. Jusqu’alors désapprouvée, provoquant la crispation des responsables et un malaise chez l’employé, avec une forte baisse de la confiance en soi, elle doit être vue aujourd’hui comme une sorte de mini- pause en plein travail – une pause mi- distrayante, mi- créative. Mais renoncer à stigmatiser la cyber- flânerie, c’est aussi reconnaître que dans les conditions de la transformation numérique, la frontière entre vie professionnelle et vie privée s’est passablement amincie et que dorénavant les deux s’interpénètrent mutuellement – parfois même d’une manière assez avantageuse et fructueuse.

 

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