La géothermie comme substitut « cleantech » au nucléaire ?

20 mars 2013

La géothermie comme substitut « cleantech » au nucléaire ?

Bien que la Suisse soit passé maître dans le chauffage géothermique pour ses habitats avec un nombre record de petites sondes géothermiques reliées à des pompes à chaleur par km2, la géothermie profonde — productrice d’électricité — reste un exemple typique de cleantech encore mal connue du grand public et pas toujours assez valorisée. Cette filière d’énergie renouvelable visant à transformer la chaleur naturellement contenue au dessous de la surface terrestre en chauffage et en électricité n’apparaissait par exemple pas dans le masterplan cleantech 2011 de la Confédération ni dans les filières prioritaires retenues par CleantechAlps, la plate-forme de support des technologies vertes de Suisse occidentale.

Il faut dire que l’histoire de cette technologie a plutôt mal commencé en suisse avec l’échec retentissant d’un forage de géothermie à Bâle en 2006. Mais avec l’abandon programmé du nucléaire et de ses 25’560 GWh, la filière de la géothermie ne demande qu’à se développer et poursuit ses avancées techniques. Selon l’OFEN, les experts prévoient la construction d’une douzaine d’installations d’ici 2030, avec une production totale de 800 GWh. Son potentiel très important a même été estimé à 4’400 GWh par le Paul Scherrer Institute ou 17’000 GWh par l’électricien Axpo pour la production électrique d’ici à 2050. Cela représenterait 30 % de la consommation suisse de courant électrique et environ 2’000 MW de puissance installée, soit l’équivalent du cumul de toutes les autres énergies renouvelables ou encore l’équivalent combiné des centrales nucléaires de Gösgen et de Leibstadt.

Ses atouts sont très nombreux, car il s’agit d’une source d’énergie propre, locale, renouvelable et durable. Ses coûts de production sont relativement faibles, stables et indépendants du prix des combustibles fossiles. Son énergie est disponible 24 h/24, toute l’année, indépendamment des conditions climatiques contrairement au solaire et à l’éolien. Et elle n’émet pratiquement pas de déchets, de nuisances, d’émissions de CO2 ou de NOx, et son emprise au sol et sur le paysage est très faible. Elle serait donc un candidat idéal au remplacement des combustibles fossiles et nucléaires. L’inconvénient est que pour garantir la rentabilité d’une installation de ce type, la vente de l’excédent de chaleur est essentielle en plus de la production d’électricité. Il faut donc avoir un gros consommateur de chaleur à proximité, tel qu’un réseau de chauffage urbain.

Au fur et à mesure que l’on s’enfonce sous terre, la température augmente à peu près de 30 à 40 °C par kilomètre de manière régulière avec une faible incertitude. Cela signifie qu’à partir de 2 à 3 km, une température de 100 degrés est suffisante pour turbiner de l’électricité et ce potentiel augmente encore jusqu’à 5 km avec une température d’environ 200 °C. Grâce à un forage, cette température sera transportée en surface par pompage de l’eau naturellement présente dans des roches fissurées — un aquifère —, s’il existe et que son débit dépasse 20 à 40 litres par seconde, ou par de l’eau artificiellement injectée depuis la surface par un autre forage dans le cas de roches cristallines sèches (Systèmes Géothermiques Stimulés SGS ou, en anglais, EGS Enhanced Geothermal Systems). L’incertitude la plus importante réside dans la productivité des aquifères ou les échanges thermiques possibles avec l’eau artificiellement injectée. Les prévisions peuvent énormément varier en raison des débits d’eau, des variations de perméabilité et du nombre de fissures et de failles géologiques. Dans certains cas, il peut être nécessaire de procéder à une fracturation artificielle des roches chaudes, en injectant de l’eau sous pression ou de l’acide dans le forage en vue d’élargir les discontinuités ou fines fissures naturelles. À la surface, la vapeur d’eau peut-être turbinée pour produire de l’électricité avant d’être récupérée pour du chauffage.

À Bâle, le projet « Deep Heat Mining » initié et soutenu par l’OFEN dès 1996 prévoyait la construction d’une installation de géothermie à une profondeur de 5 km dotée d’une puissance électrique de 3 MW et d’une puissance thermique de 20 MW pour approvisionner quelque 10’000 ménages en électricité et 2’700 ménages en chaleur. La géologie du sous-sol bâlois n’étant pas perméable, la technologie envisagée était basée sur une stimulation par eau sous pression pour fracturer la roche ce qui a provoqué plusieurs séismes perceptibles à la surface durant l’hiver 2006/2007 avec des dommages d’environ un million de francs signant l’arrêt du projet pour des raisons de sécurité sismique.

Après cet échec, de nouveaux projets ont vu le jour, mais basés cette fois sur une technologie plus douce, dans des lieux riches en aquifères permettant de se passer de stimulation artificielle. C’est le cas de la commune de Lavey, réputée loin à la ronde pour ses bains thermaux, et qui abrite également l’une des plus anciennes et des plus grandes centrales géothermiques de Suisse. Cette centrale chauffe et alimente aujourd’hui toutes les infrastructures des bains de Lavey, grâce à deux puits d’une profondeur de 200 et 600 mètres. La commune compte maintenant sur le projet « Alpine Geothermal Power Production (AGEPP) », estimé entre 23 et 26 millions de francs, pour le forage d’un unique puits profond de 2 à 3 km captant de l’eau à 110 °C avec un débit de 40 litres par seconde. Cela permettrait de produire de l’électricité pour 500 ménages et couvrir les besoins en chaleur de 1’200 ménages ainsi que de certaines industries locales, grâce à un réseau de chauffage à distance. Cette énergie thermique pourra aussi servir à développer des activités telles que la pisciculture ou la culture sous serre.

C’est aussi le cas à Saint-Gall où les habitants de la ville ont approuvé en 2010 un crédit de 160 millions pour un projet de géothermie profonde de 4 à 5 km destiné à produire l’équivalent de 20 MW en chauffage et 4,5 MW en électricité grâce à la présence présumée d’eau à 170 °C. Les deux forages débuteront en 2013 et la centrale devrait être opérationnelle à l’automne 2015. Le raisonnement économique a été simple, car les coûts annuels de chauffage des bâtiments de la ville s’élevaient à plus de 120 millions de francs et étaient basés à 90 % sur des énergies fossiles telles que le pétrole ou le gaz.

Dans la région de la Côte également, un projet de géothermie profonde « GP La Côte » piloté par les communes de Nyon, Gland, Aubonne et Etoy vise à exploiter des aquifères profonds par pompage en circuit fermé à travers deux forages profonds de 4 km qui représentent entre 40 % et 50 % d’un coût total estimé à 100 millions de francs.

Le principal risque de ces projets reste de ne pas atteindre les objectifs de débit d’eau et de température estimés préalablement à l’aide de modèles basés sur les indications géologiques et des mesures sismiques, ce qui conduirait à un échec de la production électrique. La viabilité financière et donc la réalisation de ces projets dépendent fortement de la couverture de ces risques. Pour cette raison, un mécanisme a été mis en place par l’OFEN et par l’intermédiaire de Swissgrid pour prendre en charge à la charge de la Confédération ces coûts éventuels jusqu’à concurrence de 50 % après une phase d’évaluation supervisée par l’OFEN. En cas de réussite de ces projets pionniers, la prospection et la mise en place de nombreuses autres centrales géothermiques en Suisse pourraient devenir un nouvel eldorado Cleantech.

Basile Gola
z
collabore avec Le MONDE ECONOMIQUE en qualité d’expert sur des thématiques liées à l’ingénierie et au Cleantech

 

Recommandé pour vous