Photo Keith James © Lauren Lieberman / LILA PHOTO
En quelques années, West Palm Beach a méthodiquement créé une communauté d’opportunités pour tous en Floride. Sous l’impulsion de son maire charismatique Keith James, chacun a sa place au soleil et peut aspirer au rêve américain. Les Etats-Unis du futur se joue ici avec ce déplacement du centre de gravité économique et sociétal. Rencontre avec un visionnaire que l’Amérique n’a pas vu venir.
Par Sabah Kaddouri
A l’ombre des palmiers, les rues parfaitement entretenues laissent harmonieusement cohabiter piétons, cyclistes et automobilistes. Un beau soleil darde de ses rayons les habitants qui s’affairent ou prennent leur temps entre deux échoppes colorées. En toile de fond, l’azur de l’Océan Atlantique. Etudiants, entrepreneurs, sportifs, mères de famille, retraités… Chacun s’élance dans son quotidien, serein et confiant. A West Palm Beach, ils ont trouvé une promesse qui s’adresse aux natifs comme aux rêveurs : A Community of Opportunity for All. Traduisez : une Communauté d’Opportunités pour Tous. Des mots percutants qui s’apprécient concrètement pour ces Américains de tout horizon réunis autour de cette belle formule. L’Amérique aime les slogans mais déteste, encore plus, les mensonges, les promesses non tenues. Gare à ceux qui se joue de sa confiance ! Un homme, bien déterminé, a réussi sous sa bannière à endosser le costume de politique, de médecin, de PDG, de pionnier, de policier, de père de famille, de meilleur ami… Le maire Keith James, élu à la tête de West Palm Beach en 2019, a transformé le visage d’une agglomération jadis meurtrie, pour en faire une ville modèle à l’échelon des Etats-Unis. Du monde.
Avant de s’installer sur ce siège, le territoire symbolisait tous les maux d’une société en péril : insécurité, désaffection de la jeunesse, investissement quasi-nul, insalubrité, West Palm Beach détonnait face à sa cossue voisine, Palm Beach. Cruelle fatalité géographique… Le comté à la plus forte concentration de milliardaires du globe, lieu de résidence de l’homme le plus puissant du monde, Donald Trump, subissait la double peine en regardant au loin la carte postale reluisante d’une Amérique triomphante. L’Oncle Sam aime aussi les belles histoires, les happy end, et plus le cas est désespéré – empruntant à David et Goliath – et mieux c’est ! Le salut de West Palm Beach est venu quelque part de Wichita, au Kansas. Un état aux antipodes de la douceur floridienne et de son magnétisme planétaire. Keith James, l’homme providentiel, a vu le jour à des milliers de kilomètres dans une Amérique ségrégationniste. Le destin a aussi voulu qu’il soit le fruit de l’insouciance adolescente.
« Ma mère avait à peine 17 ans quand elle m’a eu. Elle venait tout juste d’être diplômée et de démarrer sa formation universitaire. Bonne élève, elle est tombée amoureuse de son exact opposé. J’ai été élevé par cette mère célibataire formidable qui en dépit des difficultés n’a jamais cherché à dénigrer la figure du père absent. Elle a été contrainte de stopper ses études pour travailler comme femme de ménage chez une famille aisée. Elle m’a toujours appris que l’éducation était la clef vers le succès. Vous savez lorsque vous êtes l’enfant, l’unique fils, d’une mère célibataire, il y a une chose que vous refusez d’être : la plus grande déception de votre maman. C’était ma plus grande peur. Très tôt, tout ce que je savais est que je voulais la rendre fière. », confie Keith James.
Pour comprendre l’édile, il faut convoquer l’enfant, le passé. Investiguer la genèse de cette soif de réussite exemplaire. Même si la politique est venue sur le tard, et d’ailleurs par hasard, il y a comme une évidence dans son parcours de vie. Ce n’était qu’une question de temps. Très tôt, le petit Keith affiche des facultés scolaires au-dessus de la mêlée. Il lit beaucoup, comprend aussi qu’il doit s’investir deux fois plus qu’un camarade blanc. On envisage de lui faire sauter des classes mais sa mère refuse cette perspective. Bientôt l’excellence des résultats doublée du comportement irréprochable de son fils imposera une décision difficile au foyer : quitter l’école réservée aux Afro-américains pour un établissement exclusivement blanc. A 8-9 ans, Keith James est projeté vers l’inconnu. Sa boussole, quant à elle, ne change pas puisque sa mère devra toujours être fière de lui. Un jour, il vit un épisode particulièrement douloureux qui le marqua à vie. Il doit prendre la décision de ne pas rejoindre ses amis noirs partis manifester. Bien sûr qu’il veut voir cesser le régime ségrégationniste si incompatible avec les valeurs démocratiques des Etats-Unis ! Cependant, ne pas aller à l’école signifiait trahir sa mère et la blesser. « Malgré les pressions, je n’ai pas boycotté l’école. J’ai été débordé par l’émotion et éclaté en sanglots. C’était très lourd à porter pour l’enfant de douze ans… », se remémore l’élu interrogé sur la première partie de sa vie.
Il ne le sait pas encore mais le petit Keith est en train de développer des compétences inter personnelles déterminantes pour la suite de son parcours. Il saura s’adapter à tous les univers, faire consensus tout en défendant ses opinions. Il embarquera comme un leader sait le faire.
Une autre étape finira de le façonner pour la suite : ses brillantes études à Harvard. Il choisit le droit et se spécialise en droit des affaires, un domaine qui l’intéresse. Drôle d’histoire pour celui qui n’avait jamais entendu parler de la prestigieuse institution au rayonnement international ! En quittant son Kansas natal, grand est le choc ! Pour la première fois, il côtoie des étudiants étrangers parmi l’élite du monde entier, il foule la Côte Est qui est loin de ressembler à son état rural de l’Amérique profonde. Keith James fait donc du Keith James en s’adaptant comme un caméléon, en travaillant deux fois plus, en rendant fière sa chère mère. Sept années d’études intenses plus tard, il décroche son premier job d’avocat dans un cabinet de Philadelphie. Il a trouvé sa voie, se passionne pour son métier et aspire à devenir le conseil de référence d’une grande société. Après cinq ans de pratique, on lui propose le challenge de développer le bureau en Floride, à West Palm Beach. Une autre décision importante car à cette époque, la ville était associée au crime et à la fuite des cerveaux.
Il fait malgré tout le pari de s’y installer. Un tournant qui va à la fois changer sa vie mais, plus largement, impacter à jamais l’histoire de West Palm Beach. Désormais père de famille, avocat d’affaires respecté gagnant bien sa vie, Keith James s’implique au sein de sa communauté en trouvant toujours le temps de faire du volontariat. Sans le savoir, il se fait remarquer par des personnalités locales qui voient en lui beaucoup de potentiel. La maire Loïs Frankel, siégeant aujourd’hui au Congrès à Washington, l’appelle un jour pour le convaincre de candidater à la municipalité en tant que conseiller municipal. L’avocat est aussi surpris qu’hésitant, il n’avait jamais pensé à ce scénario en venant vivre dans le comté. Dire oui, c’est tout recommencer. Adresser des sujets immenses. Que faire ? Se questionne-t-il. Il se laisse convaincre car il aime sa ville d’adoption. Nous sommes en décembre 2010, Keith James regarde ses enfants et se fait une promesse : il essaiera de leur offrir un cadre où rêver, où projeter leur avenir. Et si West Palm Beach cassait cette spirale violente pour emprunter un autre chemin ? « A Community of Opportunity for All » (une Communauté d’opportunités pour Tous), cet idéal germe dans sa tête.
L’homme prend à bras-le-corps cette mission au nom des siens, au nom de tous, il œuvrera de toutes ses forces. Pendant neuf ans, il apprend le métier de politique sur le terrain, se confronte aux gens tout en se prenant parfois brutalement leurs histoires en pleine face. « Rien n’est plus difficile que d’aller voir des parents éplorés par la perte de leur enfant sur fond de trafic de drogues. C’est un drame pour tout le monde. », partage-t-il en marquant un silence. Son humanité, ses convictions, sa détermination, sa fermeté, son énergie forcent le respect des résidents qui lui remettent les clefs de la ville pour un premier mandat en 2019.
A la question de savoir quelle a été sa première décision forte, Keith James nous répond du tac au tac : « J’ai licencié le chef de police et désigné un nouveau patron. Instaurer la sécurité est devenue ma priorité absolue. », rétorque-t-il. Nouvelle méthode, nouvelle vision, le maire est en train de tout remettre à plat. West Palm Beach sera non seulement une localité pacifiée, mais aussi un lieu où il faut être pour faire du business, des études, du golf, du tourisme, la fête… Et même un endroit qui saura jusqu’à attirer les riches voisins de Palm Beach pour un dîner, un spectacle ou un projet d’investissement. Mais qui est cet homme intrépide en quête de l’impossible commence à se dire le petit monde de Floride ?
Un certain Stephen Ross, capitaine d’industrie et entrepreneur star à la réussite éclatante ouvre l’œil et l’oreille. Bientôt, le portefeuille. A la tête de l’empire immobilier Related Ross, propriétaire des Miami Dolphins, du Grand-Prix de Formule 1 de Miami ou encore à l’origine du tournoi de Tennis de Miami, Stephen Ross est l’incarnation de la toute-puissance américaine. La rencontre des deux hommes va bouleverser irrévocablement le destin de West Palm Beach. Le maire et l’homme d’affaires multimilliardaires parlent la même langue : tous deux veulent voir grandir leur communauté, tous deux ne se sont jamais satisfaits du statu quo, ni trouver d’excuses. Juste faire le job avec le cœur et avec la tête.
Miami est la vitrine du Sunny State, néanmoins la métropole est saturée de constructions, congestionnée sur les routes limitant de facto sa croissance démographique. La Floride de demain, alliant qualité de vie et dynamisme économique, se trouve désormais à West Palm Beach, se dit Stephen Ross séduit par l’alchimie d’un partenariat public-privé. Plus qu’une alliance, un levier de réussite garanti. Le business man aime sa Floride natale et, tel un Père fondateur, il pressent que l’avenir des Etats-Unis se joue ici. La Silicon Valley, le New York post-Covid ne font plus rêver comme avant avec leurs nombreuses normes législatives contraignantes. Les Américains excellent que lorsque l’on leur offre un cadre réglementaire souple où libérer leurs énergies créatives et entrepreneuriales. L’alignement des planètes a lieu à West Palm Beach qui devient un incubateur à idées pour bâtir la ville modèle à l’échelon du pays.
Sous la houlette du tandem Keith James / Stephen Ross, tout l’écosystème se mobilise. A vitesse grand V, les espaces de bureau haut de gamme passent de zéro à 3,3 millions m2 attirant les entreprises financières et technologiques qui s’établissent dans la localité en plein boom. Des investissements majeurs sont alloués à la construction d’infrastructures, aux transports. Le train régional ultra moderne Brightline a désormais sa station, il devient un rouage essentiel à la vitalité économique de la cité. Un pôle de santé complet contribue également à métamorphoser la ville. « Ce fut l’un de nos premiers chevaux de bataille, convaincre le géant médical Cleveland Clinic de s’implanter à West Palm Beach. Il n’était plus possible de voir les habitants fuir en avion à la recherche d’un hôpital, d’un traitement. », rembobine Stephen Ross qui s’est penché aux chevets des résidents à tous les niveaux.
L’éducation, une priorité également. La présidente de l’Université Palm Beach State College, Ava Parker, est de toutes les réunions pour soutenir la vision du maire et de son acolyte. L’institution collabore main dans la main avec les entreprises pour préparer ses étudiants et répondre aux besoins des employeurs. C’est un changement de paradigme car l’école ne veut plus voir partir ses talents ailleurs après les avoir formés. Il incombe aussi au Palm Beach State College de faire vivre sur les bancs de l’université la doctrine chère au maire d’une communauté d’opportunités pour tous. Quant aux ménages modestes, le philanthrope Stephen Ross a veillé à ne pas les laisser sur le bord de la route grâce à une bourse finançant intégralement les études des plus démunis.
La ville se métamorphose sans rencontrer de résistance des locaux. Tous sont en train de récolter les fruits de cette ambition. Plus édifiant encore, Keith James est plébiscité pour un second mandat en 2023 où il n’a aucune opposition. La vie politique américaine n’étant pas franchement connue pour faire dans la dentelle, il parvient à faire l’unanimité bien au-delà de son camp. Désormais intronisé comme « Strong Mayor », l’homme administre la ville comme un CEO à la demande générale.
En quelques années, Keith James n’a pas seulement réinitialisé miraculeusement l’existence de West Palm Beach, il en a surtout fait une ville modèle à la croissance exponentielle. Le comté enregistre des chiffres hors normes comparativement à la moyenne nationale, à l’instar d’une plus grande capacité à générer de nouveaux emplois (7,7% vs 4,3%). Le « miracle » West Palm Beach s’accompagne d’un autre phénomène : l’exode massive de chefs d’entreprise, chercheurs, investisseurs New-Yorkais, Californiens, Texans… en quête de cette terre promise.
Définitivement entrée dans une nouvelle dimension, West Palm Beach a réenchanté le rêve américain en devenant « The Place to be ».
En quittant West Palm Beach, on se dit que le centre d’attraction des Etats-Unis s’est bel et bien déplacé ici. Durablement.
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