Entre menace terroriste persistante et actes de vandalisme flagrant (nous pensons à l’opéra saccagé et aux vitrines cassées de quelques commerces en marge de une manif sauvage), la paisible Genève a passé une veille de Noël agitée – et c’est le moindre que l’on puisse dire.. C’est sans doute pour cela que dans les jours entre les deux grandes fêtes de fin d’année, on a vu des milices privées, redoutables ceintures noires, patrouiller dans la Cité de Calvin. Le sentiment d’insécurité croît et, à contrario, en riposte à celui-ci, s’intensifie la recherche de nouvelles solutions de défense et de protection civiles. Et tant pis si ces dernières puissent être parfois assez informelles– comme les rondes nocturnes des patrouilles privées en question, ces agents – « anges du respect » habillés en noir qui jurent à qui veut les entendre qu’ils sont là seulement pour rassurer les citoyens et « faire un travail de prévention ».
Mais ils sont là aussi pour nous rappeler qu’il existe une chose comme le marché de la sécurité. Marché peu connu, en temps normal, par le grand public, secteur légèrement « gris » de l’activité commerciale, celui-ci a tendance, dans des périodes d’instabilité, à se développer d’une manière considérable et ne plus rebuter à s’afficher au grand jour.
Sous la désignation de « marché de la sécurité », on comprend d’un côté le commerce d’équipement de protection et la mise à disposition d’agents privés de sécurité, et, d’autre côté, le négoce militaire lié à la vente d’armes et au placement de mercenaires. Avec l’accroissement de la menace d’attaques ciblées ces derniers mois, le marché de la sécurité a connu un essor considérable, tant dans son volet « protection civile » que dans celui de la fourniture de services liés à des possibles opérations militaires anti- terroristes dans des pays du Moyen Orient. Même s’il comporte une certaine idée d’attaque et d’offensive, le commerce militaire pratiqué dans les Etats européens et aux USA est au fond lui aussi un commerce de protection et de sécurité. Ceci est d’autant plus valable pour une Suisse qui doit rester fidèle à sa neutralité et éviter d’intervenir dans des conflits armés.
Loin de prétendre à une neutralité de type helvétique, les autres pays européens, surtout ceux qui sont membres de l’UE, avaient pourtant réalisé, dès les années 90, des coupes importantes dans leurs budgets militaires. Cela a laissé leurs armées quelque peu désemparées, chose qui est d’autant plus sensible aujourd’hui quand la menace d’un conflit global est devenue réelle – de toute manière beaucoup plus réelle qu’elle ne l’était vingt ans en arrière. Afin de se maintenir prêtes pour une éventuelle riposte, les armées européennes font souvent appel aux services des sociétés privées militaires (SPM). Il s’agit le plus souvent de différentes missions d’intendance et de logistique ainsi que de mise à disposition de personnel militaire bien formé. Les pilotes d’hélicoptère travaillant dans le privé sont ainsi très prisés par l’armée régulière qui recourt souvent à leurs services.
La Confédération helvétique confie chaque année environ 120 missions à diverses entreprises militaires. En même temps, le DFAE et le Département de Justice et police font beaucoup pour la réglementation et l’encadrement législatif des activités des entreprises de mercenariat dans les zones de conflits armés. Nous venons en effet d’utiliser un mot qui gêne et met mal à l’aise : le mercenariat. De ce métier si essentiel dans la tradition historique helvétique, la modernité ne retient, assez justement d’ailleurs, que la signification négative, celle de combattre pour être payé le mieux possible, souvent du côté du plus offrant – et quelle que soit la cause défendue. Or, contrairement à ce qu’elle était dans le passé, soit pourvoyeuse de mercenaires pour toute l’Europe et responsable, au moins en partie, de violences commises pendant plusieurs confrontations militaires dans le passé, la Suisse du 21 siècle, Etat- hôte de l’ONU, inspirateur et signataire d’un bon nombre d’initiatives de paix à l’échelle internationale, ne peut qu’être fermement opposée à tout ce qui est susceptible de devenir facteur d’enlisement ou d’approfondissement de ces conflits, y compris l’exercice du mercenariat.
Pour ce qui est de l’« autre » marché de la sécurité, celui de la sécurité plus généralement civile – privée, résidentielle et commerciale – il est à son tour en pleine expansion. Après les attentats de Paris, l’intérêt des propriétaires et des gérants de cafés, de restaurants ainsi que de salles accueillant des manifestations publiques grandit pour les différents équipements destinés à renforcer le sentiment de sécurité de la clientèle. Mais la menace terroriste mise à part, lesdits propriétaires et gérants doivent rester vigilants face à leurs ennemis de toujours – le cambriolage, l’incendie volontaire ou involontaire, les différents actes de vandalisme dont, notamment, la casse (nous avons mentionné plus haut ses récents ravages à Genève). Le marché de la surveillance qui, en Suisse, représente quelque 2,5 milliards de francs et constitue 70% des activités liées à la sécurité (les données sont du magazine Bilan) se développe intensément ces dernières années et cela dans tous ses aspects : pose d’alarme, ouverture et fermeture de magasins, cafés, restaurants, gestion des leurs clés, présence d’agents de sécurité sur place, parfois 24 heures sur 24.