Les gérants de fortune indépendants : colonne montante de la finance suisse

22 mai 2025

Les gérants de fortune indépendants : colonne montante de la finance suisse

Par Sherif Mamdouh

Le visage de la gestion de fortune en Suisse évolue. Dans un contexte de réglementation renforcée, de pression accrue sur les marges et d’un accès aux avoirs des clients plus difficile, les banques privées suisses repensent leurs priorités. De plus en plus, elles concentrent leurs efforts sur un segment longtemps resté dans l’ombre mais aujourd’hui en pleine lumière : les gérants de fortune indépendants (GFI), aussi appelés Independent Asset Managers (IAM).

Un repositionnement stratégique des banques

« Nous sommes passés d’un rôle de simple banque dépositaire à celui de partenaire stratégique », affirme Etienne Billaud, responsable du service aux tiers gérants à la Banque Syz. Face à la complexité réglementaire, à la transformation digitale et aux attentes croissantes de personnalisation, les banques suisses adaptent leur modèle. Leur objectif : capter davantage d’actifs en soutenant les GFI plutôt qu’en se battant pour les mêmes clients.

Ce repositionnement n’est pas un hasard. L’entrée en vigueur de la LEFin et de la LSFin a profondément structuré le paysage. Les GFI disposent désormais d’un statut officiel d’intermédiaire financier supervisé par la FINMA, ce qui renforce leur crédibilité selon Jérôme Moser responsable de l’Asset Servicing & Consulting chez Ninety-Six Partners. Fin 2023, ils représentaient près de 216 milliards de francs d’avoirs gérés en Suisse.

Une demande croissante d’indépendance

La montée en puissance des GFI s’explique aussi par une transformation de la demande des clients fortunés. Moins sensibles à la notoriété d’une enseigne, ils recherchent désormais proximité, neutralité, et conseil personnalisé. « Le client ne veut plus seulement un banquier pour partager un café. Il attend des résultats et une sélection rigoureuse d’opportunités », souligne Eli Mizrahi, fondateur de Targa 5 Advisors.

Ce changement d’attentes alimente une dynamique vertueuse. Comme l’explique Nicole Curti, présidente de l’Alliance Swiss Wealth Managers : « Les clients comprennent que les frais des GFI, souvent perçus comme élevés, sont en réalité plus transparents et compétitifs une fois intégrés à l’ensemble des coûts d’investissement. » Un discours qui porte : une fois partis, les clients reviennent rarement vers leur banque d’origine.

La complémentarité au cœur du modèle

Ce succès ne rend pas les GFI autonomes de bout en bout : ils s’appuient sur les banques dépositaires pour l’exécution et la conservation des actifs. « C’est une symbiose qui fonctionne si les rôles sont clairs : la banque fournit une infrastructure robuste et un accès aux marchés, tandis que le gérant reste maître de la relation client », résume Etienne Billaud.

La Banque Syz, qui dispose d’une équipe dédiée aux tiers gérants depuis plus de 20 ans, a renforcé cette approche en lançant « Syz as a Service » — une offre modulaire qui permet aux gérants de puiser dans son expertise en investissement, sa technologie et même ses capacités en actifs alternatifs et cryptomonnaies. Une manière d’offrir des solutions sur mesure, tout en consolidant la relation.

Un modèle sous pression mais en mutation

Reste que l’indépendance a un prix. L’intensification réglementaire et la hausse des exigences en matière de conformité grignotent les marges. « Pour rester compétitifs, nous avons misé sur des économies d’échelle en consolidant les actifs et en élargissant notre base de clientèle », explique Eli Mizrahi. Chez Targa 5 Advisors, cela passe aussi par un positionnement fort sur l’Amérique latine, marché qu’ils maîtrisent en profondeur.

Cette pression favorise un mouvement de consolidation. Près de 500 sociétés ont déjà quitté le secteur ou fusionné depuis l’introduction du nouveau cadre légal, selon Nicole Curti. Mais loin d’être un signe de repli, ce tri naturel favorise l’émergence de structures plus solides, plus modernes, et mieux préparées à naviguer dans un environnement exigeant. Certaines banques vont même jusqu’à prendre des participations dans des GFI performants, à condition de préserver leur autonomie – condition sine qua non pour ne pas dénaturer leur ADN.

Un avenir construit à deux

L’avenir de la gestion de fortune suisse pourrait bien se jouer dans ce nouvel équilibre entre indépendance et infrastructure. «L’avenir et le développement des GFI reposeront notamment sur leur capacité à préserver une relation véritablement personnalisée, à garantir une indépendance dans la sélection des produits et à identifier leurs partenaires de banques dépositaires en fonction des profils et besoins spécifiques de leurs clients » estime Jérôme Moser. Dans cette configuration, chacun y gagne : les clients bénéficient d’un service affiné, les GFI d’un socle robuste, et les banques d’une croissance indirecte mais bien réelle de leurs actifs sous gestion.

La Suisse a bâti sa réputation sur la stabilité et la discrétion. Elle pourrait renforcer son rôle de place financière de référence grâce à une autre force : la complémentarité.

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