L’ordre du chaos

14 juillet 2025

L’ordre du chaos

Par Michel Saugné, CIO, La Financière de l’Echiquier

Michel_Saugné_LFDE
Michel Saungé © LFDE

Le chaos règne à Washington, où les annonces de taxes à l’importation fusent en tous sens, de façon souvent imprévisible. Parmi les dernières en date, les produits brésiliens se voient frappés d’une taxe de 50% à partir du 1eraoût, alors même que les Etats-Unis entretiennent un excédent commercial avec le pays ! Confirmation – mais en doutait-on ? – que la rationalité économique a peu de poids dans les décisions washingtoniennes.

Pourtant, le marché reste imperturbable. Sur un mois, au 10 juillet, les actions américaines gagnent plus de 4%, les actions émergentes à peine moins, et les actions européennes sont stables.

Première explication : le marché ne croit pas aux annonces de taxes. Ayant appris par l’expérience, en avril dernier, lors de l’annonce ubuesque des « taxes réciproques », que les mesures, même les plus fortement martelées, pouvaient être remises en question dès le lendemain ou repoussées sans horizon assuré, les investisseurs font désormais peu de cas des annonces présidentielles. Ils s’attendent à ce que la raison économique l’emporte au tout dernier moment. Ainsi le marché actions brésilien a-t-il reculé de seulement quelques pourcents à l’annonce surprise des taxes de 50%, et reste stable sur un mois. Ou encore le marché du cuivre américain, menacé de taxes de 50% également, ne reflète-t-il actuellement qu’une partie du surcoût local dû à ces taxes. Implicitement, les intervenants sur ce marché ne semblent pas anticiper une application entière de cet impôt. A vrai dire, l’appliquer paraît contre-productif, puisque cela heurterait de plein fouet la consommation de cuivre importé aux Etats-Unis, vitale à de nombreux égards. Le cuivre est en effet non seulement indispensable à la construction automobile ou d’infrastructures électriques, mais aussi à la construction de centres de données informatiques, au cœur de la croissance américaine. Cette taxe entraverait donc la productivité locale. Mais à Washington, le discours sur l’autonomie à long terme en matière de métaux industriels emporte tout, même s’il faut des années, voire des décennies, pour mettre une mine en production. D’ici-là, les besoins ne feront a priori que grandir, surtout si la construction est ralentie, ce qui repousse d’autant la perspective de l’autonomie – qui semble donc illusoire.

Autre explication : le marché a pris ses marques, et s’organise dans ce chaos, en comptant notamment sur la capacité d’adaptation des entreprises pour réorganiser leurs approvisionnements ou compenser les surcoûts. Un peu de la même façon que les tornades sont des structures stationnaires qui émergent des perturbations météorologiques, à condition de recevoir de l’énergie thermique et de dissiper du désordre (appelé en l’occurrence « entropie »), le marché actuel émergerait du chaos trumpien en se nourrissant de l’énergie venue des flux acheteurs de Wall Street. Une telle structure, appelée « dissipative », peut perdurer tant que de l’énergie lui est apportée. Dans cette image certes approximative, le tourbillon des marchés pourrait durer tant que les investisseurs et les entreprises se montrant friands d’actions – ce que qu’ils sont d’autant plus que les marchés montent. Un ordre émergerait bien du chaos.

L’inconvénient de ce phénomène est que Wall Street, en hausse, ne jouerait plus le rôle de garde-fou contre les girations du bureau ovale. Par différence, après l’annonce initiale des taxes dites « réciproques », le plongeon du marché, surtout obligataire, avait certainement contribué à la volte-face du président, qui avait accordé, au bout de quelques jours, des délais de négociation et assoupli le ton. Si désormais le marché ne baisse plus franchement lors des annonces de nouvelles taxes, quelle puissance pourra modérer le président américain ? Les organisations internationales n’ont pas de poids auprès de lui. Les juges fédéraux américains, qui ont tenté d’intervenir par le droit, ont vu leur pouvoir limité par la Cour Suprême, elle-même largement acquise au chef des Républicains. Quant à la Réserve Fédérale américaine, dernier rempart des marchés, elle demeure certes indépendante dans son discours, qui porte loin. Mais outre qu’elle n’a aucun pouvoir en matière de taxes douanières, elle se voit l’objet d’une entreprise de déstabilisation continue de la part de la Maison Blanche, qui n’a pas caché que le prochain Président de la Fed serait acquis au discours trumpien. Aucune puissance ne semble donc pouvoir contrarier aujourd’hui la tornade trumpienne.

Aucune… sauf l’économie elle-même. Si elle finissait par montrer une franche dégradation, comme c’est à craindre en raison de la montée des taxes douanières, elle pourrait agir comme une force de rappel à la raison économique. Mais ce processus ne pourra se dérouler qu’avec fracas. Ainsi, un chaos en engendrerait un autre, mais sous une autre forme, possiblement préférable à long terme.  

***

Opinion rédigée le 11 juillet 2025

Disclaimer : Ces informations, données et opinions de LFDE sont fournies uniquement à titre d’information et, de ce fait, ne constituent ni une offre d’achat ou de vente d’un titre ni un conseil en investissement ni une analyse financière. Les performances passées ne préjugent pas des performances futures. 

Retrouvez l’ensemble de nos articles Economie

 

Recommandé pour vous