L’Union européenne: un potentiel économique fragilisé

4 janvier 2021

L’Union européenne: un potentiel économique fragilisé

Photo © Bruno Verdi

Comment l’Union Européenne peut-elle prétendre diffuser ses valeurs à travers le monde, alors même que celles-ci sont remises en cause pas ses propres Etats membres? 

Encore une fois l’Union européenne se démarque par sa capacité de réaction économique, avec l’émission pour la première fois de son histoire d’une dette mutualisée d’un montant de 750 milliards d’euros. Sur la même lancée, l’Union souhaite semble-t-il faire de cette année celle des « premières fois », mais c’était sans compter sur un énième défaut de consensus politique. Pour répondre aux demandes et critiques persistantes concernant la direction donnée aux politiques de certains pays européens, l’UE a procédé à l’inscription dans le paquet relatif au cadre financier pluriannuel 2020-2027, du respect de l’Etat de droit comme une condition nécessaire au versement de l’aide à ses Etats membres. Une initiative inédite, à laquelle la Pologne et la Hongrie ont opposé leur veto et ainsi bloqué l’obtention de l’accord qui permettra à la commission de lever des fonds. Le premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki fustige qu’il est hors de question de voir les fonds européens soumis à « des critères arbitraires et politiquement motivés ». 

Ce n’est pas tant le défaut de consensus qui étonne dans cette affaire, que le motif de la « dispute » : l’Etat de droit. Pourtant, ce même critère politique fait partie des conditions préalables imposées aux Etats pour leur adhésion à l’Union. 

L’Etat de droit une ambition européenne… 

À compter des années 90’, l’effondrement du bloc soviétique donne place à une redistribution des cartes sur le continent européen. La bataille des idées étant gagnée, les valeurs défendues par le bloc occidental pouvaient désormais pleinement s’imposer. L’Union européenne définit dès 1993 une série de principes dits « Critères de Copenhague » qu’elle place comme condition préalable à toute nouvelle adhésion. Cette liste est renforcée lors du Conseil européen de Madrid en 1995 et comprend trois catégories de critères : l’aspect économique, l’acquis communautaire, ainsi que des exigences politiques. 

Au titre du critère politique, le pays candidat accepte d’assurer le respect de l’État de droit, qui implique dans son aspect formel, la séparation des pouvoirs, le respect de la légalité des normes édictées, ainsi que l’égalité de tous devant elles. Dans son aspect matériel, ce principe implique que l’ensemble des normes, ainsi que l’action des intitulions qu’elles sous-tendent, soit soumises aux respect des droits fondamentaux. Ce sont donc aujourd’hui vingt-sept Etats de l’Union qui ont préalablement accepté de se plier au respect des cette exigence politique, afin d’avoir accès au marché commun. L’Union aspire de fait à dépasser le cadre économique sur lequel elle s’est bâtie, et ses ambitions en la matière ne se limiteront pas à la seule Europe. 

Dès 1995 l’accord Lomé VI bis conclu avec les Etats d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) contient une clause dite « droits de l’homme ». Cette disposition engage les parties au respect de l’Etat de droit, et vient lier le maintien de l’accord économique au respect de celle-ci. 

Mais face aux critiques qui seront opposées à l’Union européenne, en raison de la menace que représente une telle possibilité d’interrompre l’exécution d’un traité, pour la sécurité juridique, 

l’Union renforcera son dispositif. Dès 2000, le nouvel accord signé à Cotonou entre l’Union européenne et les 79 États du groupe ACP, érige la clause «droit de l’homme» au rang « d’élément essentiel » de celui-ci. Une modification sémantique qui n’est pas sans intérêt juridique et pratique, car le terme « d’élément essentiel » permet ainsi à l’Union de se mettre en conformité avec les règles de droit international. 

En premier lieu desquelles, la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités qui fait office de loi en la matière, et qui exige qu’un élément occupe a minima une telle importance pour que sa violation puisse donner lieu à la suspension d’un accord. La continuité économique avec les Etats tiers est dès lors explicitement reliée à des conditions politiques, et il semble que désormais ce soit aussi le cas avec les Etats membres. 

Il est vrai que pour défendre ses valeurs, l’Union ne navigue pas sur un long fleuve tranquille, pas même dans ses propres rangs. Le veto polonais et hongrois, qui bloque l’adoption du budget 2020- 2027, sonne comme un sabotage du plan de sauvetage économique des vingt-sept face à la crise du COVID 19. Un plan qui a lui même eu tant de mal à prendre forme, en raison de l’opposition des Etats « frugaux » (Pays-Bas, Suède, Autriche, Danemark) à un tel élan de solidarité. C’est maintenant bel et bien un désaccord sur les fameux « critères politiques de Copenhague », que l’on croyait chose acquise, qui stoppe le processus. 

Deux questions viennent alors à l’esprit;
• Est-ce que l’Etat de droit est plus menacé aujourd’hui qu’hier en Europe, au point que l’Union  ressente le besoin de conditionner expressément la répartition des budgets à son respect?
• Comment l’Union peut-elle encore prétendre diffuser ses valeurs à travers le monde alors même que celles-ci sont remises en cause pas ses propres Etats membres? 

Une division pas comme les autres… 

Pour soutenir leur opposition la Hongrie ainsi que la Pologne, invoque le bon vieux principe de « non ingérence » dans les affaires internes d’un État. À Varsovie, le ministre de la Justice, Zbigniew Ziobro, va même jusqu’à déclarer que l’Etat de droit « n’est qu’un prétexte, un beau mot qui sonne bien à l’oreille, mais il s’agit d’un asservissement institutionnel, politique, d’une limitation radicale de la souveraineté ». Son Vice-ministre de la Justice, Michal Wojcik, ajoute quant à lui qu’il s’agit d’un « moment clé de notre histoire : combien vaut la souveraineté, un milliard, plusieurs douzaines de milliards, plusieurs centaines de milliards d’euros ? Pour nous, cela n’a pas de prix ». 

Bien au-delà d’un simple blocage institutionnel, ou d’un désaccord interne, l’affaire est sans doute embarrassante pour l’Union Européenne. Quand bien même le Conseil européen a avancé « qu’une solution rapide sera trouvée », la question outrepasse inévitablement Bruxelles et affecte l’aura que tente de se constituer l’Union européenne sur la scène internationale. À l’heure où l’image de l’Union est déjà affaiblie par les nombreux soubresauts du Brexit, ce nouveau différend sur des éléments que l’on ne souhaitait plus voir remis en cause dans l’Europe du 21e siècle, intervient alors que se tiennent depuis plusieurs mois, les négociations pour le renouvellement d’un des accords de partenariat international des plus importants pour l’Union. 

L’accord de Cotonou qui expire en 2020, lie l’UE à 79 Etats d’Afrique des Caraïbes et du Pacifique, dont 48 sont des pays africains. Par ailleurs, c’est parmi ces derniers que l’on note une plus grande réticence au renouvellement d’une clause « droits de l’homme » aussi contraignante que par le passé, voir davantage, car l’Union souhaite y insérer de nouvelles exigences (abolition de la peine de mort, liberté relative à l’orientation sexuelle…). La chose la plus frappante, est qu’il se trouve que l’argument invoqué par les réfractaires est le même que celui opposé par la Hongrie et la Pologne, la « non ingérence » et « la souveraineté » de leur Etat. C’est pourquoi, le danger de ce désaccord, au delà du blocage d’un budget, est de savoir comment imposer des « valeurs stratégiques » à travers le monde si on ne parvient pas à le faire à l’interne. 

Face à une telle cacophonie autour des principes sur lesquelles l’Union fonde ses rapports avec les Etats extérieurs à l’organisation, c’est la crédibilité de cette dernière qui est en jeu, et l’écho peut être entendu de très loin. Au final, pourquoi accepter de se voir imposer des conditions politiques, qui ne sont pas tolérées par les Etats membres eux-mêmes. Aujourd’hui, le risque est celui du rejet des conditions européennes et la mise en échec de partenariats sur des zones stratégiques. Un rejet qui peut s’opérer au profit d’acteurs « concurrents », qui eux ne font pas tellement de cas de ces considérations dans la définition de leur tactique économique. Leurs Deals se limitant à une relation d’affaire Win Win ! 

Par Nora Ajabli 

Présidente AMSHI Handicap
Doctorante de droit – Université de Grenoble et Université de Genève Experte en droit international européen et en droit des affaires 

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