Malbouffe et économie

23 novembre 2011

Malbouffe et économie

Quel rapport entre la malbouffe et le bilan annuel d’une compagnie ? Voire de toute une société ? Le fait que la qualité de l’alimentation diminue, notamment chez les jeunes, ne se discute plus. L’impact au niveau personnel est évident : les courbes montantes des statistiques des diverses maladies « style de vie » (diabète, surpoids, burnout, cancer, accidents cardio-vasculaires) en sont témoins. Mais qu’en est-il de l’impact économique ?

Dans le combat entre additifs chimiques et aliments bourrés de sucres et de graisses d’un côté, et concentration et rendement à l’école ou au bureau de l’autre, il y a clairement un vainqueur aujourd’hui…. Mais ce résultat n’est pas inexorable. Plutôt que faire pour une Xième fois de la théorie, j’aimerais raconter quelques histoires, passablement raccourcies pour les besoins de cet article.

Il était une fois un lycée « alternatif » dans le Wisconsin (USA). Les autorités y avaient groupé des élèves violents, en échec total. Autant dire que c’était la jungle. Or, depuis 1997, tout a changé : les élèves sont calmes, respectueux et concentrés. Entre deux, a-t-on sprayé les corridors avec du Valium ou ajouté de la Ritaline® à tous les repas ? Non. Une société locale, Natural Ovens, a décidé d’en faire un projet expérimental et offrir des repas équilibrés et sains à ces kids soi-disant sans avenir. Fast food, snacks et autres sodas ont cédé la place aux salades, fruits, pain complet, plats « faits maison », le tout accompagné d’eau plate. Et la violence et les échecs scolaires ont cédé la place au calme et à la concentration, le tout accompagné de bons résultats scolaires ! Combien coûtent les congés maladies pour burnout de nos instituteurs et de nos profs ?

En Angleterre, une société a entrepris cette expérience : à midi, des hommes d’affaires d’un premier groupe ont mangé un repas riche en féculents et pauvres en nutriments. Un autre groupe a pris, lui, un repas riche en protéines et végétaux, sans féculents, et ceci tous les jours de la semaine. Ensuite, après une semaine de pause, ils ont échangé les deux groupes pendant une semaine pour s’assurer que les résultats seraient dus aux repas et non aux individus. Les hommes d’affaires qui avaient mangé les pâtes ou les sandwiches n’étaient pas pressés de reprendre le travail ; léthargiques la moitié de l’après-midi, ils avaient même plutôt envie de faire la sieste. Ceux qui avaient mangé les repas protéines-végétaux se sentaient tout de suite d’attaque, plus motivés, et étaient plus performants – tous, sans exception, des deux côtés de l’équation ! Combien coûtent les collaborateurs qui mettent une heure ou deux avant d’être opérationnels après la pause-midi ?

Plus près d’ici, dans un PME de Cologne (D), un patron exaspéré mais futé s’est mis à sa calculette pour déterminer le coût journalier d’un cadre moyen dans son entreprise, puis le nombre moyen de jours d’absences dus à la maladie. Il a ensuite calculé combien cela lui coûterait d’investir dans un concept nutritionnel innovant pour son personnel, en les impliquant financièrement et en incluant leurs enfants gratuitement dans le programme. A la fin de l’année les résultats étaient clairs : il avait coupé en deux les coûts de l’absentéisme et avait obtenu de surcroît un meilleur rendement de tous ses collaborateurs. Ce patron a répondu à la question « combien ? » et la décision était vite prise.

Encore plus près d’ici, dans une famille de la région de Morges, les éléments de l’histoire sont extrêmes : enfants constamment malades, hyperactifs, souffrants de déficit d’attention grave, et j’en passe, un récit de symptômes à la limite du supportable, et les parents é-pui-sés. Je cite l’excellent livre de Mme Claude Berdoz, Déjouer les Turbulences :

« Pour mon mari et moi-même, ce fut très difficile de nous rendre régulièrement sur notre lieu de travail et de vaquer avec compétence à nos tâches. Mon mari exerçait une activité orientée dans la vente de concepts, difficile de dégager une attitude positive et optimiste. Son activité demeurait notre revenu principal. D’un commun accord, nous décidâmes qu’il valait mieux que si un licenciement devait avoir lieu, ce soit moi et non lui. Mon horaire afficha plus d’absences que de présence. Dans notre malheur, nous avions quelques chances, celle entres autres, d’avoir un directeur extraordinaire, merveilleux et compréhensif. »

Décision, recherches, contacts, apprentissage d’une nouvelle cuisine ô combien contraignante : « plus d’additifs, plus de conservateurs, plus de phosphates, plus de gluten, plus de lactose, plus de sucres, etc », mais il s’en allait de la survie de la famille, physiquement et psychiquement. Pour reprendre les mots du mari/papa, Alexis Berdoz, dans l’émission du 7 septembre 2011 « Je mange donc je suis » de la TSR : « [après 6 ans d’enfer avec les médicaments, quand quelqu’un vous trouve une] solution hors milieu médical et deux mois après c’est fini, vous dites que c’est miraculeux ». Combien coûte l’hyperactivité chez nos enfants, heureusement pas toujours aussi grave que dans cet exemple, mais toujours plus fréquente ?

Nicolas Guberan, psychiatre consulté dans la même émission au sujet du rôle joué par le régime alimentaire dans la santé psychique, « pense que beaucoup de troubles sont attribuables à la malbouffe ». L’argument qu’une bonne alimentation est trop coûteuse n’est plus acceptable ; il est vite amorti par des améliorations de toutes sortes. La conscience publique évolue mais, comme toujours, il faudra passer par le porte-monnaie pour que les milieux économiques réagissent. Combien coûtent les burnout en entreprise?

On peut trouver des éléments de réponses dans ce rapport repris par le SECO : « Les conséquences économiques des maladies psychiques représentent en moyenne 3 à 4 % du produit intérieur brut (Gabriel & Liimatainen, 2000). Il s’agit pour deux tiers de pertes de productivité et pour un tiers d’absences prolongées du travail (Lachenmeier, 2002). Quatre pour cent du PIB de la Suisse, c’est plus de 18 milliards de francs, si l’on considère le PIB de 2005, qui est de 456 milliards de francs. » Daniela Schuler, Peter Rüesch, Carine Weiss La santé psychique en Suisse. Monitorage Document de travail 24 Août 2007.

Mais il y a des alternatives. Celle qui me tient particulièrement à cœur est proposée par une société basée à Bâle, qui propose de fournir une supplémentation à base de fruits et légumes gratuitement aux enfants de leurs clients ; chaque client adulte peut « parrainer » un enfant ou un jeune entre 4 et 18 ans. Avec déjà un demi-million d’enfants et d’adolescents dans le monde qui participent à ce programme d’observation, les résultats fournis par les questionnaires de la première année sont frappants : 71% des enfants et 72% des adultes ont moins envie de fast-food et de boissons sucrées ; 59% des enfants et 69% des adultes mangent spontanément plus de fruits et légumes ; 55% des enfants et 51% des adultes ont manqué moins d’école ou de travail ; 93% des enfants et 95% des adultes ont constaté des bienfaits divers, y compris une meilleure concentration, moins de visites chez le médecin et moins de médicaments. Mais le plus beau de tous les chiffres c’est celui-ci : 9 personnes sur 10 développent une conscience accrue de la santé. Un cadeau pour la vie, pour nous tous ! Quand allons-nous commencer à investir dans la santé au lieu de toujours subventionner la maladie ?

Par Hannah Demarest, Consultante chez Le Monde Economique

 

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