Osons La « Distribution 4.0 »

2 avril 2019

Osons La  « Distribution 4.0 »

Par Olivier Badot*

Si le XXème siècle a connu beaucoup d’évolutions en matière de commerce et de distribution, toutes ont concerné le magasin physique et ont moins modifié structurellement le secteur qu’apporté des évolutions au format magasin. Le fait qu’Alibaba devienne en 2017 le premier distributeur mondial de produits de consommation et que l’homme le plus riche du monde soit, en 2018, le propriétaire d’Amazon, signale une perte de suprématie du magasin comme formule principale de distribution au profit des places de marché digitales.

La « Distribution 4.0 » redistribue

les cartes par rapport au commerce

hérité du XIXème siècle

Il s’agit de systèmes d’information reliant vendeurs et acheteurs, sans stock propre, sans magasins et déléguant la livraison des marchandises aux fournisseurs. C’est la « distribution 4.0 » qui permet aux clients d’acheter n’importe où, n’importe quand, via leur smartphone. Cependant, si le format commercial qu’est le magasin physique perd de sa suprématie, il ne semble pas voué à une disparition immédiate. A la fois, parce qu’il représente encore un avantage économique et logistique pour les offreurs comme pour les acheteurs et parce que la propagation de la « Distribution 4.0 » se heurte à l’acceptation par les corps sociaux. En conséquence, le secteur du commerce mute graduellement vers le paradigme omnicanal, dit aussi « phygital » consistant à articuler marchands digitaux et physiques.

« Distribution 4.0 » et « logistique 4.0 »

Le commerce digital n’est pas forcemment plus efficient que le magasin physique, surtout en matière de délais de livraison de produits de consommation courante qui génèrent des coûts élevés que le client n’est pas prêt à assumer. Ceci explique pourquoi les taux d’emprise du e-commerce de biens dématérialisés (musique, billets d’avion, tickets de cinéma, etc.) sont jusqu’à six fois plus élevés que ceux relatifs aux produits de grande consommation. En outre, les enjeux environnementaux sont majeurs en matière de e-commerce. C’est pourquoi, la gestion du dernier kilomètre est en pleine reconfiguration : la logistique tendrait à devenir « ubérisée » pratiquant des modèles organisationnels qui visent à minimiser les coûts de gestion et de mise en contact entre les lieux de retrait des colis et ceux de livraison en recourant à des particuliers devenus aussi livreurs.

Si cette coordination entre des milliers de particuliers s’appuie massivement sur des systèmes d’information algorithmés, elle n’est pas sans poser des problèmes en matière de travail et de bien-être. Les espaces urbains devront mieux s’adapter, d’une part, aux exigences environnementales et, d’autre part, aux contraintes du commerce omnicanal (livrer les e-acheteurs, les magasins et les points-relais répondant au click-and-collect). La ville devrait devenir un maillage d’entrepôts tampons en proche périphérie reliés à des hubs et autres lieux de dispatching des colis par des systèmes de fret enterrés. La ville deviendra aussi agile en mettant à disposition ses espaces à occupation variable en fonction des moments du jour ou de la semaine (parkings, rues,…) aux opérateurs de la micro-logistique urbaine (fournisseurs, livreurs, etc.).

Si le format commercial qu’est le magasin physique perd de sa suprématie, il ne semble pas voué à une disparition immédiate

Une culture de l’arbitrage généralisée

Les « consommateurs augmentés » par les systèmes d’information et l’Intelligence Artificielle (notamment des modèles prédictifs d’achat) semblent avoir développé un véritable « habitus de l’arbitrage » qui leur permet de choisir de façon ubiquitaire et permanente le meilleur canal pour la transaction, qu’il soit physique, digital ou « phygital », c’est-à-dire hybride (notamment pour des produits non alimentaires), le tout au meilleur prix. La distribution devient alors de plus en plus agile et one-to-one. Des services comme Uber ou WeChat en Chine, varient en fonction de l’offre et de la demande. Cette culture de l’arbitrage tend à accroître l’écart entre « commerce de viscosité » (qui va là où le client se trouve en minimisant son effort et le temps passé) et « commerce de destination » (vers lequel va le client à condition que soit démontrée sa valeur ajoutée par rapport au e-commerce).

Vers une redistribution des cartes dans le secteur de la distribution

La « Distribution 4.0 » redistribue les cartes par rapport au commerce hérité du XIXème siècle. Tout d’abord, le consommateur en mouvement constant semble devenir le pilote de sa propre valeur grâce aux outils et technologies de la « mobiquité ». Ensuite, les producteurs et les distributeurs semblent relégués au rang de fournisseurs, de prestataires des acteurs des places de marchés. Ce phénomène est accentué par l’arrivée d’un nouvel acteur dans la création de valeur pour le consommateur (et donc de réduction de la valeur pour les entreprises traditionnelles)… le consommateur lui-même, qui devient fournisseur et vendeur. En résumé, la distribution a muté en un écosystème aux multiples acteurs, dans lequel la réintermédiation des marchés de biens et de services s’opèrerera majoritairement via les places de marché. La valeur se trouve alors redistribuée dans l’« univers Internet », comme en témoignent les niveaux de capitalisation des acteurs du digital, niveaux bien supérieurs à ceux des acteurs du secteur classique de la distribution. 

* à propos de l’auteur

Olivier Badot est Professeur titulaire de la Chaire E.Leclerc/ESCP Europe « Prospective du commerce dans la société 4.0 » à l’ESCP Europe et Professeur des Universités associé à l’Université de Caen (IAE/NIMEC)

 

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