Par Denise Longchamp
« Nous plaçons la sécurité au cœur de tout ce que nous faisons. » Cette déclaration, extraite d’un rapport de Boeing avant le lancement du 737 Max, illustre à elle seule le fossé dramatique qui peut exister entre une promesse d’entreprise et sa mise en œuvre. Deux crashs mortels, un coût de plus de 20 milliards de dollars, une réputation durablement entachée : l’affaire Boeing a démontré que les engagements non tenus, surtout lorsqu’ils sont formulés avec aplomb, peuvent se transformer en pièges toxiques aux conséquences multiples. À l’ère de la communication instantanée et de la transparence exigée, les promesses d’entreprises sont scrutées, analysées, et, si elles ne sont pas honorées, violemment retournées contre leurs émetteurs.
La surenchère de promesses – qu’elles soient commerciales, environnementales ou sociales – est devenue un levier marketing aussi puissant que risqué. Dans un monde de concurrence accrue, il est tentant pour les entreprises de « survendre » leurs produits ou leur impact pour séduire clients, investisseurs ou talents. Le problème n’est pas tant la promesse que l’écart entre l’énoncé et la réalité. Ce décalage, souvent involontaire dans un premier temps, devient toxique lorsqu’il est dissimulé, minimisé ou maquillé, entraînant des effets domino sur la crédibilité, la valorisation et la pérennité de l’entreprise. Le greenwashing constitue aujourd’hui un exemple criant de promesse toxique. Selon une étude de la Commission européenne de 2021, 42 % des déclarations environnementales d’entreprises examinées étaient exagérées, fausses ou trompeuses. Dans certains cas, comme celui de H&M ou de Ryanair, les promesses « vertes » se sont révélées être de simples écrans de fumée pour masquer des pratiques peu durables. Ces dérives, de plus en plus traquées par les régulateurs et les consommateurs, peuvent coûter cher : en 2023, Deutsche Bank a été condamnée à verser 25 millions de dollars d’amende aux États-Unis pour avoir induit en erreur ses clients sur la portée ESG de ses fonds d’investissement.
Le coût financier d’une promesse non tenue peut être astronomique. Pour Boeing, les retards de livraison, les indemnisations, les amendes et la baisse des commandes liées au 737 Max ont représenté plus de 21 milliards de dollars entre 2019 et 2023. Mais le coût réputationnel, lui, ne se chiffre pas aussi aisément : une marque associée à un manquement majeur peut mettre des années à regagner la confiance de ses parties prenantes. Or, dans un contexte de volatilité informationnelle, la réputation est devenue l’un des actifs les plus fragiles mais aussi les plus précieux d’une entreprise.
Au-delà des chiffres, le piège des promesses réside aussi dans leur effet structurant sur les décisions internes. Une promesse publique crée une pression sur les équipes pour la tenir à tout prix, quitte à prendre des raccourcis ou à ignorer les signaux faibles. Le cas de Volkswagen et du scandale des moteurs truqués reste emblématique : une promesse de performance environnementale inatteignable a conduit à une fraude systémique, orchestrée par des ingénieurs contraints de livrer coûte que coûte. Ce type de dérive met en lumière la nécessité de relier promesse, faisabilité technique et intégrité managériale.
Pour les dirigeants, la vigilance s’impose à plusieurs niveaux : dans la formulation de la promesse, dans l’évaluation de sa soutenabilité, dans la transparence sur les avancées et les écarts, et dans la capacité à corriger le tir si nécessaire. Il ne s’agit pas de renoncer à l’ambition, mais de faire en sorte qu’elle repose sur des fondations solides et vérifiables. Une entreprise peut promettre un monde meilleur, à condition de ne pas en faire un argument creux ou une fuite en avant. Mal maîtrisée, une promesse client peut détruire de l’intérieur. Bien pensée, elle peut transformer en profondeur.
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