Quand la provenance supplante l’œuvre : vers une science de l’authentification

17 juin 2025

Quand la provenance supplante l’œuvre : vers une science de l’authentification

Photo  Salvator mundi de Léonardo da Vinci

Derrière les cimaises feutrées des musées et les records de ventes aux enchères, une question demeure taboue mais essentielle : l’authenticité des œuvres. Depuis plusieurs décennies, cette authentification repose moins sur l’analyse directe de l’objet que sur des récits de provenance souvent lacunaires. Une méthode que de nombreux experts estiment désormais dépassée.

Une confiance déplacée : l’autorité du document

Dans False Impressions (1996), Thomas Hoving, ancien directeur du Metropolitan Museum of Art, estimait que jusqu’à 40 % des œuvres présentées en musées pouvaient être fausses ou mal attribuées. En 2015, une enquête de The Art Newspaper évoquait jusqu’à 50 % d’œuvres « douteuses » dans certaines collections européennes, selon des experts anonymes.

L’affaire Beltracchi en Allemagne, révélée dans le documentaire Beltracchi : Die Kunst der Fälschung (2014), illustre cette dérive. Le faussaire a introduit sur le marché plus de 50 œuvres inventées, accompagnées de faux documents d’époque — lettres, certificats, catalogues —, tous impeccablement falsifiés. Son habileté ne résidait pas dans le pinceau, mais dans la construction documentaire.

Des chefs-d’œuvre sans passé

Le cas du Salvator Mundi, vendu en 2017 pour 450 millions de dollars, en est une autre illustration. L’œuvre n’apparaît dans les sources qu’à partir de 2005. Son attribution à Léonard de Vinci, bien que défendue par certains, reste contestée, notamment faute de preuves antérieures au XXe siècle.

Autre exemple : en 2023, une toile abstraite attribuée à Kandinsky est mise en vente à 18 millions de dollars à New York. Sa documentation indique une acquisition à Berlin en 1913, suivie d’une transmission familiale sur trois générations. Pourtant, croire qu’une œuvre ait pu traverser sans perte les deux guerres mondiales, l’exil juif, le nazisme, les bombardements et la dispersion des archives relève davantage de la mythologie que de l’histoire.

Le XXe siècle, machine à détruire la preuve

Croire à la conservation intacte d’archives privées sur un siècle est une illusion. Incendies, spoliations, exils, crises économiques et bombardements (Le Havre, Dresde, Rotterdam) ont souvent anéanti les documents. L’historienne Emmanuelle Polack rappelle dans Le marché de l’art sous l’Occupation (2020) l’ampleur de la disparition des preuves d’origine pour des milliers d’œuvres spoliées.

De surcroît, à l’époque de leur création, les œuvres de Brancusi, Kandinsky, Picasso ou Modigliani se vendaient entre 200 et 2 000 francs. Elles circulaient dans des contextes informels — entre marchands, artistes ou amateurs — sans contrat, ni facture, ni anticipation de leur valeur future. Qui aurait exigé, en 1912, une traçabilité notariale pour une sculpture achetée 500 francs dans un atelier de Montparnasse ?

Multiplication des cas litigieux

Entre 1994 et 2011, la galerie Knoedler de New York écoula pour plus de 80 millions de dollars de faux Rothko, Pollock et Motherwell. Le faussaire Pei-Shen Qian, installé dans le Queens, en était l’auteur. L’affaire ne fut révélée qu’après des années d’exposition et de transactions, malgré des documents d’authenticité apparemment irréprochables (Vanity Fair, avril 2012).

En Italie, à Livourne, trois sculptures découvertes dans un canal furent attribuées à Modigliani… avant que trois étudiants n’avouent les avoir sculptées avec une perceuse, dans le cadre d’une farce universitaire. Une plaisanterie qui déstabilisa les experts, révélant la fragilité des certitudes fondées sur le prestige du nom plus que sur l’analyse des formes.

Vers un retour à l’œuvre

Alors, quelle alternative ? De nombreuses initiatives scientifiques plaident pour une approche fondée sur l’objet lui-même : analyse des matériaux, techniques picturales, structures géométriques, stratigraphie, infrarouge, intelligence artificielle. Ces outils construisent une lecture autonome, indépendante du storytelling documentaire.

Des institutions de référence comme le Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France (C2RMF), le Fine Art Expert Institute (Genève) ou le Metropolitan Museum of Art Scientific Department (New York) déploient ces méthodes de manière systématique. Elles permettent d’interroger les œuvres non comme des supports de récit, mais comme des structures rationnelles.

Une lecture fondée sur la structure

Parmi ces démarches, la méthodologie conçue par le Cercle d’Études Scientifiques Pierre Rayer se distingue par son ancrage historique et sa cohérence scientifique. Fondée sur les travaux du docteur Pierre Rayer (1793–1867), médecin de Napoléon III, président de l’Académie des sciences, et bâtisseur d’une bibliothèque encyclopédique de plus de 10 000 volumes consacrés aux sciences exactes, aux beaux-arts et aux civilisations antiques, cette approche articule mathématiques, géométrie, histoire comparée des formes et symbolisme universel.

Baptisée Universæ Analysis, elle est basée une approche scientifique interdisciplinaire d’authentification et d’interprétation des œuvres, fondée sur l’analyse géométrique, symbolique et formelle de leur structure interne, indépendamment des récits de provenance. Elle repose sur l’observation de régularités internes : proportions fondées sur le Nombre d’Or, symétries précises, codifications géométriques et motifs symboliques récurrents à travers les époques. Ce cadre analytique vise à restituer la cohérence intrinsèque des œuvres, au-delà des constructions narratives extérieures.

Appliquée à des figures majeures comme Léonard de Vinci, Raphaël, Kandinsky, Picasso ou Brancusi, cette méthode a permis de mettre en évidence des grilles mathématiques cachées, des duplications structurelles et des récurrences formelles traversant les siècles de l’Égypte antique à la Renaissance, des icônes byzantines au modernisme abstrait.

Une complémentarité entre science et humanités

Loin d’exclure l’expertise humaine, cette approche la renforce. Les historiens de l’art et conservateurs  possèdent une connaissance précieuse. Mais seule la science permet une objectivité vérifiable, indépendante des récits, des héritages ou des intérêts.

En croisant le regard humain avec les données issues du LiDAR, de la stratigraphie picturale ou de l’analyse infrarouge, l’évaluation devient plus précise, moins spéculative. Comme le souligne Frédéric Biamonti dans L’IA au cœur du marché de l’art (ARTE, 2022), ces technologies permettent de comparer des structures, de révéler des repentirs, des couches ou des gestes invisibles à l’œil nu.

Une exigence de rigueur et de transparence

L’enjeu dépasse le cadre académique. Il engage la confiance du public, l’intégrité des institutions, et la préservation du patrimoine mondial. À l’heure où des sommes colossales sont en jeu, où les œuvres circulent à l’échelle planétaire, il devient urgent de passer d’une validation par la narration à une validation par la démonstration.

Replacer l’œuvre au cœur de l’authentification, non pour la comprendre dans sa matérialité et sa cohérence, est un impératif éthique autant que méthodologique. Car authentifier, ce n’est pas croire. C’est démontrer.

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