Photo: Nicolas Besson, Directeur des investissements auprès de la banque REYL Intesa Sanpaolo ©
Par Nicolas Besson
Le traditionnel exercice de la boule de cristal de fin d’année consistant à énumérer les perspectives et convictions pour les 12 mois à venir tient souvent beaucoup de l’art divinatoire dont les conclusions sont en général caduques après quelques semaines, dès lors que l’inattendu repointe le bout de son nez. Cela nous semble particulièrement vrai aujourd’hui après une année riche en incertitudes et un mois de novembre plutôt chaotique. Nous préférons dès lors nous pencher sur l’identification des risques sous-jacents majeurs et des signaux de marchés qui y sont associés.
Les défis sont nombreux. Le point de départ en est un premier : les principaux indices boursiers sont ou flirtent aujourd’hui avec leurs plus hauts historiques. Cela peut certes s’expliquer par des fondamentaux économiques favorables (la croissance mondiale a clairement surpris à la hausse cette année) et des conditions financières très accommodantes, mais dont les moteurs sous-jacents sont de plus en plus sujets à caution, avec une utilisation excessive des leviers fiscaux et monétaires sous l’emprise politique grandissante de leaders populistes.
La liquidité est pléthorique et a propulsé la plupart des classes d’actifs à des niveaux d’évaluations pour le moins tendus, sans compter l’engouement presque démesuré pour l’IA, dont les espoirs seront fatalement partiellement déçus… A titre d’exemple, la valeur comptable des sociétés du S&P500 ainsi que la valeur actualisée de leurs bénéfices escomptés sur 3 ans ne représente qu’environ 30% du niveau de l‘indice, le reste pouvant être qualifié de « hopes and dreams » … gardons en tête qu’à horizon de 10 ans, la valorisation initiale des actifs explique la grande majorité de la variabilité des rendements futurs !
Alors que l’économie est robuste et les marchés touchent le ciel, ces politiques stimulatrices sont-elles vraiment raisonnables ? Le revers de la médaille cache probablement une résurgence de pressions inflationnistes, dont plus personne ne semble se soucier, y compris les autorités monétaires dont la Fed en particulier. Pressions que les taxes douanières américaines viendront encore alimenter dès lors que les hausses de prix qu’elles engendrent seront finalement passées aux consommateurs. Les banques centrales, arbitres de l’équilibre entre croissance et inflation, semblent soumises à une politisation malsaine, à l’instar de la Réserve Fédérale, qui biaise leur orthodoxie et mine leur crédibilité.
La sérénité « artificielle » observée jusqu’ici, qui conduit notamment à une sous-valorisation des risques, se construit de plus sur des fondations instables. A des niveaux de dette étatique déjà inquiétants s’ajoute un creusement inexorable des déficits budgétaires qui devraient normalement pousser les « bond vigilantes » à demander des rendements plus élevés pour détenir les actifs obligataires longs de ces pays dont l’état des finances inquiète.
Des signaux d’alerte tangibles sont déjà observables aujourd’hui : l’augmentation des primes de terme obligataire qui intensifie la pentification des courbes en est un exemple frappant, particulièrement visible au Japon où l’écart entre le taux directeur et le rendement des JGB à 30 ans a bondi de plus de 2% depuis début 2022 ! Aux Etats-Unis, la rémunération du bon du Trésor à 30 ans s’affiche aujourd’hui au-dessus des Fed Funds et n’a cessé de s’élever depuis le début l’assouplissement monétaire de déjà 150 points de base initié en septembre 2024, ce qui ne s’est pas vu durant la plupart des cycles d’assouplissement précédents. La seconde variable d’ajustement est le taux de change, preuve en est la faiblesse affichée du dollar ou du yen, tandis que le franc suisse s’envole !
Comment juguler de tels phénomènes ? Si la situation s’envenime, le recours à des politiques non-conventionnelles (assouplissement quantitatif, opérations « twist » et contrôle de la courbe des taux) sera inexorable. Des mesures qui faussent la « juste » rémunération des actifs et pénalisent l’épargne dans des marchés artificiellement administrés.
Sommes-nous pour autant pessimistes ? Non, mais vigilants. Sisyphe a sans doute encore de quoi pousser son rocher plus proche du sommet. Nous restons pleinement investis sur les actions mais en asymétrisant nos expositions par la mise en place de protections tactiques rendues attractives pas des niveaux de volatilité basse. Nous surpondérons aussi les actifs réels, qui ne sont, eux, pas adossés à un passif et représentent de plus une protection contre l’inflation, un positionnement à privilégier. La progression impressionnante de l’or en est un exemple frappant ! Le choix de bons couples rendement-risque est de mise, comme le marché suisse pour les actions, ou les liquidités, par opposition au crédit devenu trop cher. Le choix de débiteurs de qualité (privés et étatiques) et une duration modérée sont clé dans le secteur obligataire. Une diversification vers les marchés émergents, qui affichent de meilleurs fondamentaux que leurs homologues développés, est recommandée. Enfin, une exposition aux alternatifs (hedge funds en tête) renforce la robustesse des portefeuilles en cas de hausse des volatilités. Les ceintures sont attachées pour affronter une année 2026 qui pourrait rencontrer des turbulences !
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