Recruter en Suisse: l’ère post-salaire

21 septembre 2025

Recruter en Suisse: l’ère post-salaire

Photo S.Rabetsitonta ©

Par Saholy Rabetsitonta

La Suisse demeure l’un des pays les plus prospères au monde avec un taux de chômage particulièrement faible (2,2% en juillet 2025 selon le SECO), une stabilité politique enviée, l’un des PIB par habitant les plus élevés mondialement, et une économie solide affichant une croissance estimée entre 1% et 1,5% pour 2025 selon la BNS. Son secteur technologique connaît également un essor remarquable. Pourtant, un phénomène préoccupant s’installe : un décalage croissant entre les salaires proposés par les entreprises et les attentes élevées des candidats. Les recruteurs le constatent quotidiennement : le budget alloué ne suffit plus à convaincre. Mieux informés et plus mobiles, les candidats ne considèrent plus la rémunération comme un critère suffisant. Dans le secteur IT notamment, bien que les salaires soient attractifs, ils ne suffisent plus pour attirer les meilleurs profils.

Contexte géopolitique

La situation économique actuelle influence profondément les attentes professionnelles. Entre les taxes imposées par les États-Unis, la forte appréciation du franc suisse (oscillant autour de 0,93-0,94 CHF pour 1 EUR à mi-2025), les rachats et réorganisations d’entreprises tous secteurs confondus, et l’évolution des mentalités depuis la crise sanitaire de 2020, les recruteurs doivent constamment s’adapter. Ils font face à un défi complexe : répondre simultanément aux exigences techniques et budgétaires des entreprises partenaires, aux demandes croissantes des candidats, tout en maintenant les marges attendues par leurs cabinets. Cette équation comprend la sélection et présélection des candidats, les entretiens, la collecte documentaire, l’envoi des dossiers dans des délais serrés et le suivi complet du processus de recrutement.

La question centrale devient alors : pourquoi les talents délaissent-ils des offres pourtant bien rémunérées ?

Nouvelles priorités

Les candidats genevois et internationaux ne recherchent plus uniquement un bon salaire. Leurs priorités actuelles incluent :

Qualité de vie et flexibilité : horaires flexibles et possibilité de télétravail sont devenus des standards dans les secteurs technologique et financier.

Environnement de travail optimal : un cadre sain valorisant le bien-être, la diversité et l’équilibre vie professionnelle-privée.

Perspectives d’évolution claires : formation continue et mobilité interne sont désormais des sujets incontournables lors des entretiens.

Engagement sociétal : l’implication forte de l’entreprise sur les enjeux environnementaux et sociaux influence significativement les choix professionnels.

La Suisse, située au carrefour d’influences géopolitiques multiples, subit une concurrence accrue. Les pays voisins (Allemagne, France, Italie, Autriche) proposent parfois des conditions plus souples, tandis que de nouvelles régions émergentes attirent les talents avec des packages compétitifs. La mobilité internationale, amplifiée par l’essor du télétravail, bouleverse les stratégies traditionnelles de recrutement.

Défis économiques

Le contexte réglementaire se durcit avec des propositions de régulation plus strictes de l’intérim et du travail temporaire, particulièrement dans les marchés publics et le secteur de la santé. Depuis le 1er août 2025, la durée maximale d’indemnisation pour réduction de l’horaire de travail (RHT) est prolongée de 12 à 18 mois pour faire face à l’incertitude économique.

Les ajustements des allocations familiales affectent indirectement les coûts de main-d’œuvre et le revenu disponible des ménages, incitant les candidats suisses à être plus exigeants sur les salaires.

Marché genevois

À Genève en 2025, le marché de l’emploi demeure sous forte tension. Malgré d’importants besoins de recrutement, les entreprises peinent à identifier les meilleurs talents, d’où leur recours croissant aux agences spécialisées.

Plusieurs facteurs expliquent cette situation :

  • Impact économique : les droits de douane américains sur les produits suisses affectent directement les secteurs recruteurs (expertise, industries)
  • Perspectives modérées : croissance prévue de 1,3% en 2025 à 1,2% en 2026 selon la BNS
  • Franc fort : impact direct sur les exportations et les modèles de recrutement
  • Flexibilité accrue : davantage de travail temporaire et de CDD pour optimiser la gestion budgétaire
  • Complexité administrative : quotas, réglementations cantonales variables, nouvelles obligations contractuelles

En période de ralentissement, on observe un glissement vers des profils plus spécialisés ou expérimentés, réduisant significativement le vivier de candidats qualifiés dans le canton recherché.

Savoir évoluer

Sans formule magique, certaines actions peuvent attirer les meilleurs profils en valorisant d’autres critères que le salaire :

Flexibilité avant tout : le post-COVID a transformé les mentalités. Télétravail, autonomie organisationnelle et équilibre vie privée-professionnelle sont essentiels.

Transparence totale : communiquer clairement sur les conditions de travail sans ambiguïté et promouvoir authentiquement la culture d’entreprise.

Innovation dans le recrutement : pour répondre aux mandats dans des délais courts, l’audace devient un terrain de jeu nécessaire. Développer de nouveaux partenariats requiert une compréhension fine des besoins entreprise.

À l’ère de la transformation numérique permanente, recruter des talents à l’esprit innovateur constitue une nécessité vitale. Cette qualité, particulièrement présente dans le domaine technologique, permet aux organisations d’intégrer des profils capables de « penser différemment » et de prendre une longueur d’avance. Une compréhension approfondie des enjeux émergents (IA, automatisation, durabilité) associée à un esprit d’initiative devient un critère de sélection majeur. Selon un sondage SECO 2025, près de 75% des employés suisses souhaitent suivre des formations adaptées. Les recruteurs doivent adopter une approche holistique, répondant aux aspirations profondes des candidats en matière de flexibilité, de sens, de développement et de bien-être.

La fidélisation des talents fera la différence dans une économie mondialisée en constante mutation.

Conclusion

En Suisse, notamment dans le canton de Genève qui constitue un véritable marché de niche, en tant que consultante senior dans les secteurs de l’IT, de l’Asset Management et bancaire, je suis confrontée quotidiennement à une double exigence : répondre aux attentes salariales élevées tout en proposant une véritable proposition de valeur employeur incluant la mission de l’entreprise, son organisation et ses engagements sociaux. Apporter une valeur ajoutée au recrutement doit être avant tout une passion pour accompagner les personnes qui correspondent le mieux à la culture d’entreprise, au-delà du salaire. Les attentes candidats ayant profondément évolué, face à ce nouveau paradigme, il ne faut plus se contenter d’une enveloppe salariale attractive. Il convient de repenser les propositions de valeur globale que les sociétés doivent offrir pour attirer et fidéliser leurs futurs employés : flexibilité, formation, évolution de carrière, bien-être et culture d’entreprise constituent désormais les piliers d’une stratégie de recrutement efficace.

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