Par Michel Saugné, CIO, La Financière de l’Echiquier
Le dollar perd 10% depuis le début de l’année contre un panier de devises (indice DXY). A l’inverse, l’or progresse dans le même temps de 29% (en dollars, aPar u 24 juillet). Autre alternative au dollar, le Bitcoin gagne presque autant que l’or sur la même période, réalisant une envolée de plus de 300% (en dollars) sur deux ans. Le dollar ferait-il donc fuir ? S’agit-il d’un exode monétaire ?
L’affaiblissement du dollar est d’autant plus singulier que la dynamique des taux devrait au contraire le renforcer. La Banque Centrale européenne (BCE) a en effet diminué au total son taux directeur de 200 points de base depuis juin 2024, contre une réduction de seulement 100 points de base pour la Réserve fédérale (Fed). Le taux directeur américain est ainsi plus élevé aujourd’hui que celui de la plupart des grandes banques centrales. Certes, l’inflation est plus forte aux Etats-Unis, ce qui tend à affaiblir la devise. Cependant, même ajustés de l’inflation, les rendements réels restent meilleurs en dollar que dans la plupart des grandes devises. Et une baisse de taux de la Fed, au grand désespoir de Trump, ne semble pas proche. La désaffection pour le dollar doit donc être puissante pour contrer un tel différentiel de taux.
Une piste est suggérée par le rapport du Congressional Budget Office : l’état des finances publiques américaines s’aggrave rapidement. Selon son rapport de mars 2025, la dette publique représenterait 169 % du PIB américain à l’horizon 2055, nourrie par un déficit budgétaire annuel de 6,3% en rythme de croisière. Et encore cette prévision n’intégrait-elle pas à l’époque les effets de la nouvelle loi trumpienne, le « One Big Beautiful Bill », qui devrait, selon le même organe, dégrader davantage encore le budget. Mais ce n’est pas tant le niveau absolu de dette qui est effrayant. Le Japon le dépasse largement. La préoccupation vient davantage de la charge d’intérêt qu’il représente pour les finances publiques. Selon la même source, cette charge passerait de 2,1% du PIB en moyenne sur les 50 dernières années à 5,4% dans 30 ans. Soit les trois quarts du déficit total attendu en 2055 (7,3%). Davantage que la part du budget américain allouée à la défense (2,9% en 2025), ou à la sécurité sociale. Une large partie de ces intérêts seraient en outre versés à des investisseurs étrangers, détenteurs d’un tiers de la dette américaine. Un flux qui réduirait d’autant le revenu intérieur américain, fragilisant l’ensemble de l’économie.
Devant de telles perspectives, il n’est guère étonnant que les investisseurs renâclent à acheter du dollar pour le long terme, et se réfugient sur des alternatives comme l’euro, le franc suisse, l’or ou les crypto monnaies. Cependant, si l’euro est moins endetté globalement, il n’est pas exempt de fragilités bien connues, comme en témoignent les tensions sur le budget français notamment. Le franc suisse est certes sûr, mais son volume d’émission total bien trop faible pour absorber une forte demande mondiale – à tel point que les taux courts suisses sont repassés négatifs. L’or, pour sa part, est redevenu un actif de choix pour les grands institutionnels, mais il reste peu commode dans les transactions quotidiennes. Les cryptomonnaies sont beaucoup plus populaires, et semblent échapper aux problèmes d’endettement. Est-ce le refuge monétaire idéal ?
S’il est vrai que le Bitcoin est indépendant de toute dette et de tout Etat, du moins tant qu’il est accepté par les législations nationales, ce qui explique en grande partie son triomphe, ce n’est pas le cas des crypto monnaies hybrides que sont les « stablecoins ». Ces dernières, échangées sur des plateformes fonctionnant sur des blockchains comme Ethereum ou Solana, semblent attractives grâce au cours de change fixe qu’elles offrent entre une devise traditionnelle et une cryptomonnaie. Devant leur succès croissant, les Etats-Unis viennent d’adopter une législation très habile, le « GENIUS » Act (Guiding and Establishing National Innovation for US Stablecoins). D’un côté, cette loi sécurise ces nouvelles devises liées au dollar en exigeant d’elles de la transparence. De l’autre, elle leur impose d’être adossées à 100% au billet vert. En conséquence, tout achat de stablecoin lié au dollar, tel que le USD Coin ou Tether, revient à acheter du dollar. Les Etats-Unis redirigent ainsi vers la devise officielle les flux qui cherchent une alternative. Comme un tourbillon, le dollar ramène en son centre ceux qui gravitent à sa périphérie. Les réfugiés monétaires ne peuvent être qu’aspirés, à moins de s’échapper totalement du système – au risque de se noyer ailleurs.
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Opinion rédigée le 25 juillet 2025
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