Savoir refuser la valeur ajoutée à tout prix !

30 janvier 2020

Savoir refuser la valeur ajoutée à tout prix !

Par Thibaut Gallineau*

Qui dit valeur ajoutée suppose déjà une valeur existante intrinsèque ! Or, savoir reconnaître, percevoir et apprécier cette valeur existante est l’un des principaux échecs des chantres de la valeur ajoutée en entreprise : « managers gonflette », « consultants en carton » et autres oiseaux au grand bec s’avèrent incapables de voler droit. Si la valeur ajoutée n’est jamais établie ex nihilo, elle est donc le couronnement, l’embellissement et la consécration d’un édifice existant avec son poids historique, son architecture, son emplacement particulier, etc.

L’allégorie bâtimentaire me semblant pertinente pour traiter de ce sujet, suivons donc le fil rouge en prenant l’exemple concret d’une maison. Commençons par reconnaître que la valeur existante de cette maison n’est pas un acquis dans le temps : une maison sans entretien se détériore au fil des ans, qu’elle soit habitée ou non ! Ainsi, avant de parler de valeur ajoutée, il est important de savoir quantifier les efforts nécessaires pour préserver et conserver la valeur existante. On peut assurément penser immédiatement à la maintenance, mais d’autres aspects moins évidents (p. ex. assurances, environnement immédiat neutre ou mélioratif – pas d’insécurité, de pollution sonore ou visuelle) contribuent aussi à préserver cette valeur contre les aléas du monde. Pour terminer sur ce point, précisons que la maintenance doit évidemment être réalisée en accord avec les normes et l’esprit du bâti : remplacer quelques tuiles en ardoise par des tuiles en terre cuite n’a jamais fait qu’empirer la situation, et donc diminuer la valeur existante.

Partant de ce constat de préservation − ne pas détériorer − et de conservation – pérenniser − d’une valeur existante bien définie, nous pouvons ensuite envisager cette fameuse valeur ajoutée selon un triptyque « optimisation – amélioration – addition ».

• Optimisation : je m’attache à la vue d’ensemble et je propose une nouvelle organisation plus structurée ou plus fluide. Pour suivre notre exemple, l’optimisation d’une maison consiste à effectuer un réagencement (p. ex. les meubles, les cloisons et donc les espaces, la destination des pièces).

• Amélioration : je remplace un élément existant spécifique par un meilleur élément ou je transforme un élément existant en élément augmenté (p. ex. un escalier classique augmenté d’une chaise électrique, une porte classique remplacée par une porte à galandage moins coûteuse en espace).

• Addition : j’ajoute ou je créé un nouvel élément non existant (p. ex. une véranda, un hammam, un potager).

Ces trois facteurs d’accroissement de la valeur existante ne conduisent cependant pas automatiquement à une valeur ajoutée. En effet, la supposée valeur ajoutée créée peut avoir in fine un effet négatif sur la valeur existante (repeindre sa maison en couleur fluo) ou être tout simplement nulle (agrandir légèrement un accès existant), selon des référentiels de jugement éloignés des plus communément partagés. De plus, le coût d’investissement nécessaire à cette supposée valeur ajoutée est parfois supérieur à la rentabilité espérée, voire pire, pouvant mettre en péril la santé financière initiale de l’entreprise. Admettons que cette valeur ajoutée soit unanimement reconnue et bien pensée dans son implémentation (p. ex. une piscine sur un terrain suffisamment grand, avec un climat suffisamment chaud) ; rappelons aussi que cette valeur ajoutée créée et entérinée fait alors directement corps avec la valeur existante totale. Dès lors, les principes de préservation et de conservation doivent à ce titre aussi s’appliquer pour ne pas ruiner cette valeur ajoutée (p. ex. une piscine verte et délabrée).

Thibaut Gallineau
Crédit photo © Studioregard.ch
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Chers lecteurs, comme vous l’aurez compris, pour conduire efficacement une entreprise sur les chemins de la valeur ajoutée, il faut en priorité être animé d’un esprit de bon père de famille et avant tout limiter ou annuler la perte de valeur – ou dette technique/humaine – à travers le temps. Il faut ensuite reconnaître humblement que ces chemins ne sont pas aussi simples et beaux qu’ils n’y paraissent et qu’ils nécessitent parfois un effort conséquent hors des sentiers battus confortables. Enfin, vous pourrez apprécier aujourd’hui par cette métaphore filée votre nouvelle capacité à ne pas chercher la valeur ajoutée à n’importe quel prix !

Comme le dit James Russell Lowell dans Voyages au coin du feu : « Une épine d’expérience vaut toute une brousse d’avertissements. »

 

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