Sport : entre commerce de proximité et e‑commerce, la partie n’est pas jouée

2 juillet 2025

Sport : entre commerce de proximité et e‑commerce, la partie n’est pas jouée

Photo © Pulsar Media

À Genève, comme ailleurs en Suisse, l’essor du commerce en ligne bouleverse profondément les dynamiques de la distribution. En 2024, selon l’ATS, le marché du e‑commerce en Suisse a frôlé les 15 milliards de francs, marquant une croissance de 3,5 % sur un an. Les achats en provenance de l’étranger (+18 %) représentent désormais une part substantielle de cette expansion. Dans ce contexte, le secteur du sport peine tout particulièrement à résister : fatigues des ventes en mode traditionnelle et compétition acharnée avec les plateformes en ligne.

Pression sur les marges et tourisme d’achat

Le développement du commerce en ligne étranger représente une menace concrète : toujours selon l’ATS, Temu à lui seul a généré approximativement 900 millions de francs de chiffre d’affaires et 15 millions de colis en 2024 en Suisse, privant le commerce physique local d’environ 2,25 milliards de recettes. Les détaillants genevois doivent également composer avec le tourisme d’achat transfrontalier : les clients se dirigent massivement vers les magasins à bas coûts en France voisine.

Stratégie locale : quand la proximité devient levier de différenciation

Dans un environnement dominé par la standardisation des offres, la rapidité logistique et l’omniprésence des algorithmes, les commerces de proximité n’ont d’autre choix que de se réinventer. Loin de chercher à rivaliser sur les prix ou les volumes, certains détaillants misent sur une autre valeur : la relation. C’est précisément le positionnement adopté par Aurélien Ianni, gérant de Bongénie Sport à Vésenaz, qui illustre une forme de résilience locale face à la pression digitale.

« Ce qui fait venir un client aujourd’hui, ce n’est plus uniquement le produit, c’est le service, l’échange, et l’attention portée aux détails », explique-t-il. « Ajuster une raquette, adapter une chaussure de running ou avoir une conversation pour explorer les besoins du client ne se fait pas à distance », rappelle-t-il, mettant en avant l’expertise technique de son équipe.

Dans sa boutique de Vésenaz, Aurélien Ianni met en œuvre une série de pratiques qui illustrent cette volonté de recréer de la valeur au plus près du terrain. Cela passe d’abord par un accompagnement client savamment personnalisé : son équipe offre des services techniques pointus comme le cordage de raquettes ou le bootfitting, souvent indispensables mais absents du commerce en ligne. À cela s’ajoute une attention portée aux clients réguliers, dont les dates d’anniversaire sont notées, permettant des appels personnalisés ou des alertes à l’arrivée d’une nouvelle collection correspondant à leurs marques préférées. Sorte de service de conciergerie du sport.

Mais l’ancrage local de Bongénie Sport ne se limite pas à l’expérience en magasin. Le lien avec le tissu associatif est au cœur de la stratégie pour faire face à la concurrence féroce d’internet : la boutique collabore étroitement avec des clubs sportifs de la région tels qu’Anières, Collonge-Bellerive ou Corsier. Cette collaboration dépasse le cadre logistique ; elle repose sur une présence physique régulière lors des tournois, des événements de test de matériel, et une réactivité dans les commandes difficilement égalable par les grands sites internationaux.

Enfin, pour cultiver un lien affectif et communautaire, l’enseigne organise plusieurs fois par an des événements privés au sein de la boutique. Ces soirées de lancement de collection, parfois accompagnées de la présence d’athlètes suisses de renom, contribuent à transformer le lieu de vente en espace de rencontre et de partage. Une manière tangible de rappeler qu’à l’âge des transactions automatisées, certains commerces misent encore — et résolument — sur la relation.

Côté clubs, le retour est tout aussi positif. Alexandre Künzi, membre du comité directeur du Tennis Club d’Anières, observe des bénéfices concrets issus de cette collaboration : « Le fait de travailler avec un commerce local comme Bongénie Sport nous permet de bénéficier d’un accompagnement sur mesure et d’une réactivité qu’on ne retrouve pas chez les plateformes en ligne. » Il souligne également l’importance du lien humain : « Cela crée une relation de confiance, avec des échanges directs et réguliers. » Pour lui, ces partenariats renforcent non seulement le service aux membres, mais participent aussi à la dynamique sportive de la région : « En travaillant avec des acteurs locaux, on contribue à maintenir une identité régionale forte face à l’uniformisation des offres. »

Perspectives pour les années à venir

En comparaison, les plateformes en ligne paraissent rapides, moins chères, mais totalement impersonnelles. Alors que sur certaines plateformes les prix sont désormais ajustés automatiquement par des algorithmes en fonction de la demande, du profil du consommateur ou de la concurrence, la valeur ajoutée du commerce local réside dans une combinaison de longévité, qualité de service, personnalisation et proximité.

On assiste peut-être à une forme de scission structurelle entre deux types de commerce, chacun répondant à des attentes distinctes. D’un côté, l’achat en ligne, dicté par l’instantanéité, le prix et la commodité ; de l’autre, le commerce de proximité, qui mise sur la qualité de l’interaction humaine, le conseil sur mesure et une expérience intégrée à la vie locale. Ces deux modèles ne s’opposent plus nécessairement, mais coexistent, chacun occupant un rôle différent dans les habitudes de consommation.

Aurélien Ianni en est convaincu : le commerce humain a encore de nombreuses années devant lui, à condition de s’adapter et de créer de la valeur là où internet ne peut pas. « On ne peut plus simplement ouvrir la porte du magasin et attendre le client. Il faut aller vers lui, comprendre ses besoins, s’intégrer dans son quotidien sportif. 

Cette intelligence locale est aussi un message économique : un consommateur averti doit savoir que soutenir l’économie locale a un coût — mais aussi une valeur, notamment en termes d’emploi, de solidarité territoriale et de résilience économique.

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