UNE VISION CORPORATIVE POUR LES ENTREPRISES

9 décembre 2015

UNE VISION CORPORATIVE POUR LES ENTREPRISES

Les bouleversements tragiques de Paris ont fait pâlir tout le reste de l’actualité de l’automne 2015. Des événements qui avaient encore pu émouvoir l’opinion publique avant le fatal 13 novembre paraissent maintenant lointains et parfaitement anecdotiques – surtout s’ils avaient eu lieu en cette même France à présent ensanglantée. Qui, en effet, se souvient aujourd’hui de la chemise déchirée du directeur des Ressources Humaines d’Air France, ce DRH brutalisé par des employés furieux ? Personne, et c’est normal – au vu de la vague de terrorisme armé qui s’est abattue sur la France seulement quelques semaines plus tard.

Mais même si aujourd’hui personne ne s’intéresse à l’enquête ouverte après l’épisode du directeur molesté et dans l’absence, pour l’instant, de conclusions judiciaires à ce sujet, l’acte des salariés d’Air France mérite que l’on s’y penche. Ceci – dans le but d’en tirer d’autres conclusions concernant cette fois le fonctionnement actuel de certaines entreprises et le fossé qui se creuse de plus en plus entre la gouvernance et les salariés. Au-delà de la réflexion sur la violence – indiscutable et peut-être condamnable – de l’acte en question, d’autres réflexions s’imposent encore dont une, à caractère plutôt terminologique. En effet, rappelons-nous, dans le contexte d’embrasement des passions autour du plan de suppression d’emplois à Air France, c’était un terme qui s’était imposé à l’attention avec une acuité que l’on ne lui connaissait pas jusqu’alors : ressources humaines. Oui, c’est une formule à laquelle on est parfaitement habitués, une expression qui a toujours fait partie de notre réalité socio- économique mais qui dans ce contexte précis de forte tension entre responsable RH et salariés menacés de licenciement, a pris un relief tout particulier. Du coup, le mot de ressources nous a rappelé sa minéralité originelle, son manque de rapport à l’humain ainsi que son sens premier de mine à exploiter jusqu’à épuisement définitif.

Ou, en l’occurrence – jusqu’à restructuration. Oui, aussi banal et acceptable qu’il puisse nous paraître aujourd’hui, le terme de ressources humaines fait partie d’un discours d’entreprise qui a pas mal contribué à la déshumanisation de l’espace professionnel et à l’état actuel de quasi-rupture entre responsables hiérarchiques et salariés. Ce discours passablement froid, « minéral» donc si peu humain ne fait pas de place à l’idée de coopération étroite entre les différents niveaux hiérarchiques. Alors, quelle autre vision du collectif travaillant substituer à la minéralité des ressources humaines ? Et, plus généralement – quel discours de rassemblement les responsables de l’entreprise doivent-ils tenir afin de contribuer à créer une véritable conscience collective d’action coordonnée et créative aboutissant à un bénéfice final commun ?

La bonne nouvelle est que dans le champ discursif de l’entreprise de ces dernières années s’imposent d’autres termes qui rebutent la minéralité évoquée plus haut. On entend de plus en plus par exemple l’heureux terme de synergie qui, au contraire, va dans le sens d’une action dynamique, coordonnée et même « organique », la signification originelle grecque de ce mot renvoyant notamment à la physiologie et à l’idée de coordination des organes et des muscles en vue d’une action commune. Avec la synergie, d’autre part, nous ne sommes pas trop loin d’une culture corporative de l’entreprise et par conséquent d’un discours où cette dernière est présentée comme un corps collectif dont chaque organe a sa fonction et dont toutes les parties sont également importantes. Dans cette perspective, le dirigeant est la tête et les salariés – les différents organes et membres de la grande entité organique. Alors, entre l’aliénation et l’incommunication « minérales » d’un côté et un lien organique et vif entre partenaires de travail de l’autre côté, que choisirait-on?

Mais on peut aller même au-delà du pur discours corporatif et entreprendre des changements réels allant dans le sens et dans l’esprit de ce discours. On peut initier « La Grande transformation de l’entreprise »dont parlaient, dans leur livre éponyme de 2012, D.Chopin, M. Deluzet et R. Godino (ainsi que leur préfacier Fr. Hollande, alors candidat à la présidence française) prônant, dans le cadre d’«une entreprise entendue comme un corps collectif », une sorte de représentation, à la tête de ce corps, de tous les organes et membres qui le constituent. Les auteurs critiquent en effet le modèle traditionnel où la gouvernance s’identifie entièrement et uniquement au conseil d’administration, soit au board. Face à ce modèle très anglo- saxon, «la grande transformation » consisterait à introduire un deuxième conseil à la tête (dans la gouvernance) de l’entreprise qui représenterait, quant à lui, les autres parties prenantes intervenant dans le fonctionnement du corps collectif – actionnaires minoritaires, administrateurs indépendants, représentants de pouvoirs publics et même des salariés, cette instance va contrôler le board et va limiter tout abus et excès de pouvoir décisionnel.

 

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