Accord de partenariat économique (APE) Union Européenne-ACP : Un accord de dupes qui va détruire l’industrie et les emplois en Afrique – 2ème partie

18 août 2016

Accord de partenariat économique (APE) Union Européenne-ACP : Un accord de dupes qui va détruire l’industrie et les emplois en Afrique – 2ème partie

Pour atteindre son objectif, les négociateurs de l’UE vont appliquer la tactique du « diviser pour mieux régner ». En effet, au lieu de négocier avec les blocs régionaux (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC), etc.) comme c’était le cas, ils vont poursuivre les négociations en ciblant les pays dits « locomotives » des blocs régionaux. C’est ainsi que dans le bloc CEDEAO, les cibles seront les dirigeants de la Côte-d’Ivoire et du Sénégal, et dans le bloc CEMAC ça sera le Cameroun. Ainsi, en cas d’accord sur un APE intérimaire avec les dirigeants de ces pays, la communauté économique à laquelle ils appartiennent se trouvera fragilisée et il sera plus facile pour l’UE de conclure des APE régionaux en Afrique.

La mise en œuvre de cette politique du « diviser pour mieux régner » par les négociateurs de l’UE se trouvera facilitée avec l’arrivée au pouvoir en Côte-d’Ivoire en 2011 d’Alassane Ouattara et de Macky Sall au Sénégal en 2012. Comme le dit M. Cheikh Tidiane Dieye, Directeur de la Plate-forme des organisations de la société civile de l’Afrique de l’Ouest sur l’accord de Cotonou (Poscao), M. Alassane Ouattara prendra la présidence de la CEDEAO en 2012 et « en libéral convaincu, il ne cache pas son engagement pour la conclusion de l’accord de libre-échange qui aura pour lui un double intérêt : maintenir l’accès préférentiel au marché de l’UE pour le thon, la banane et le cacao, entre autres, et remplacer l’accord intérimaire de la Côte d’Ivoire dont la mise en œuvre aurait eu pour effet de perturber le processus d’intégration en Afrique de l’Ouest. Son poids politique en Afrique de l’Ouest et son emprise sur les Commissions de la CEDEAO et de l’UEMOA ont servi sa stratégie ».

Quant à M. Macky Sall, il retournera sa veste suite à sa nomination comme « facilitateur de la négociation des APE » par les Chefs d’Etats de la CEDEAO en 2013 à Dakar. Ne pouvant maintenir sa position de farouche frondeur contre les APE comme c’était le cas jusque là, M. Macky Sall deviendra très conciliant et fera basculer la CEDEAO dans les bras de l’UE avec l’inlassable appui de M. Ouattara. Il brandira les APE de la région CEDEAO comme un trophée dans le but de se positionner comme l’interlocuteur privilégié des européens.

Dans la zone CEMAC, les chefs d’Etats de la communauté n’accordent pas leurs violons sur un APE car les positions sont trop divergentes ; qu’à cela ne tienne, M. Paul Biya le président du Cameroun (poids lourd économique de la sous-région) fera cavalier seul en acceptant un APE intérimaire.

C’est ainsi que le 10 juillet 2014, les chefs d’Etats de la CEDEAO signent l’APE pour l’Afrique de l’Ouest, le 22 juillet c’est au tour de ceux de l’Afrique australe de parapher leur APE, et enfin ce même 22 juillet, le Cameroun ratifiait son APE intérimaire qui a ensuite été mis en œuvre par décret du président Biya le 03 août 2016. Autorisant ainsi l’accès au Cameroun de plus de 1760 produits de l’UE dont les droits de douane seront progressivement réduits de -25% par année sur quatre ans.

La signature de ces APE par les dirigeants africains a créé un tôlé dans la société civile, dans les organisations patronales et les organisations paysannes africaines. Car elles étaient toutes contre ces APE, les inconvénients pour les pays africains étant innombrables à commencer par les énormes pertes des recettes douanières qui représentent en moyenne 25% des recettes budgétaires des états africains. En effet, 75% des exportations de l’UE vers l’Afrique seront exemptées de droit de douane. Ensuite ces APE ne tiennent pas compte ou très peu de la différence des situations économiques entre les pays africains entre eux, puis entre les pays africains et ceux de l’UE. Pour illustrer mes propos, la production de pâtes alimentaires d’un pays comme l’Italie est supérieure à la totalité de la production des pays de la CEDEAO et de la CEMAC cumulées. Il en est de même pour un produit comme la purée et le concentré de tomates pour un pays comme l’Espagne, ou la production de poulets d’un pays comme l’Allemagne qui en passant reçoivent des subventions agricoles de l’UE.
Dès lors comment peut-on imaginer que les paysans, les éleveurs ou le petit industriel de Bamako, Douala, Abidjan ou de Dakar peuvent faire face à la concurrence des produits de l’UE sur un marché de libre-échanges. Cette asymétrie des niveaux économiques entre l’UE et les pays ACP est encore plus frappante lorsque l’on regarde les données disponibles de la banque mondiale en 2005. Le PNB de l’ensemble des pays ACP se chiffrait à 425 Milliards de dollars et celui des 25 pays de l’UE à 13300 Milliards de dollars soit un rapport de 1 à 31. Aussi, à cette période, les échanges des pays ACP ne constituent que 3% du commerce de l’UE soit 2.9% des exportations et 3.1% des importations. A l’inverse, les exportations de l’UE dans les importations des ACP représentent des parts importantes soit 24.4% globalement avec des différences très significatives suivants les régions. Ainsi ces exportations de l’UE représentent 74% des importations de la région CEMAC, 35% pour la CEDEAO, 33% pour l’Afrique australe.

Les partisans de ces APE vous diront que l’UE via le Fonds Européen de Développement (FED) a mis en place un programme d’ajustement pour la mise à niveau des secteurs productifs en Afrique. Ce programme de l’UE dit de « mise à niveau du secteur productif en Afrique » est un trompe l’œil car il est impossible avec les ressources disponibles du FED de porter le secteur productif du Mali, du Burkina, du Tchad, Togo, etc. à un niveau qui puisse leur permettre de compétir à arme égale avec les producteurs de l’UE sur un marché de libre-échanges. C’est comme si on mettait sur une même piste de course une Ferrari contre une motocyclette. On peut aussi relever que depuis 1975 date de signature du 1er accord à ce jour, à peine cinq produits africains (pétrole brut, cacao, banane, sucre, fleurs coupées) représentent près de 80% de leurs exportations vers l’UE. Ceci démontre bien que les produits à l’exportation d’origine africaine sont peu diversifiés. Il est donc probable que ces APE maintiennent l’Afrique dans une position de pourvoyeuse de matière première pour l’UE au détriment des autres produits qui eux seront importés de l’UE. Les dirigeants africains en signant ces APE ont de fait décidé de faire une croix sur l’industrialisation de leur économie car, les industries locales qui ont généralement peu de ressources, des capacités de production limitées, des technologies moins avancées se retrouveront en concurrence frontale avec les produits importés de bien meilleure qualité, parfois subventionnés par l’UE à des prix bien plus bas.

Il faut préciser au même moment que l’UE pressait les dirigeants africains à signer ces APE, l’UE concluait les accords bilatéraux avec plusieurs pays d’Amériques Latines permettant à ces derniers de bénéficier de tarifs douaniers préférentiels à l’entrée de leurs produits sur le marché européen. Ces pays Latinos américains bénéficient des investissements américains dans le secteur agricole dont les montants sont sans commune mesure bien plus élevés que ceux du FED à destination des pays africains. Or les produits de ces pays Latinos américains sont en concurrence directe avec les produits des pays africains sur le marché de l’UE notamment pour des produits comme la banane et le cacao pour ne citer que ces deux produits. Et donc, l’avantage concurrentiel que pouvait bénéficier les producteurs africains exportateurs en direction de l’UE grâce à ces APE tombe à l’eau. Par exemple, en 2012 l’UE a signé les accords libéraux de libre-échanges (ALE) avec la Colombie, le Pérou, le Costa
Rica, Salvador, Honduras, Guatemala, Nicaragua et Panama dont les droits de douane sur leurs fruits seront abaissés peu à peu pour atteindre 75 euros par tonne en 2019. Le 17 juillet 2014, l’Equateur signait aussi avec l’UE un accord d’association dans le même sens.
On voit bien que les « avantages réciproques » que devaient bénéficiers la banane et le cacao africains par exemple grâce aux APE avec l’UE perdront tout intérêt pour les africains si les accords de libre-échanges avec les pays latinos américains (Mercosur), l’Inde et les Philippines aboutissent. Les négociations entre l’UE et le Mercosur (l’Argentine, la Bolivie, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay et le Venezuela) ont été finalisées en juillet 2014. Un second round de négociations sera effectué entre l’UE et le Mercosur pour aboutir à un accord final. Il faut dire que les échanges commerciaux entre l’UE et le Mercosur ne cesse de croitre. Ainsi en 2013, le Mercosur est devenu le sixième plus important marché d’exportation pour l’UE passant de 28 milliards d’euros en 2007 à 57 milliards d’euros en 2013. Les exportations du Mercosur vers l’UE sont essentiellement constituées des produits agricoles (43 % des exportations totales) et des matières premières (28 %), alors que l’UE exporte principalement des produits manufacturés vers ce bloc, notamment des machines et des équipements de transport (46 % des exportations totales) et des produits chimiques (22 %).

Enfin, on ne peut pas exclure que l’UE à travers les APE avec les régions africaines, soit dans une stratégie de repositionnement dans un pré-carré qu’elle considère comme étant sa chasse gardée (du fait du passé colonial de plusieurs de ses membres : France, Belgique, Royaume-Uni, Italie, Portugal, etc.) face à la guerre économique qu’elle mène contre la Chine et dans une certaine mesure contre les USA sur le continent africain. Car en à peine vingt ans, la Chine est devenue le premier partenaire commercial et de développement de l’Afrique subsaharienne avec des échanges chiffrés à 170 milliards de dollars en 2013.

Par ces APE avec les régions africaines, c’est un marché aujourd’hui estimé à 1.1 milliards d’habitants avec des projections à 2 milliards d’habitants en 2050 qui s’offre à l’UE. Une classe moyenne comprise entre 13 et 34 % suivants les sources. Un terreau avec un tissu économique embryonnaire, sans véritable concurrence qui pourrait apporter à l’UE la croissance économique qu’elle a du mal à retrouver sur ses propres terres (du moins à des niveaux qui pourraient améliorer la réduction du chômage dans l’UE) et qu’il faut aller chercher ailleurs, quitte à causer des dégâts collatéraux notamment en Afrique qu’elle pense pouvoir régler grâce aux aides de « mise à niveau » financées par son Fonds Européen de Développement.

 

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